Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin

Rouge BrésilRouge Brésil : en 1555, Nicolas Durand de Villegagnon, vice-amiral de Bretagne et chevalier de Malte, monte une expédition vers le Brésil au nom du roi Henri II. Il doit marquer la présence de la France sur ces nouvelles terres en fondant le royaume de la France antarctique. C’est en son nom que Dom Gonzagues recherche au Havre des enfants à embarquer : on lui a dit qu’ils feraient les meilleurs interprètes qui soient auprès des populations autochtones. C’est à ce titre que Just et Colombe Clamorgan sont recrutés grâce à l’appui de leur « tante », qui cherche en fait à se débarrasser d’eux afin de mettre la main sur l’héritage de leur père, ancien des campagnes d’Italie, ruiné et contraint de laisser ses enfants adorés à la charge de cette femme. Ils ont treize et quinze ans, en avouent deux de moins, et Colombe doit même se faire passer pour un garçon afin d’embarquer. Ils doivent aussi, sur conseil de cette tante, cacher leur identité. Ils sont prêts à tout car on leur a dit qu’ils retrouveraient leur père au Brésil.

Sur le bateau, Just se bat puis se lie d’amitié avec un autre enfant, Martin, recruté comme lui pour devenir « truchement ». Pour faire sortir son frère des cales du bateau où il a été enfermé, Colombe alias Colin, dévoile son nom : Clamorgan. Celui-ci rappelle tout de suite à Villegagnon l’amitié qu’il portait à leur père et l’amiral donne aux enfants le statut qui leur revient (sans toutefois deviner le sexe de Colombe).

Après une éprouvante traversée, les trois navires de Rouge Brésil accostent et les colons s’installent sur une île au large de la côte de Rio de Janeiro. Villegagnon essaie d’imposer la religion catholique et ses principes mais il se heurte au Freux, un Français déjà installé à leur arrivée qui sert d’interprète avec les populations locales mais aussi en grande partie de pourvoyeur d’eau et de nourriture. La tension monte rapidement entre les deux hommes, d’autant plus que Le Freux ne cède en rien sur son mode de vie (il continue à vivre avec plusieurs femmes) et attise la colère des colons contre l’amiral : qu’ils soient tapissiers ou boulangers, il les fait tous travailler comme des esclaves à la construction du fort Coligny. Alors que Just, de noble naissance, s’est rapproché de Villegagnon, Martin se tourne vers Le Freux tandis que Colombe se sent de plus en plus d’affinités avec le mode de vie indien, très proche de la nature.

Ces rivalités entre Français et autres considérations sur la grandeur de la Nature ne durent pas assez longtemps pour qu’on ait le temps de s’ennuyer. Car à ce moment critique, Villegagnon se rend compte qu’il ne parviendra pas seul à imposer la foi chrétienne en France antarctique et décide de demander de l’aide à son ancien condisciple, Calvin. Et c’est à l’arrivée de ces protestants que Rouge Brésil prend toute son ampleur. Sur cette île minuscule va se jouer un prélude aux querelles qui se déchaineront quelques années plus tard en métropole et déboucheront sur les massacres des guerres de religion. Au départ, Villegagnon est un homme proche de l’humanisme, plutôt tolérant et prêt à bien des concessions pour voir aboutir l’établissement de sa colonie : « Mieux vaut réunir tout le monde en Christ que diviser ce qui croient en lui« . Mais la rigueur et l’intolérance des protestants feront de lui un enragé, un être cruel et prêt à tout pour se débarrasser des huguenots. A une échelle réduite, on assiste dans Rouge Brésil à la montée de l’intransigeance, au repli de chacun sur ses convictions. Les deux factions sont irréconciliables au sujet de la présence réelle du Christ dans l’hostie consacrée. Les huguenots finissent par traiter les catholiques de cannibales, insulte suprême dans cette région où bien des humains sont morts effectivement mangés par leurs semblables.

