Frida Kahlo de Gérard de Cortanze

Frida KahloAprès le peintre muraliste Diego Rivera, Frida Kahlo est l’artiste mexicaine la plus connue. Certains diront que c’est parce qu’elle a été sa femme, mais un livre comme celui de Gérard de Cortanze, et bien d’autres avant lui, s’emploie à montrer qu’elle était une femme de talent et de tempérament.

Enfant au moment de l’agitation révolutionnaire, Frida Kahlo est devenue une jeune fille hors-norme, libre, un peu garçon manqué et bisexuelle. Sa soif de vivre se conjugue à une envie d’apprendre et de saisir le monde, mais le destin s’est employé à contrarier ses desseins. La polio d’abord, avec laquelle elle parvient à vivre en trichant avec d’amples vêtements, puis un accident de la circulation en 1925 qui touche sa colonne et l’immobilise. Elle souffre énormément mais ne démissionne pas pour autant et se met à peindre : ce qui n’était qu’un aimable passe-temps devient une vocation. Allongée, elle n’a face à elle qu’un chevalet et un miroir, d’où de nombreux autoportraits.

A peine sortie de l’hôpital elle rencontre Diego Rivera, de vingt ans son aîné, «obèse, il est devenu depuis on voyage à Moscou mondialement célèbre.» Le mariage de «l’éléphant et la colombe» a lieu en 1929. Premier séjour aux États-Unis, en Californie ; Frida Kahlo s’ennuie d’être madame Rivera. Second séjour à New York où Diego triomphe en 1932, mais elle n’apprécie guère ce monde-là. Si Diego, ancien secrétaire général du  parti communiste mexicain ne s’offusque pas de gagner 25 000 dollars pour une fresque alors qu’un ouvrier des usines Ford en gagne sept par jour, Frida elle, est sensible à la misère du pays.

Ce dont Frida Kahlo souffre le plus, c’est de l’impossibilité d’avoir un enfant : les fausses couches et avortements se succèdent, la laissant toujours plus triste. Pour compenser sa peine, elle peint et s’affirme en tant qu’artiste : «Je me peins parce que je suis seule. Je suis le sujet que je connais le mieux.» Mais elle s’ennuie à «gringolandia», le pays ne lui plait pas (ce n’est pourtant rien comparé à l’aversion que lui procurera la France). Ce n’est qu’en 1938, quand les Américains commenceront à reconnaître son talent par une exposition à New York, qu’elle commencera à apprécier la capitale culturelle américaine.

Sa vie sentimentale est ce qu’il convient d’appeler tumultueuse. Diego multiplie les liaisons, et Frida ne s’en offusque que quand il prend sa sœur bien-aimée pour maîtresse. Le couple se sépare plus ou moins, vivant dans des maisons séparées mais reliées, à Coyoacan. C’est là que le couple Rivera accueillera les couples Trotski, André Breton et sa femme. Avec ce dernier, Diego rédige le manifeste de la Fédération internationale des artistes révolutionnaires indépendants qui prône la liberté amoureuse totale dans le couple, l’émancipation de l’homme et de la femme. Frida a choisi : elle devient brièvement la maîtresse de Trotski et déteste cordialement le prétentieux André Breton. Pour finir, c’est le divorce en 1940 qui, conjugué aux problèmes financiers et à ses terribles souffrances physiques (depuis son accident jusqu’à sa mort, elle a subi trente-deux opérations chirurgicales et porté d’innombrables corsets, dont certains en acier), pousse Frida  à boire toujours plus. Mais parce que pour Frida et Diego, la vie est un roman, ils se remarieront…

L’art de Frida Kahlo est un exorcisme qui l’aide à dépasser ses souffrances. Son style est un mélange de naïveté et d’exhibition, d’intimité et de provocation. Beaucoup de violence aussi, physique ou psychologique, même si perdue au milieu d’une nature généreuse et primitive.

J’ai beaucoup appris au cours de cette lecture qui n’est pas une biographie très fouillée mais un regard qui donne envie d’en savoir plus et bien sûr de découvrir ou de regarder avec encore plus d’attention les tableaux de Frida Kahlo (à chercher sur le net puisque le livre n’en offre pas de reproductions). Cette femme passionnée, amoureuse, souffrante, créatrice a tout de l’héroïne de roman, on comprend qu’elle ait fasciné ses contemporains. Personne ne peut compatir, partager la souffrance, seulement admirer ce qu’elle a inspiré à ses victimes quand celles-ci ont le don de création. On peut dès lors imaginer la douleur, cette terrible compagne trop fidèle. Gérard de Cortanze exprime très bien, sans grandiloquence, ces liens entre l’artiste et la mort.

Quelques reproductions et photos.

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Frida Kahlo : la beauté terrible

Gérard de Cortanze
Albin Michel, 2011
ISBN 978-2-226-23059-1 – 206 pages – 17 €

44 commentaires sur “Frida Kahlo de Gérard de Cortanze

  1. J’ai eu la chance de pouvoir admirer quelques uns de ses tableaux lors d’une expo à Bruxelles.
    J’en ai versé des larmes (chose qui ne m’arrive quasiment jamais devant des toiles) !
    J’avais commencé sa correspondance mais il faudrait que je la reprenne du début. Ton billet offre une très belle présentation de la femme et de l’artiste et donne bien envie de se plonger dans ce livre 🙂

    1. je ne la connaissais pas beaucoup avant de lire ce livre, j’avais juste quelques toiles en tête. Du coup, je l’ai vraiment découverte et Gérard de Cortanze a su m’intéresser. Je craignais un peu la bio de la femme souffrante physiquement et à cause de son homme, mais pas du tout. Je crois que c’est mieux que ça soit un homme qui raconte.

