C’était la première fois que je baisais depuis un mois, la première fois depuis la catastrophe. Je me sentais seule, désespérément seule, affamée de tendresse, avide de câlins et de caresses, avec l’ardeur vorace et animale d’un piranha. Est-ce donc si étrange ? Nous avons tous besoin que quelqu’un nous prenne dans ses bras de temps en temps. Je n’attendais pas grand-chose, d’accord, mais je n’étais pas préparée à une telle déception.
Tout d’abord, elle était minuscule. Qu’est-ce que j’entends par minuscule ? Je ne sais pas… Douze centimètres ? Dérisoire, en tout cas.
Le premier roman de Lucía Etxebarría traduit en France annonce d’emblée la couleur : il se décline comme un abécédaire et dès la lettre A comme « atypique », Cris la narratrice met le lecteur au parfum : le sexe comme remède à la déprime, le sexe comme ultime tendresse, le sexe romantique. Elle vient d’être larguée par son bel amant qui ne lui refusait rien, la traitait comme une reine, lui faisait l’amour quand elle voulait, où elle voulait, comme elle voulait, tout le temps. Le vrai bonheur pour cette jeune Madrilène de vingt-quatre ans, la petite dernière d’une famille de trois filles dont le rêve s’est brisé le jour où papa est parti. Elles se sont toutes trois retrouvées sans homme à aimer, sans homme qui les aimait, et ont reporté tout leur amour sur le beau cousin Gonzalo qui du coup en a dépucelé deux.
Le roman donne la parole à ces trois sœurs, et bien que Cris soit celle qui intervienne le plus, les portraits sont tous aussi parlants. Ana, l’aînée, est la femme d’intérieur parfaite, l’épouse et mère modèle qui a épousé un homme riche qui travaille beaucoup. Oui mais voilà, depuis quelques temps, Ana déprime sérieusement. Rosa trente ans, le génie de la famille, a fait de très brillantes études avant de faire carrière. Les mots qui la définissent : « Equilibre technologique. Courrier électronique. Mémoire. Ram. Bilans. Rapports en trois exemplaires. Graphiques. Facteur de risque. Amortissement minimum. Comité de direction. Plan de croissance. Injection de capital. Version alpha. Phase bêta. Equipes. Multimédia. Chefs de file. »
Et bien sûr Cristina, serveuse au Planeta X qui pour profiter au maximum de la vie boit, se drogue, écoute de la transe et consomme du mâle. Née trop tard pour la movida, elle entend bien vivre Madrid à fond en se fichant pas mal de la bonne éducation inculquée dans un collège catholique. Sa vie est une provocation, une protestation, un pied de nez au bon sens et aux bonnes mœurs. Autour d’elle, ses amis meurent d’overdose et d’anorexie, mais avant de mourir, ils ont pleinement vécu. Pas question pour elle de devenir comme une de ses sœurs, d’ailleurs, elle est bien plus belle et mieux fichue.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Lucía Etxebarría a une voix bien à elle. La volonté de se distinguer s’appuie avant tout sur la provocation et donc ici la répétition de scènes de sexe. Ou plus subtilement, me semble-t-il, sur une accumulation d’opinions tout à fait décomplexées sur, en vrac, les fantasmes masculins, la taille d’un pénis, le goût du sperme ou le désir des petites filles. Le genre de sujet qu’on n’aborde qu’entre filles, et encore… A ce titre, la scène où Cristina et sa copine Line ont dans le bus une conversation à très haute voix sur leurs pratiques sexuelles est symptomatique : ces filles-là veulent faire savoir à tout le monde que douceur, discrétion et obéissance ne sont plus de mise.
Lucía Etxebarría ne se cantonne donc pas à des sujets bien balisés, romans d’amour, romans sur la mémoire ou romans de couple, non. C’est la féminité des années 90 dans tout ce qu’elle a de fantasque, d’excessif et de provocateur. Sans pour autant devenir superficiel, car ces trois sœurs ont décidément chacune quelque chose de touchant, toutes différentes, toutes paumées. Elles incarnent chacun une forme d’excès, la ruine d’un modèle qui n’aurait demandé que quelques nuances et ajustements pour réussir. Parce qu’elles trainent derrière elles des décennies de catholicisme intransigeant, elles ne sont pas prêtes à la moindre concession : la liberté se paie au prix fort.
Le portrait de cette féminité, pour être dérangeant n’est cependant pas superficiel. Lucía Etxebarría donne une réelle consistance à ses narratrices qui échappent à la caricature. Tour à tour enthousiastes, paumées, implacables, désemparées, tendres ou effrontées, elles sont toutes trois terriblement vivantes. Au final, Lucía Etxebarría parvient à être drôle sur des sujets parfois déprimants ou rebattus grâce à une écriture dynamique et décomplexée.
Amour, Prozac et autres curiosités
Lucía Etxebarría traduite de l’espagnol par Marianne Millon
Denoël (Denoël & d’Ailleurs), 1999
ISBN : 978-2-207-24940-9 – 312 pages – 21.10 €
Amor, Curiosidad, Prozac y dudas, parution en Espagne : 1997
Le mot exubérance me vient à l’esprit, peut-être à tort, concernant l’attitude des trois Grâces !
