Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb

Stupeur et tremblementsPuisque les premiers échos du Nothomb 2011 ne sont pas très élogieux, pourquoi ne pas se plonger dans un cru estimé, Stupeur et tremblements, tout en participant à la généreuse action organisée par Le Livre de Poche et l’auteur elle-même qui tous deux reversent intégralement les bénéfices de cette réédition à l’association « Médecins du monde », en soutien aux victimes du tremblement de terre du 11 mars 2011 ? Les fans de l’auteur belge pourront de plus lire une nouvelle inédite et autobiographique, « Les myrtilles », contemporaine de Stupeur et tremblements. Le texte raconte une expédition au mont Asada par temps de neige, et se présente sous forme de fascicule en accordéon, joliment illustré d’estampes japonaises. Le tout dans un coffret collector très agréable.

La jeune Amélie a tout juste vingt ans lorsqu’elle décroche un poste dans une grande entreprise japonaise. Certes subalterne, cet emploi lui permet de côtoyer des Tokyoïtes et surtout de pénétrer au cœur même d’une mentalité orientale qu’elle peine à cerner, ou plus exactement à vivre, elle qui est avant tout une Occidentale. Pourtant, Amélie a vécu au Japon une part de son enfance, elle a appris la langue et les mœurs, elle n’est donc ni naïve, ni démunie. Les Japonais s’avèrent cependant déconcertants à bien des égards.

Amélie Nothomb présente avec beaucoup d’humour ses relations avec ses collègues, qui sont tous ses supérieurs. Pour rester dans cette entreprise, elle est prête à tout, à distribuer le café, à tourner les pages des calendriers, à photocopier feuille à feuille des rapports de mille pages. Mais pour Melle Mori, sa supérieure directe, ça n’est pas encore assez humiliant : elle n’aura de cesse de rabaisser la jeune fille jusqu’à lui faire passer sept mois comme dame pipi du quarante-quatrième étage. Car Melle Mori qui en tant que femme s’est battue et a tout supporté pour arriver à son poste, il est hors de question qu’une jeune Occidentale ait accès au moindre emploi dans «son» bureau, même sous ses ordres.

Le monde du travail au Japon est impitoyable, on l’a souvent entendu, et Amélie Nothomb le démontre ici très bien, grâce à son expérience personnelle. Écrit bien après les faits, Stupeur et tremblements permet une certaine distance ainsi qu’une analyse des relations au sein de l’entreprise et de la mentalité japonaise. Bien qu’elle supporte toutes les vexations et toutes les colères de ses supérieurs, malgré une soumission exemplaire, la jeune Amélie ne sera jamais intégrée. Son attitude frôle pourtant le masochisme, auquel elle semble prendre goût et qu’elle nous présente comme la base des rapports au sein de l’entreprise. Obéissance et effacement sont les maîtres mots d’Amélie qui disserte également à l’occasion sur la place des femmes dans la société japonaise (car comme elle le dit dans « Les myrtilles », durant cette année passée au Japon, elle n’a pas fait que travailler, elle a aussi eu bien des contact avec la population).

 Tu as pour devoir de te marier, de préférence avant tes vingt-cinq ans qui seront ta date de péremption. Ton mari ne te donnera pas d’amour, sauf si c’est un demeuré, et il n’y a pas de bonheur à être aimée d’un demeuré. De toute façon, qu’il t’aime ou non, tu ne le verras pas. A deux heures du matin, un homme épuisé et souvent ivre te rejoindra pour s’effondrer sur le lit conjugal, qu’il quittera à six heures sans t’avoir dit un mot. […] Pour le cas très improbable où tu ferais un mariage d’amour, tu serais encore plus malheureuse, car tu verrais ton mari souffrir. Mieux vaut que tu ne l’aimes pas : cela te permettra d’être indifférente au naufrage de ses idéaux, car ton mari en a encore, lui. Par exemple, on lui a laissé espérer qu’il serait aimé d’une femme. Il verra vite, pourtant, que tu ne l’aimes pas. Comment pourrais-tu aimer quelqu’un avec le plâtre qui t’immobilise le cœur ?

