Depuis vingt-deux ans, Paco Cortés écrit des polars de gare pour la maison d’édition des Espeja : trente-trois romans au bout desquels il fait figure de has been.
« Les détectives d’aujourd’hui sont des experts en cuisine méditerranéenne qui philosophent sur la lutte des classes. Avant, c’étaient les sergents dans les commissariats ou les employés des pharmacies qui philosophaient. Les jeunes recherchent des émotions sophistiquées que je suis incapable de leur donner. Ils veulent des romans dans lesquels les assassins sont plus intelligents que les policiers, les voleurs plus futés et plus chanceux que les gens bien, les voyous plus fascinants que les honnêtes citoyens. Les méchants sont les gentils et les gentils, des imbéciles. »
Avant/Maintenant, le grand dilemme de Paco Cortés alias Sam Spade. Avant, les héros de roman disaient « Va au diable », maintenant « Va te faire foutre ». Que s’est-il donc passé ?
On est en Espagne en 1981, précisément le 23 février. Depuis 1977, la censure n’est plu et le polar à l’espagnol a pris son envol avec un ton qui lui est propre, un contexte (l’Espagne, forcément) et des revendications à la pelle. La littérature n’est pas prête à s’en remettre, et surtout pas le polar. Même si Paco Cortés les aime bien ses privés américains, en ce jour historique il décide d’annoncer à son éditeur qu’il arrête l’écriture. Ça n’est pourtant pas pour ça que ce 23-F restera dans les mémoires des Espagnols, mais bien pour la tentative de putsch qui eut lieu ce jour-là aux Cortés (justement..). La transition démocratique n’est pas achevée qu’une partie des militaires tente de remettre le couvert, en vain cependant.
Paco lui raccroche pour de bon, il veut retrouver une vie normale, reconquérir sa femme qu’il n’a cessé d’aimer, trouver un job rémunérateur et se réunir avec ses amis comme lui amateurs de romans policiers, les A.C.P. ou Amis du Crime Parfait. Tous ont des surnoms : il y a là Maigret, Miss Marple, Poe, Holmes, Nestor Burma, le Père Brown…etc. Ensemble, ils refont et réfléchissent le monde, au moins celui du roman policier : un crime parfait est-il possible ?
Mais un jour, c’est à un vrai crime qu’ils ont directement affaire : don Luis, le père de Dora (donc beau-père de Paco) a été retrouvé assassiné dans sa voiture. Or ce type était un salaud, aussi mauvais père que mauvais flic, aussi corrompu qu’adipeux et vulgaire. Ce que l’enquête que Paco se propose de mener (car il a été lui-même soupçonné du meurtre) va révéler, c’est qu’il s’est livré à des actes de torture durant la guerre civile. Le passé serait-il revenu se venger ?
Les A.C.P. l’ont enfin leur crime, mais voilà qu’il signe la dissolution progressive de leur petite assemblée…
« Dans les romans de crime parfait, tout commence en général par la découverte inattendue d’un cadavre, puis il faut enquêter pour savoir de qui il s’agit, et qui est l’assassin. Nous, il nous est arrivé l’inverse: nous sommes tombés sur un cadavre à la fin des A.C.P., et en plus, c’était quelqu’un que nous connaissions tous. Il y avait des années que nous cherchions en alchimistes un crime véritablement parfait. En vain. Et maintenant que nous en avons un, il ne nous sert à rien, parce que nous ne pouvons pas faire participer les autres à notre découverte ».
C’est que par cette véritable enquête, Paco est amené à faire la différence entre fiction et réalité, entre le passé tel qu’il fut et celui qu’on a imaginé. Et c’est là l’un des thèmes du roman qui est à la fois fond et forme car Andrés Trapiello excelle à mêler fiction et réalité. Le livre s’ouvre d’ailleurs comme ça : assiste-t-on à une scène du livre que Sam Spade est en train d’écrire ou à un événement qui lui arrive ? Les deux, car Sam/Paco a tellement investi la fiction qu’il n’y a plus de frontière avec sa vie. C’est d’ailleurs en partie pourquoi sa femme l’a quitté…
En situant la première partie de son roman le jour du putsch de février 1981, Trapiello entend bien l’ancrer dans la réalité de l’Espagne, celle du fragile retour à la démocratie. Le fantôme de la dictature n’est jamais loin, ses sbires se réunissent encore, il s peuvent même appartenir à votre proche famille…
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Les amis du crime parfait
Andrés Trapiello traduit de l’espagnol par Caroline Lepage
La Table Ronde, 2009
ISBN : 978-2-7103-31-49-0 – 363 pages – 21,50 €
Los amigos del crimen perfecto, parution en Espagne : 2003
Voilà qui m’intéresse drôlement. Bon dimanche.
J’ai lu des critiques excellentes et le billet de Cécile, je l’ai mis en réservation mais la liste avant moi est longue ……………….
On entre pas tout de suite dans le vif du sujet, dans le crime parfait je veux dire, mais tous les à-côtés et préparatifs, la vie de Paco, les réunions, m’ont plu aussi.
De cet auteur j’ai lu récemment « heureux comme jamais ». C’était pas mal… Je me laisserai peut être tenter par celui là !
Et moi je continuerai peut-être avec d’autres livres… si mes prières au temps qui passe sont exaucées 🙂
Très intéressée aussi!
J’ai d’autres livres de Andrés Trapiello dans ma PAL mais les autres semblent très différents de celui-ci. Il touche beaucoup à l’histoire du pays ou à la littérature (celui qui reprend Cervantès). C’est un auteur qui semble toucher à tous les domaines.
Un touche à tout, oui, je les aime bien…
je ne me sens pas trop attirée par ce livre, je crois que je vais me contenter de ton commentaire précis et fourni
amicalement
Luocine
J’avais bien aimé, si mes souvenirs sont bons, le rapport avec la littérature … Il faudrait que je relise cet auteur, car cette lecture-ci commence à dater. 😉
J’ai en ce moment les deux pieds, voire plus, dans la littérature espagnole, dont le roman policier et franchement j’ai eu envie de noter la moitié du livre !
Un titre qui me tente bien, même si je ne suis pas calée en histoire espagnole.
Il suffit juste de savoir que la première partie ce passe le jour du coup d’Etat (et même si on ne le sait pas, on s’en rend bien compte) et que pour tous les Espagnols, enfin presque, c’est le spectre de la dictature qui revient les hanter…
J’ai lu ce livre, il y a déjà pas mal de temps. Si je me souviens bien, il ne s’agit pas d’un roman policier à proprement parler (le premier crime apparait d’ailleurs assez tardivement, il me semble). Je crois qu’il faut plutôt le lire comme une analyse du genre. Il y a également une reflexion sur la guerre civile espagnole, le devoir de mémoire, etc.
Tu as bonne mémoire et je suis d’accord avec toi. C’est une excellente analyse du roman policier en Espagne, d’autant meilleure qu’elle passe par le roman policier, même si en effet, le crime et donc l’enquête arrivent tard.