Dix d’Eric Sommier

Dix d'Eric SommierCertains auteurs de cette rentrée littéraire nous réservent de belles surprises. Certes pas ceux qui se préoccupent de leur père, grand-mère, mère ou cousine à la mode de Bretagne, envahissant rayons et médias de leur généalogie, mais d’autres qui choisissent des sujets originaux, inattendus et les traitent dans une langue qui n’est pas celle d’un élève de 3e.

Pour son premier roman, Eric Sommier s’est emparé d’un fait divers meurtrier : l’incendie qui en 1999 fit de nombreux morts dans le tunnel du Mont Blanc. Encore marquée par ma lecture de Tout, tout de suite de Morgan Sportès, je m’attendais à quelque chose de semblable. Or le traitement est tout à fait différent, beaucoup plus littéraire et romanesque au sens où Eric Sommier ne s’empare que des faits les plus connus et pour le reste, imagine la vie passée et la psychologie des différents protagonistes.

Lucio est patrouilleur du côté italien du tunnel : à moto, il va et vient pour s’assurer que tout va bien. C’est un homme plutôt taciturne, renfermé, qui préfère la compagnie des fleurs à celle des humains. Quand un jour, un camion prend feu au centre du tunnel, il va tout faire pour sauver le maximum de gens, retournant sans cesse au coeur de la fournaise pour en extraire des hommes et des femmes en état de choc. Jusqu’à dix personnes. Et jusqu’à ne plus revenir car Lucio qui s’est réfugié dans un abri avec une ultime victime ne pourra jamais en sortir et périra, comme bien d’autres.

Voilà pour la légende. En cours de lecture, on s’interroge bien sûr le sens d’un tel sacrifice, les raisons qui poussent un homme à risquer sa vie pour d’autres qu’il ne connait pas. Qu’est-ce que l’héroïsme, un moyen plus ou moins conscient d’entrer dans la légende ? Légitimes questions qui sont balayées par d’autres quand on apprend que Lucio n’a en fait sauvé personne, si ce n’est l’homme avec lequel il se trouvait dans l’abri, qui est donc mort avec lui. Il n’a pas fait les allers-retours qu’on lui prête. Par contre, un autre employé du tunnel les a faits lui, il a bien sauvé plusieurs personnes, mais son acte n’a jamais fait la moindre ligne dans les journaux, il est resté un héros inconnu, profondément marqué par le drame, qui a dû quitter son travail.

Singulier destin d’un vrai héros, que ce livre enfonce encore dans l’oubli puisque c’est à Lucio qu’il est consacré, à la légende, à l’usurpateur en quelque sorte. On peut dès lors s’interroger sur ce qui fait la légende : le héros ou ses actes ? Ulysse, Napoléon et Hannibal sont convoqués, autant de noms devenus mythiques et dont le temps a embelli les actes. Même la postérité et la gloire peuvent être injustes, comme la mémoire des hommes. La première leçon de ce beau livre austère et simple pourrait être l’humilité.

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Dix

Eric Sommier
Gallimard (L’Arpenteur), 2011
ISBN : 978-2-07-013340-6 – 190 pages – 17,50 €

31 commentaires sur “Dix d’Eric Sommier

    1. J’avoue avoir été étonnée par ce livre : pourquoi présenter Lucio comme un héros alors qu’il ne l’a pas été. Puis j’ai entendu l’auteur lors d’une émission de radio (une émission nocturne, tu dois la connaître…) qui m’a bien fait réfléchir…

    1. Ton com’ me rappelle en effet quelque chose que j’ai dû lire, ou entendre, mais rien de bien précis… un livre sur le même sujet qui sort en même temps ? nouveau hasard ou concertation ?

  1. ingannmic a raison, Viscogliosi a bien écrit un roman en cette rentrée (chez stock) dont le point de départ est l’incendie du tunnel du mont blanc, il y a en effet perdu ses parents. Je n’ai pas lu ce roman mais du coup, il fait partie pour moi aussi de ceux qui parlent de leur arbre généalogique… Et j’aime ton premier paragraphe, j’entends parler sans cesse de Delphine de Vigan et je ne comprends pas pourquoi son roman fait autant parler de lui, alors qu’elle ne fait que raconter l’histoire de sa famille !! (je schématise peut être un peu trop…)
    Ce roman que tu nous présentes me paraît bien intéressant, à la fois sur le sujet, sur la manière dont il est traité, et sur tout ce que ça représente…

    1. Ce qui m’use, c’est de les entendre partout ces auteurs : Foenkinos, de Vigan, mais aussi Darrieussecq et Carrère (qui ne parlent pas de leur famille, c’est vrai) : même sur France Culture, ils sont partout, je les entends répéter les mêmes choses, ou les journalistes parlent des mêmes livres. Bon sang, on ne dirait pas qu’il en sort 650 !

  2. Ton premier paragraphe m’a enchantée et du coup intriguée… Je ne connaissais pas Dix mais le (les) thème me semble tout à fait intéressant !

  3. J’ai lu le de Vigan qui m’a bouleversée.. et le Carrère ! je suis grillée… mais contente de les avoir lus!

    Je note ce livre parce qu’il y est sujet de valeurs ( trop) rares !

  4. J’avais loupé ce billet (où avais-je la tête ??) mais ce titre me parait fort intéressant. Bon, le De Vigan est dans ma Pal, le Foenkinos aussi…aïe ! J’aime bien me faire mon opinion et j’ai aimé leurs titres précédents. C’est vrai que c’est pénible de n’entendre parler que de ceux-là, là dessus, je suis d’accord. Mon problème ? J’aimerais pouvoir tout lire, enfin Tout ce qui m’intéresse (et ça fait beaucoup) mais aussi bien ceux qu’on n’entend pas que les autres et pour moi, si j’aime, la valeur est la même qu’ils soient médiatisés ou non, qu’ils soient chez Gallimard ou chez l’Arpenteur. Allez, il y a des gens bien partout et il en faut pour tous les goûts. Et merci de nous tenter avec des « pépites » hors sentiers battus 🙂 c’est un vrai plus !

    1. Oh oui, je suis d’accord sur « il en faut pour tous les goûts ». Mais j’ai parfois l’impression qu’on nous force à avoir les mêmes… et puis je suis râleuse, c’est ma nature. J’ai déjà lu trois romans de Carrère, je les ai tous appréciés, mais là vraiment, je fais une indigestion. Je devrais peut-être arrêter d’écouter les émissions littéraires et d’arpenter le web des livres…

      1. Là je suis d’accord ! On veut nous imposer certains livres, et c’est dérangeant, même quand on apprécie l’auteur. Carrère je suis comme toi, overdose : « Limonov » ne me fait vraiment pas envie.

  5. Je ne sais plus sur quelle radio j’en entendu parler de ce livre avec beaucoup d’enthousiasme et cela recoupe bien ton billet
    C’est un sujet qui ne m’attirait pas car je vis dans la région et un membre (éloigné) de ma famille a perdu la vie dans le tunnel du Mont Blanc, mais en même temps le sujet m’attire et surtout la façon dont parait l’avoir traité ce jeune auteur.

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