Le mot correspond très bien 😉
j’avais un jour ouvert un autre roman de cette auteure mais pour ma part, trop de sexe, tu le sexes 🙂
J’ai un de ses romans dans ma PAL. J’ai un peu peur que ça me paraisse « trop », limite vulgaire, mais j’ai quand même envie de tenter.
Il faut bien reconnaître que certains passages ne sont pas très raffinés, mais c’est drôle. Par exemple, dans la suite du passage que je cite, elle explique les efforts interminables de l’homme en question pour parvenir à ses fins, et franchement, c’est vraiment bien vu.
Je n’ai aps tellement accroché à ce roman moi, justement parce que je l’ai trouvé trop décomplexé et un peu trop caricatural!
Au début, j’ai un peu crains la caricature puis j’ai trouvé qu’elle allait assez en profondeur dans chaque personnage pour leur donner une présence.
Je l’ai lu mais je n’en ai gardé aucun souvenir !!
J’ai lu deux ou trois de ses romans et c’est vrai que c’est un auteur vraiment à part dans la production contemporaine.
Je t’avoue que je suis bien tentée !!
déjà rien que le titre, j’ai envie de fuir 😀
Je trouve le titre excellent !
J’ai envie de tenter aussi, ça a l’air drôle !
Oui ça l’ai, l’humour est quand même particulier, pas très raffiné 😉
2è essai pour mon com…
Je l’avais lu à sa sortie et en effet ça décoiffait ! Mais ce n’est pas aussi superficiel que cela parait… En revanche j’avais été décue par ses romans suivants !
C’est le risque quand on débarque avec une telle bombe, celui de se répéter ou de ne pas faire aussi original…
Par tes coms, je retrouve le talon d’Achille de l’Espagne.
Ce pays qui pendant des décennies, voire des siècles a eu la bride sur le coup avec un gouvernement totalitariste une religion inquisitrice , c’est retrouvé peu de temps après avec la mort de Franco dans une liberté totale d’être et de penser.
Le pays est passé du jour au lendemain du rien au tout. Et cela se ressent dans beaucoup de choses. Tellement que les parents de la nouvelle génération après franco est complètement perdu et n sait comment gérer sa progéniture.
Je vais mettre ce titre dans ceux à lire … un jour (la liste est tellement longue).
bonne journée
Il y avait en effet à l’époque une soif de tout tenter, tout expérimenter, tout goûter au moins équivalente à toutes ces années de frustration. C’est parti dans tous les sens et tous les excès.
J’ai lu deux ou trois romans de l’auteur, dont celui-ci me semble-t-il… mais pfff, tout s’est envolé… Je ne sais si je dois consulter… 😉
Mais non madame, c’est juste que le livre est léger…
Mais non madame, pas de souci, c’est juste que le livre est léger…
bon je ne vais pas me precipiter … pourtant j esens bien que tu t’es amusée
je cherche des bons livres en ce moment je ne trouve pas trop
Luocine
Oh la la…je l’ai lu à l’époque…purée déjà…et je ne me souvenais absolument pas de son contenu ! Comme souvent. Mais je me souviens que j’avais moyennement aimé.
Oh…je n’ai pas choisi…mais j’adore…le ptit monstre vert qui ai mis avec mon pseudo !!!! Il est expressif !!!
très féminin donc… et drôle? je note!
Rendez-vous manqué avec cet auteur sur « cosmofobia » que je n’ai pas réussi à terminer. Du coup, je suis un peu frileuse à me lancer dans un autre de ses ouvrages …
Je ne peux que te recommander d’essayer à nouveau avec ce titre.
J’avoue que, sans savoir pourquoi, j’avais une image plutôt négative de cet auteur (ah mais d’où viennent les à-priori ??)
tu viens de me donner envie de découvrir !
ravie 😉
Je l’avais lu et apprécié à sa sortie, mais je le relirai volontiers. La movida n’avait décidément rien à envier à la révolution des années 60 à Londres, avec le Rock, la mini jupe et la drogue.
Une voix bien à elle, c’est certain. Mais son précédent roman ne m’avait pas convaincu.
Lu il y a déjà un petit moment, j’en garde plutôt un bon souvenir de lecture malgré le côté « pas très raffiné », j’ai surtout retenu la plume de l’auteur et un portrait cash de cette fratrie en souffrance. Cosmofobia est dans ma PAL.
Je la relirai certainement, mais pas tout de suite, il doit être facile de faire une indigestion de ce style-là…
Lu il y a longtemps et pas accroché du tout.
Pas encore lu, mais ce titre me fait de l’oeil depuis quelques temps. J’aimerais le trouver en espagnol.
En langue originale, c’est toujours mieux quand on peut, pour ma part, je n’ai pas l’argot nécessaire…
Je souffrirai également avec l’argot mais ça me fera progresser !
Je l’ai lu il y a quelques années et je n’avais pas accroché. Du coup je me suis arrêtée là avec cette auteure.
J’avais vraiment bien aimé!