Pour faire régner l’ordre au Pérou, le général Benavides interdit l’Apra et le parti communiste. Les manifestations étudiantes sont réprimées, les participants emprisonnés. C’est ainsi que José María Arguedas échoue en 1938 à la prison d’El Sexto de Lima, expérience de quelques mois dont il fera un livre vingt ans plus tard, que Métailié nous donne à lire pour la première fois aujourd’hui.
Construite à la fin du XIXe siècle sous la forme d’un panoptique, cette prison offre un mode de surveillance optimal : les prisonniers sont sans cesse observés. Enfermés la nuit dans leur cellule, ils sont libérés le matin et vont et viennent d’un étage à l’autre. Mais ce monde-là a ses règles, semblables à celles de l’extérieur avec à sa tête des caïds qui font régner la terreur et tout en bas, des vagabonds et autres pauvres types qui encaissent brimades et humiliations. De simples étudiants manifestants contre la dictature se trouvent donc brutalement aux prises avec des assassins, violeurs et autres monstres humains.
Gabriel observe les hommes qui l’entourent et restitue ce monde hallucinant qui fonctionne sur la violence, l’avilissement, les rapports de domination/soumission, l’exploitation des faibles par les forts. Une jungle en quelques sorte, si ce n’est qu’il ne s’agit pas d’animaux mais d’êtres humains tout à fait conscients de la terreur qu’ils font régner. Le jeune étudiant parvient cependant à trouver un soupçon d’humanité et d’amitié auprès de quelques pauvres hères qui comme lui ne méritent pas un tel sort.
La lecture de ce roman n’est bien sûr pas de tout repos car certaines scènes sont violemment insupportables. Il est cependant intéressant d’un point de vue documentaire, sur la vie dans les prisons, les prisonniers laissés à leur sort, la survie. Et sur la nature humaine bien sûr, s’il était nécessaire de montrer que l’homme est son pire bourreau. Ceux qui se battent, s’affrontent et se tuent en prison sont ceux qui combattent la même dictature…
Cette publication permet aussi au public non hispanophone de découvrir ce roman de José María Arguedas, plus connu pour ses œuvres indigénistes. Lui-même métisse, il a beaucoup écrit sur la culture quechua, témoignant de sa vie et de son engagement en faveur des Indiens.
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El Sexto
José María Argueda traduit de l’espagnol par Eve-Marie Fell
Métailié, 2012
ISBN : 978-2-86424-759-3 – 188 pages – 18 €
El Sexto, parution au Pérou : 1961
Je ne l’ai pas lu, (pasencore…) mais je crois que cela fait partie des ouvrages qu’il faut lire, pour être un peu conscients de la bulle confortable où nous sommes, et de sa fragilité.
On mesure ainsi notre confort à vivre dans une démocratie comme la nôtre, en effet.
Je crois que j’ai frileusement passé mon tour…
Tu fais bien de signaler des scènes insupportables… pas pour moi, alors…
Merci pour toutes ces références sur la littéraure hispanique… Hélas, je ne suis pas ton rythme ! Je vais essayer d’en lire en espagnol mais ça me prend énormément de temps… En tout cas, celui-ci est noté !
Je m’en suis commandé un en espagnol, j’espère trouver le temps et la volonté d’en venir à bout.
Décidément, à chaque fois que je vois passer un titre édité chez Metailié chez toi, il m’intéresse. Il y a quelque chose entre cet éditeur et moi, je pense
Le charme latin, peut-être 😉
Je ne l’ai pas lu mais le note pour une future lecture ou acquisition !