Les États-Unis depuis La Route n’en finissent pas d’explorer le thème de la paternité tragique. David Vann l’a fait aussi, plaçant son duo dans une situation aussi extrême que ceux du roman de McCarthy : la mère est absente, l’entourage hostile et le père (ou la figure paternelle car dans La Route les deux personnages n’ont peut-être pas de lien de parenté) est celui à qui l’enfant doit sa survie. Même schéma ici : un père et sa fille, et même si le contexte n’est pas dangereux en soi, il l’est pour eux. En effet le père, un ancien soldat, est victime d’un sentiment de paranoïa aigue : il se sent traqué, observé, en danger. Le père et la fille doivent donc vivre cachés, dans la forêt (probablement une réserve dans l’Oregon), à l’abri de grottes ou de cabanes de fortune dont ils changent souvent.
Le lecteur suit à travers son journal Caroline, jeune fille d’environ treize ans, très adaptée à la vie dans les bois, épanouie et obéissante. Ce qu’elle sait, elle le tient de son père, il est son dieu. Mais elle n’écrit pas tout ce qu’elle sait, le non-dit faisant office d’intrigue. Car le lecteur veut savoir ce que Caroline et son père font dans la forêt, pourquoi ils vivent dans les bois et pourquoi ils doivent se cacher. Ça ne se résoudra qu’à la fin, et encore, on ne nous livrera pas tous les tenants et aboutissants des origines. Car comme le répète le père, l’important n’est pas le passé mais la situation présente.
Ce que Peter Rock explore ici, ce sont donc les relations père-fille mais aussi les conditions de vie des sans-abri ou plus exactement de gens qui ont choisi de vivre autrement. A la fin du premier chapitre, Caroline et son père sont arrêtés et interrogés par la police. Ils n’ont rien fait qui enfreigne la loi et de ce qui se se passe durant cet emprisonnement, on ne connaîtra que la version de l’enfant. Ils sont relâchés. Mais les services sociaux leur fournissent une maison, du linge, des vélos, de la vaisselle et un emploi pour le père : tout le Confort Moderne, le moule de l’American Way of Life fourni sur un plateau. La société ne peut pas comprendre que certains n’aient pas envie de cette vie-là. Thoreau serait aujourd’hui un marginal, on n’en veut pas.
A partir d’un fait divers, Peter Rock construit une histoire très dense qui interroge quelques fondements sociaux. Alors que le nature writing exalte une vie proche de la nature, on voit ici que le père a franchi une frontière qui le fait tomber dans une marginalité suspecte.
Bien que Caroline soit la narratrice de ce roman à travers son journal, le ton reste assez froid, les personnages manquant d’expressivité et d’humanité. Ils fonctionnent plus comme des symptômes, les symboles d’une contradiction, un accroc dans un canevas social qui rêve d’uniformité alors qu’il ressemble à une mosaïque.
L’abandon
Peter Rock traduit de l’anglais par Philippe Aronson et Jean-Charles Ladurelle
Rue Fromentin, 2012
ISBN : 978-2-9195470-6-7 – 239 pages – 16€
My Abandonment, parution aux Etats-Unis : 2008
mon billet tout bientôt !
l’american way of life veut les faire rentrer dans le moule, à tout prix (tu me piques ce que je voulais dire !)
Les grands esprits… 🙂
Repéré (chez Emeraude, peut-être) et ton billet me conforte dans l’idée de le lire.
Pas trop pour moi en ce moment.
Bonne journée et bonne lecutre
Pour le coup le thème me plaisait beaucoup! Mais ton dernier paragraphe refroidit mes ardeurs…. à voir donc…
j’ai trouvé les personnages assez froids, désincarnés, mais ce n’est que mon point de vue et n’ôte pas grand-chose à l’intérêt du lire.
Repéré aussi, mais sans aucune urgence… Ce n’est pas trop le thème dont j’ai envie en ce moment…
Idem que Kathel. A voir, dans quelques temps.
J’ai vraiment beaucoup aimé !
Je ne suis pas motivée en ce moment par cette histoire : besoin de faire une pause père-fils ou père-fille !
Je comprends : juste après Sukkwan Island on n’a pas forcément envie de remettre ça…
Je suis assez tentée malgré le côté un peu froid et distant de la narration … mais il n’y a pas urgence (surtout quand je regarde la pile de livres empruntés à la biblio !). Je pense qu’aborder le sujet d’un choix de vie marginal (même si ce choix peut être dicté par la maladie ou autre), ce n’est finalement pas si courant dans les romans !
Il y bien la veine white trash, mais elle m’épuise un peu…
Ah, je ne sais pas ce qui se passe avec WP mais le comm précédent, c’est le mien 😉 Il n’arrête pas de modifier mes coordonnées !!!
Je sors de « Room », et j’y retrouve les relations parent-enfant, l’étouffement de la réclusion (ici volontaire, bien que dans « Room », on puisse finalement en discuter….), et surtout la volonté d’uniformisation de nos sociétés, qui proposent à tous le même moule pour éviter de se poser les vraies questions, en affrontant le gouffre des douleurs individuelles et des trajectoires différentes… Un thème en vogue en ce moment !
Room est à mon programme… j’attends un peu après Claustria…
(ps : dans « la route », le livre… jamais l’enfant n’appelle papa l’adulte et jamais l’adulte, même s’il parle d’un enfant, ne dit que ce garçon est son fils)
oui, c’est pour ça que j’ai écrit « dans La Route les deux personnages n’ont peut-être pas de lien de parenté ».
tu es une des rares, parce qu’apparemment, dans le film, c’est père et fils !