Ce texte exprime la frontière qui existe entre les civilisations orientale et occidentale. Culture et mentalité sont tellement différentes qu’il semble quasi impossible, surtout pour une femme qui souhaite avoir un poste à responsabilités, de s’intégrer. Amélie Nothomb n’est ici pas aussi cynique et percutante que dans Hygiène de l’assassin, le style est moins flamboyant, mais son humour et son ironie restent cependant savoureux.

Amélie Nothomb sur Tête de lecture
 
Stupeur et tremblements suivi de « Les myrtilles »

Amélie Nothomb
Librairie Générale Française (Le Livre de Poche), 2011
ISBN : 978-2-253-16193-6 – 186 pages – 6.95 €

67 commentaires sur “Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb

  1. Un bon souvenir de lecture, avec un autre qui relate son enfance et que j’avais lu avant (le sabotage amoureux)… Je suis loin d’être une fan, mais il faut lui reconnaître un certain talent !
    Et la couverture de cette édition est magnifique.

  2. Un bon souvenir. Etonnante capacité à l’auto-dérision, à rire de ce qui fait mal.
    Elle qui se sentait Japonaise  » de naissance  » en arrive à les décrire comme des Aliens.
    L’adaptation au cinéma était assez réussie aussi.
    Mais je ne suis pas du tout objectif avec Amélie Nothomb.

    1. Pas vu le film. Pour qu’il soit réussi, il faut vraiment que le spectateur sente le quasi masochisme d’Amélie, qui quelque part se complait dans sa déchéance. Et il faut que ce soit drôle !

  3. J’ai toujours eu un très fort à priori sur cette auteure (trop médiatique, trop théatrale …), et lorsqu’enfin j’ai tenté l’un de ses romans, ce fut comme je le craignais : tout sauf de la littérature !!!
    Elle est sans aucun doute brillante, foisonnante d’idées originales et assez singulière pour être intéressante mais … cela ne suffit pas pour écrire un roman !
    Cependant, ce fameux « Stupeur et Tremblement » semble être « son » roman à ne pas rater, le plus élaboré et donc le plus réussi … je le lirai un jour.

    1. Ce n’est pas un chef d’œuvre stylistique, mais c’est agréable à lire tant elle se met en scène dans un rôle ingrat. J’ai trouvé Hygiène de l’assassin bien plus littéraire et brillant.

      1. Non, je n’apprécie pas particulièrement Nothomb qui m’a souvent déçue, mais j’aimé ses romans autobiographiques.

  4. c’est le seul d’Amelie Nothomb que j’ai apprécié, je ne la relirais pas de sitôt sauf peut être l’hygiene de l’assassin .

  5. Bon, je ne peux pas la sentir et j’ai détesté Le sabotage amoureux alors qu’elle n’était pas encore connue. Vu que tout le monde semble dire que c’est un de ses meilleurs, je suppose qu’il est inutile que je poursuive avec elle (de toute façon, voilà plus de 16 ans que je l’ai lu)

  6. Je l’ai lu il y a bien longtemps et je me rends compte en lisant ton billet qu’une grande partie a échappé à ma mémoire !! Je le relirai sûrement un jour, à défaut de lire ses nouvelles parutions !

  7. Il faudrait que je lise celui-ci qui est il parait son meilleur. Mais j’ai lu « Attentat » (pas sur du titre, l’histoire d’un homme très moche qui tombe amoureux d’une fille très belle) et, sorti de cette trame principale, je n’en garde absolument aucun souvenir. Une lecture vite consommée vite oubliée. Alors j’ai un peu du mal à comprendre l’enthousiasme débordant pour cette auteur.

  8. Décidément, quoi qu’elle écrive, je ne suis pas sensible à son humour… Je trouve qu’elle se met trop en scène… (je sais c’est une autobio ! ) mais elle est nombriliste !