Plusieurs choses me déplaisent chez Jean-Christophe Rufin. Je n’aime pas le personnage que j’ai pu entrevoir et il est l’auteur de l’un des livres les plus mauvais que j’ai lus dans ma vie. Il m’a donc fallu travailler sur le roman historique pour ouvrir Rouge Brésil, avec beaucoup d’a priori que les premières pages ont confirmé. L’écriture très classique voire recherchée (mots inusités, subjonctifs imparfaits) ne me plait pas et finit même par lasser (550 pages, quand même..).  Mais force est de constater que l’immense documentation utilisée pour la rédaction de ce roman est rendue de façon tout à fait fluide. Les enjeux théologiques complexes sont compréhensibles de même que l’évolution du formidable personnage qu’est Villegagnon, authentique chevalier de Malte qui incarne tous les déchirements, errements et excès des guerres à venir. C’est lui le grand homme de ce roman, éclairé par deux personnages fictifs, Just et Colombe qui représentent tous deux une tendance possible des colons devant l’immensité du territoire découvert et le dénuement des Indiens : l’établissement par la force militaire et le « bon droit » du colonisateur, et le respect des populations autochtones. De loin en loin, on aperçoit bien sûr les Portugais qui ne voient pas d’un bon œil l’installation de ces Français sur des terres que le pape a reconnu comme leurs (heureusement pour Villegagnon, Charles Quint a abdiqué, ce qu’il ignore). Le point de vue s’attache parfois aussi aux Indiens, à travers le personnage de Colombe partie vivre sur la côte. D’un côté le fanatisme, l’intolérance et la « civilisation », de l’autre des peuples désunis, souvent cruels mais globalement pacifiques et ouverts. Rufin échappe heureusement au manichéisme, au mythe simpliste du bon sauvage et de la nature rédemptrice. L’Indien n’est pas meilleur, il est différent.

Malgré un style trop chargé, Jean-Christophe Rufin écrit avec Rouge Brésil un roman historique exemplaire. Il choisit une période tumultueuse qui décide de grandes choses pour l’avenir, une période qui nécessite qu’on y revienne pour comprendre comment des êtres humains ont pu se déchirer, se tuer, s’anéantir au nom de ce qui n’était guère plus que des idéologies même si on les appelait religions. Le choix de la période est donc judicieux par ce qu’il implique, et celui des personnages ne l’est pas moins. Le mélange de personnages réels et fictifs est un classique du genre qui fonctionne ici très bien, Villegagnon ayant d’ailleurs vécu un destin des plus romanesques. Chacun représente un parti et une classe sociale, chacun agit en individu. Ainsi l’Histoire est avant tout l’histoire des individus, des gens petits et grands qui la forgent. Le fanatisme religieux n’est pas une fatalité mais le résultat d’attitudes et de mécanismes humains fonctionnant à petite échelle comme des engrenages.

Jean-Christophe Rufin sur Tête de lecture

Rouge Brésil

Jean-Christophe Rufin
Gallimard, 2001
ISBN : 2-07-076198-3 – 550 pages – 21 €

44 commentaires sur “Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin

  1. J’avais bien aimé cette grande aventure, il y a juste la relation entre les deux personnages qui m’a un peu dérangée si tu vois ce queje veux dire, sinon ce fut un beau moment de lecture !! On voyage 🙂 ce fut bien agréable de m’y replonger le temps de ton billet 😉 le style ne m’avait pas dérangé…de quel livre parles tu lorsque tu dis de l’auteur qu’il a écrit  » l’un des livres les plus mauvais lus dans ta vie  » ?

    1. C’était Globalia : ah la la, quel mauvais livre ! Au point qu’au début de ma lecture, je rigolais parce que je croyais que c’était une parodie tant tous les clichés du genre y sont présents. Mais le pire, c’était l’attitude de Jean-Christophe Rufin dans les médias à la sortie de ce livre : on aurait dit qu’il venait d’inventer la science-fiction !

