Je vous apprendrai la peur de Nikolaj Frobenius

Je vous apprendrai la peurComme bien des adolescents, quand j’ai lu Edgar Poe, ce fut un coup de foudre. Il dure toujours, je relie parfois ses nouvelles, j’ai lu l’excellente biographie que lui a consacrée George Walter (chez Phébus) et quand je croise un roman dont il est le héros, je ne résiste pas. Qui pourrait d’ailleurs résister à un tel argumentaire :

Frobenius plonge dans l’univers fantastico-réaliste d’Edgar Allan Poe par le prisme de sa relation avec le critique littéraire Rufus W. Griswold, qui fasciné, peut-être même secrètement amoureux de lui, va mener le double jeu pervers de l’amitié et de la démolition systématique tout au long de sa vie. Et pendant ce temps-là, Samuel, un esclave en cavale qui fut son ami et confident d’enfance, se met à concrétiser à coups de crimes les plus cruelles inventions de Poe…

Fort malheureusement, une fois encore, le charme n’a pas opéré. Je dis « encore une fois » car déjà, le livre de Matthew Pearl, L’ombre d’Edgar Poe, m’est tombé des mains.

Il y a une sorte d’intrigue un peu policière ici, mais à peine, qui m’a d’ailleurs rappelé deux autres romans : Obscura de Régis Descott dans lequel un assassin reproduit les toiles de Manet à l’aide de cadavres, et Les fables de sang où se sont les fables de La Fontaine qui sont macabrement reconstituées. Ici, Samuel, ami d’enfance rejeté par Edgar, est à ce point fasciné par le poète qu’il décide de faire advenir ses crimes les plus affreux, nés de son imagination. Comme son ancien ami, son idole, Samuel construit une œuvre :

Oui j’étais fier comme un coq sir c’était bon signe. Ma première œuvre initiatique paraissait dans le journal oui c’était le commencement. Je détachai l’article avec d’infinies précautions je le pliai et le glissai dans une enveloppe que j’adressai à l’influent journaliste Rufus Griswold.

Rufus Griswold, critique littéraire, va donc avoir à juger de la fiction devenue réalité. C’est du moins ce que pense Samuel, mais le journaliste a bien plus à faire, notamment éclaircir ses sentiments plus que troubles à l’égard de Poe.

Avec Je vous apprendrai la peur, Nikolaj Frobenius ne fait pas qu’écrire une biographie romancée, ce qu’il me semble, j’aurais apprécié. Il y mêle cette histoire de double assassin, censé représenter les pulsions de Poe, celles que ses œuvres traduisent : en écrivant, il ne va pas jusqu’au bout de l’acte criminel qu’il porte en lui. Nikolaj Frobenius choisit de nier cet effet cathartique et d’incarner le crime à travers le personnage du double malfaisant. Ça aurait pu être pertinent si ça avait donné lieu à une intrigue policière par exemple (mais ici, on sait dès le début qui exécute les macabres mises en scène) ou ouvertement fantastique, mais l’auteur reste à la lisière du genre.

Enfin, la vie de Poe est survolée, des épisodes oubliés (son expérience malheureuse à West Point), et des données essentielles ne sont même pas évoquées, au premier rang desquelles le statut des nouvelles qui est aujourd’hui ce qui compte à nos yeux : pour Poe, l’essentiel de son œuvre, c’était sa poésie, les nouvelles n’étaient qu’alimentaires et surtout, c’était un pastiche des romans d’horreur alors à la mode.

Nikolaj Frobenius sur Tête de lecture

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Je vous apprendrai la peur

Nikolaj Frobenius traduit du norvégien par Vincent Fournier
Actes Sud, 2011
ISBN : 978-2-7427-9495-9 – 330 pages – 21.50 €

Jeg skal vise dere frykten, parution en Norvège : 2008

36 commentaires sur “Je vous apprendrai la peur de Nikolaj Frobenius

  1. Bon, tu confirmes ce qu’il me semblait quand je le consultais assez longuement à la bibliothèque: plus séduisant au premier abord que vraiment consistant et satisfaisant par la suite. J’ai fini par le reposer.

  2. Au fait, est-ce qu’il y a une biographie intéressante de Poe ? J’ai lu ses nouvelles quand j’étais jeune et j’en ai encore froid dans le dos.

  3. Dommage de te voir déçue ! Moi aussi, je me serais jetée dessus avant ton billet mais là, je vais y réfléchir à deux fois ! Et je me demande si je n’ai pas le livre de Matthew Pearl dans ma PAL (si c’est le cas, il est en bas de la pile et risque d’y rester encore un moment !)

  4. Dommage. Cela fait deux fois que je le prends et le repose. Finalement, il attendra certainement la publication en Babel. Mais surtout, tu me donnes envie de retrouver la poésie de Poe.

  5. A la manière d’Edgar Poe, mais forcément moins bien, j’imagine, plus appuyé ou laborieux.
    N’est pas Edgar Poe qui veut…
    Et puis, sorti du contexte, du XIXème siècle, de la traduction de Baudelaire, non, merci.
    Je crois que je vais en rester à l’hommage que lui a rendu Bradbury, enfin il me semble, dans les chroniques martiennes.

  6. Eh bien pour faire un peu comme d’habitude… je n’ai jamais lu Poe ! Une lacune à combler donc 🙂
    Autrement, le livre dont tu parles dans le billet aurait pu me tenter avec la couverture et le titre, mais du coup je vais laisser passer.

  7. c’est drôle, je me disais justement que j’avais envie de me mettre aux biographies, genre trop négligé par moi… Merci pour la piqûre de rappel! 🙂

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