  9. Lorsque j’ai découvert Amélie Nothomb, je guettais avec impatience la sortie de chacun de ses romans, que je dévorais comme des friandises… je garde d’excellents souvenirs des Cathilinaires, de Mercure, de Stupeur et tremblements, et d’autres. Et puis, à partir, je crois, de la parution d’Antechrista, ma déception est allée croissante à chaque nouvelle sortie de ses romans, qui finissent par tous se ressembler, et à perdre par conséquent ce qui faisais au départ l’originalité de l’auteure. Et puis je dois avouer aussi que son côté « commercialement excentrique » a fini par m’exaspérer…

  10. 1er et dernier de ses romans que je lirai, je trouve le style très lourd… quelques mots alambiqués plaqués dans les phrases sans aucune raison. Pour la vision du Japon je n’y ai pas travaillé mais j’y vais souvent et je trouve sa vision plus de partielle. Bon ensuite il y a le personnage que je trouve rigolo mais trop prétentieux à mon goût. parfois on aimerait lire les livre sans qu’on vous impose le moindre fait et geste de son auteur.

    1. Il est vrai que quand on la lit, on la voit aussi, et si on ne supporte pas son personnage, il est difficile de faire abstraction. Je n’i pas trouvé son style particulièrement lourd, et j’aime assez l’emploi ici et là de mots rares.

  11. Lu que deux, celui-ci et « ni d’Eve ni d’Adam ». Je m’en tiendrai là, je pense, ça ne m’a pas enthousiasmée. J’ai acheté cette édition, vraiment superbe, pour une amie qui elle est fan et nous fera un petit topo sur le cru 2011, on verra…

  12. Moi aussi j’ai bien aimé ce roman. J’ai lu mon premier Nothomb avec La Métaphysique du tube et j’ai découvert un ton neuf et original en ce temps là. Mais ensuite j’ai fait comme la plupart d’entre nous : j’ai été déçue par ses derniers titres et son extravagance médiatique m’agace.

  13. Stupeur et Tremblements n’est pas mon préféré de l’auteur, mais j’adore retrouver son style de livre en livre. Son dernier, Tuer le père, m’a plu tant au niveau du style qu’au niveau de l’histoire.
    J’ai également beaucoup apprécié Les Myrtilles 🙂 (oui je suis fan…. )

  14. C’est un des rares romans de cette auteur que j’ai lu et il m’avait conquise ! J’ai bien aimé « Journal d’Hirondelle » également.
    En revanche, je n’ai pas du tout accroché à « Métaphysique des tubes » et j’ai trouvé « Le fait du prince » totalement creux et inutile 😉

  15. C’est sûrement mon préféré de cette auteure (mais je suis loin d’avoir tout lu d’elle) car j’ai aimé cette découverte du monde du travail japonais (on n’a pas franchement envie d’aller y bosser ! mdr !). Et cette édition coffret est superbe 🙂

  16. J’ai du mal à aller vers elle ! Le seul (commencé) Le Fait du prince ne m’a pas conquise du tout. J’ai abandonné au bout de 50 pages, j’ai vu cette réédition sympathique et esthétique mais là non plus, je n’ai pas poursuivi… Il faudrait, histoire de ne pas mourir idiote ! 😉

  17. Ca a parfois du bon de ne pas vivre en Europe puisque je ne connais d’Amélie Nothomb que les livres. Et d’ailleurs même lorsque j’habitais en Belgique, je ne l’ai vue qu’une fois à la télé. J’ai beaucoup aimé six des sept livres que j’ai lus (j’avais trouvé Journal d’Hirondelle abominable). Stupeur et tremblements est d’ailleurs mon préféré. Une de mes amies japonaises avait beaucoup aimé le film.

    1. C’est le problème avec les auteurs qui sont aussi excentriques, ou qui ont une personnalité forte : quand on les lit, on a du mal à faire abstraction de ce qu’on a vu ou entendu d’eux. C’est un peu pareil avec Houellebecq…

    1. Je trouve aussi qu’elle met très bien en mot le décalage, puisqu’elle connait aussi bien les deux modes de vie, c’est ce qui fait la réussite de ce livre, ce qui nous parle à nous, Occidentaux.

  18. Un Nothomb qui m’a fort marquée. Le dernier Nothomb qui m’a énormément plu est Mercure. Si tu ne l’as pas encore lu, je te le conseille ;).

  19. C’était ma première lecture-rencontre avec Nothomb. J’avais aimé son humour, son auto-dérision et son regard cynique sur les différences sociétales. J’ai, ensuite, enchaîné mes lectures et je me suis lassée… j’y reviendrai peut-être un jour

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