    1. Je ne sais pas ce qu’il m’en restera en mémoire dans quelques années, c’est pourquoi j’ai fait ma petite fiche (dont ce billet est une partie) : c’est plus sûr 😉

  2. Je ne suis pas très férue de romans historiques, ni obligée de travailler sur ce sujet ! 😉 Il y a des exceptions bien sûr, mais qui ne me viennent pas à l’esprit ici…

    1. J’aime le roman historique, mais pas forcément le français contemporain, c’est pourquoi je lis quelques-uns des auteurs importants du genre chez nous. Celui-ci ne manque pas d’ampleur (même si j’étais vraiment toute prête à ne pas l’apprécier…), mais bon les Américains ont toujours ma préférence, suivis par les Espagnols et autres hispanophones, chers à mon coeur.

    1. Je n’ai pas trouvé le style lourd. C’est plutôt que : le subjonctif, les mots inusités, les phrases à n’en plus finir et un certain lyrisme, ça me va quand je lis des livres des XVIIIe ou XIXe siècle. A partir du XXe, ça commence à dater, et aujourd’hui ma foi, je trouve ça totalement périmé. Un clacissisme aussi marqué n’est pas un style qui me convient. Et puis tout ça manque d’humour…

  3. J’ai abandonné l’adaptation en cours de route mais je pense que le roman pourrait me plaire. Mr Lou l’avait lu alors qu’il venait d’arriver en France, pour améliorer son français… je me dis que ce n’était pas un livre évident pour commencer !

  4. j’ai assez peu adhéré à son livre sur Jacques Coeur, je l’ai lu sans ennui mais sans passion non plus
    je te sens plus enthousiaste que moi pour cet auteur, je n’ai pas lu celui là

    1. Ton manque d’enthousiasme vient peut-être du fait que c’est une écriture très conventionnelle ? Ce qui m’a surtout plu dans Rouge Brésil, ce sont les conflits religieux (l’histoire de l’Eglise m’a toujours intéressée) et force m’est de constater que Rufin les explicite vraiment bien.

  5. Tu avais piqué ma curiosité en ne citant pas le titre du roman le plus mauvais de Ruffin. Je vois que je n’ai pas été la seule. Je n’ai pas lu ce bouquin mais par contre j’avais bien aimé Rouge brésil dont tu analyses bien les mérites; ET comme je n’avais pas été gênée par le style!

    1. ça n’est pas le plus mauvais livre de Rufin (je n’en ai lu que deux !), c’est pire : un des plus mauvais livres que j’ai lus 🙂

  6. Je viens de lire « Le grand Cœur », du même auteur et c’était mon premier Rufin Je lis rarement des romans historiques mais je pense que c’est un genre qui passe assez bien auprès des élèves. Je note donc (mais pour plus tard).

  7. J’ai un aimable souvenir des aventures de Rouge Brésil, pareil pour L’abyssin et encore un autre du même auteur. Mais j’ai comme toi crié au scandale à la lecture de Globalia, il m’a empêché d’apprécier « La balade de Lila K ».
    Je ne lis plus JC Rufin.

  8. J’ai lu Rouge Brésil il y a longtemps, j’avais plutôt apprécié, mais j’ai plus aimé L’Abyssin. Et puis j’ai arrêté avec Ruffin, en grande partie pour ce que tu dis de lui. Il y a un truc (ou plusieurs) qui m’agacent chez lui tant dans le personnage que dans son écriture

  9. Je ne l’ai jamais lu et l’autre jour en voyant une adaptation à la télé j’ai voulu regarder. Après avoir regardé un bon moment, j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dedans et du coup je n’ai pas regardé la fin…

    1. Je ne sais pas ce qu’il en est de cette adaptation, souvent elles son réductrices, mais ici elle rend peut-être plus abordables les conflits évoqués. Ou peut-être pas…

  10. Ce roman tiré d’une histoire vraie et très bien documenté a été un de mes grands coups de coeur. Je le recommande.

    1. Contre toute attente, il m’a plu aussi. On apprécie plus un livre quand on pense au départ qu’on ne l’appréciera pas 😉

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