  2. J’ai découvert l’histoire de Frida Kahlo avec l’essai de J.M.G. Le Clézio, « Diego et Frida », qui se dévore comme un roman, tant l’histoire de ces deux personnages hors du commun est fascinante.
    L’essai appuie notamment sur leurs divergences idéologiques et artistiques. Frida, sensible, portée à l’introspection, y est effectivement décrite comme une femme qui toute sa vie se sentira viscéralement proche de son peuple, quand Diego semble davantage un homme du monde, qui aime s’exhiber (ainsi que le dénote son art, composé essentiellement de gigantesques fresques murales), et qui est pétri de contradictions, comme tu le soulignes, puisqu’il admire autant Lénine que Ford !!

    1. J’ai noté ce livre de Le Clézio dont il est souvent question dans cette biographie. Mais ce Diego alors, quel animal ! Même impression que dans un roman d’Elena Poniatowska (mexicaine, même si son nom ne l’indique pas) : Cher Diego, Quiela t’embrasse. Un vrai sale type, comment a-t-il eu un tel succès auprès des femmes, affreux comme il était en plus !

  3. Je n’ai rien lu sur elle directement ni vu mais ai lu des romans dans lesquels elle apparaît (notamment L’homme qui aimait les chiens de L. Padura) et pris des renseignements par ailleurs : c’est un personnage assez incroyable, une biographie plus poussée serait probablement un véritable pavé !

  4. un beau billet, j’ai vu certaines de ses oeuvres et elles sont magnifiques, très prenantes. Le film est très bien mais ton billet donne envie d’en savoir davantage. J’ai vu chez Za un livre pour enfants sur Frida et Diego, avec de très belles illustrations inspirées (seul le texte semble bof bof…mal adapté), si tu connais des p’tis bouts de chou…Jen aime beaucoup. bonne journée

  5. j’ai vu l’expo récap à Londres il y a quelque temps déjà, et lu pas mal à son sujet, plus le film, c’est vraiment une personnalité hors du commun et personnellement je dirais que diego rivera est connu grâce à elle 😉

  6. J’avais lu une bio de Frida Kahlo pour le prix des lectrices de Elle 1994 (eh oui, cela date !) , je ne me souviens plus de l’auteur, mais cela m’avait beaucoup intéressée. Les peintres, cinéastes et photographes mexicains me touchent, bien souvent…

    1. Je suis en ce moment en plain Mexique, des écrivains surtout : quelle diversité, quelle étrangeté aussi parfois ! La jeunesse est bien loin de l’austère Fuentes, et c’est tant mieux.

      1. Dans Confidences, elle nous dévoile pour la première fois ses pensées les plus intimes. Salomon Grimberg, psychiatre et spécialiste de Frida Kahlo, présente en effet ici un entretien inédit entre l’artiste, à la fin de sa vie, et son amie la psychologue Olga Campos, qui, originairement destiné à un livre consacré au processus créatif, n’avait encore jamais été publié. Frida Kahlo y commente avec franchise sa vie, ses amours et sa peinture et dévoile ses points de vue sur son corps, la politique, l’amitié, la sexualité et la mort, entre autres préoccupations intimes. Ce texte autobiographique est enrichi par les souvenirs chaleureux de Olga Campos, un dossier médical réuni par le Dr Henriette Begun, et une évaluation psychologique détaillée de l’artiste par le Dr James Bridger Harris.

      2. Très intéressant en effet. Dans le livre de Cortanze, il est souvent question de ces entretiens avec Olga Campos, je pensais qu’ils avaient été publiés.

  7. Bonjour YS
    Rien à voir avec le sujet, quoi que… Gérard de Cortanze dirige la collection Biographie chez Folio. Dernier livre publié : Charles Dickens de Jean-Pierre Ohl. Un inédit que je vais dévorer bientôt
    Amitiés

    1. pas si oubliée que ça quand même, elle était surtout moins reconnue que Diego Rivera de leur vivant. Il y a aujourd’hui beaucoup de livres disponibles sur elle, peut-être même plus que sur Diego.

  8. Bonjour Ys
    Si tu travailles sur des auteurs mexicains, je ne peux que te recommander Mexico Noir, un recueil publié chez Asphalte éditions, avec aux commandes Paco Ignacio Taibo II. Je vais d’ailleurs publier demain ou après demain ma chronique concernant ce recueil. En passant, dans la nouvelle Le Comique qui ne souriait jamais de F.G. Haghenbeck, il est fait brièvement allusion à Diego Rivera et Frida Kahlo.

    1. Je l’ai lu ! Pas facile de faire un billet sur un recueil, mais je vais essayer aussi. Dans cette nouvelle de Haghenbeck, on retrouve Sunny Pascal, l’enquêteur de Martini Shoot paru chez Denoël. Ça se passe sur le tournage de La nuit de l’iguane de John Huston, que j’ai revu juste avant de lire ce livre (pas encore fait de billet non plus, mais je crains de noyer mon monde avec tous ces Mexicains !) : as-tu lu Martini Shoot ?

  9. Non pas lu. C’est le recueil justement Mexico Noir qui m’a fait découvrir cet auteur. Mais je fait de rares incursions dans la littérature hispanophone… Quant à écrire un article sur un recueil de nouvelles il est vrai que ce n’est pas facile. Mais quand on tient un bout de la ficelle on développe rapidement la pelote.
    Amitiés

  10. Comme Cynthia, je te recommande vivement le film « Frida » avec Salma Hayek. C’est un film très réussi et les acteurs y sont très convaincants (c’est Alfred Molina qui jour le rôle de Diego) ! Je peux même te le prêter si tu veux 😉

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