Cotton Point de Pete Dexter

Cotton PointD’emblée, il n’est pas simple de savoir à quelle époque se situe Cotton Point : 1954 dit la quatrième de couverture, Cotton Point « une ville géorgienne d’avant la guerre de Sécession » proclament fièrement les habitants qui en fêtent le cent cinquantième anniversaire. Les habitants blancs bien entendu, car pour les Noirs, la donne n’est pas la même…

Henry Ray Boxer, un jeune Noir, a emprunté de l’argent à Paris Trout pour s’acheter une voiture. Quelques heures après l’achat, il se fait emboutir et retourne voir Trout pour faire marcher l’assurance qu’il a pris soin de contracter. Mais l’usurier ne veut rien savoir : Boxer a signé, il devra payer. Quand il débarque chez le jeune homme avec un ancien flic casseur de Noirs, il ne trouve que son frère, sa mère et une jeune fille de quatorze ans, Rosie Sayers. Pour bien se faire comprendre, il tire plusieurs fois dans les deux femmes et Rosie décède peu après de ses blessures tandis que la mère garde dans sa chair les quatre balles de la justice selon Trout.

Paris Trout a beau être taciturne et mal aimé, il est respecté car très riche et non moins influent. Il s’achète les services de Harry Seagraves, jeune avocat brillant auquel il ne cache rien de son crime qu’il estime légitime. Trout ira en justice, Seagraves plaidera innocent (il n’avait pas l’intention de tirer sur ces femmes) et sera condamné. Mais condamné à quoi ? Quand on a de l’argent, il est tout à fait possible d’échapper à toute condamnation.

Cotton Point, c’est le portrait d’un type immonde, de ceux qui donne envie de hurler et de ne plus appartenir au genre humain. Un type raciste, borné, violent. Mais c’est aussi le portrait de toute une ville qui se fait complice de cet homme parce que lui porter tort, le contredire serait porter atteinte aux fondements mêmes de la ville, à ce qui fait depuis cent cinquante ans, sa raison d’être, le racisme. Cotton Point fut fondée par un marchand d’esclaves… Et le plus écœurant des personnages, n’est-ce pas plutôt Seagraves, le jeune avocat qui ne se bat pas pour que justice soit faite puisqu’il connaît la culpabilité de son client, mais pour gagner de l’argent et éviter à celui-ci à peine quelques mois de prison.

Le lecteur est d’autant plus révolté que Pete Dexter expose les faits avec une grande froideur, d’un ton presque clinique, un style à la Faulkner. On ne connaît rien des sentiments des protagonistes, au point qu’on se demande s’ils en ont et si ce ne sont pas plutôt leurs intérêts qui leur tiennent lieu d’affection. A décrire sans porter le moindre jugement sur les uns ou les autres, Pete Dexter nous pousse à penser que toute conscience a déserté ses protagonistes, et que l’humanité est un concept qui se décline selon le compte en banque et la couleur de peau.

Il n’y a aucune morale à tirer de ce livre, juste à constater et à désespérer…

 

Cotton Point

Pete Dexter traduit de l’anglais par Anny Amberni
L’Olivier, 1998
ISBN : 2-87929-258-5 – 358 pages

Paris Trout, parution aux Etats-Unis : 1988

32 commentaires sur “Cotton Point de Pete Dexter

  1. un livre brutal manifestement, en lisant ton billet je voyais défiler les images du film Mississippi Burning qui relate des faits semblables et pour la même époque

    1. Le rythme des parutions sur ce blog ne suit pas du tout celui de mes lectures : j’ai lu Cotton Point bien avant Les leçons du Mal, en fait, j’ai lu une dizaine de livres entre les deux…

  2. D’accord avec Dominique, à la lecture de ton billet j’ai l’impression de revoir un peu de Mississippi burning. Un roman qui doit perturber.

  3. Je n’ai déjà plus d’illusions sur le genre humain alors je ne pense pas ressortir de cette lecture en ayant découvert beaucoup de choses mais cela n’empêchera en rien que je m’énerve contre les infâmes personnages de Paris Trout et de Seagraves ! En tout cas, je note car j’aime les romans qui remuent les tripes !

  4. Certainement un excellent livre, que je découvre avec retard.
    Je crois que le danger serait, avec le côté exotique du sud profond, de se dire que tout cela est bien loin de chez nous, complètement dépassé, genre « la case de l’oncle Tom »…
    Or que voit-on: un prêteur qui se sent dans son droit (et la loi est bien faite pour protéger les possédants) et n’a pas d’états d’âme sur le moyen de récupérer son argent.
    On peut tout à fait rejouer le drame dans une cité, avec un maghrebin (ou un noir), que pensez vous qu’il arrive ? on voit tout de suite les commentaires : cette voiture, est ce qu’il l’a bien achetée d’ailleurs, peut-être volée…
    Ici aussi, il est coupable dès la naissance, pas besoin d’aller aux USA pour ça.

    1. Pete Dexter a joué sur cet aspect temporel : on ne sait pas bien au départ quand ça se passe, ça pourrait être début XXe. Et puis petit à petit, on comprend que c’est beaucoup plus récent, et donc carrément inquiétant, car il parle d’aujourd’hui. Et d’ailleurs aussi bien sûr…

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