Lilith et sa famille quittent Buenos Aires pour la Patagonie. La grand-mère maternelle vient de mourir et les parents ont décidé de reprendre la pension qu’elle tenait à Bariloche car Enzo, le père horloger, ne gagne que difficilement sa vie dans la capitale. Ils descendent donc vers le Sud, vers les racines familiales d’Eva, la mère de Lilith, née de parents allemands. Ce faisant, ils descendent vers le passé, celui de la famille, celui du pays. Avec Waldoka, Lucía Puenzo nous plonge dans l’Argentine d’après la Seconde Guerre mondiale.
La route de Lilith croise un jour celle de Josef, médecin allemand en exil. Pas n’importe quel Josef et pas n’importe quel médecin : « l’assassin le plus sadique de tous les temps ». Le regard de Josef est immédiatement attiré par Lilith, si petite, et par sa mère, enceinte. Lui qui n’a pas expérimenté sur des êtres vivants depuis si longtemps sent monter en lui l’excitation de la science. Au volant de sa Chevrolet, il suit la Citroën de la famille sur l’immense route poussiéreuse. Surpris par la grêle, le convoi fait halte chez des Indiens mapuches. Lilith échange Herlitzka, sa poupée de porcelaine fabriquée par son père contre Wakolda, une poupée mapuche.
Arrivé à Bariloche, dans cette pension déserte, Josef n’aura de cesse de s’introduire dans la famille, de séduire mère et fille afin que toutes deux acceptent de se soumettre à son traitement : Eva pour le bien du bébé qu’elle porte, Lilith pour afin grandir, pour ne plus être cette adolescente de douze ans qui en parait huit. Mère et fille, héritières impures de gènes aryens, fascinent Josef. Elles, incertaines de leur corps, isolées, sont séduites par les manières si irréprochables de cet homme discret.
Les admirateurs du « scientifique le plus admiré du Troisième Reich » le sont beaucoup moins. C’est que dans ce coin reculé du monde, anciens dirigeants et fervents sympathisants nazis vivent en nombre et en paix. Certains comme Eichmann et Mengele sont traqués, mais d’autres, bien plus nombreux, coulent entre eux des jours paisibles, accueillis à bras ouverts par le gouvernement péroniste.
Lucía Puenzo emprunte habilement les chemins encore sensibles du passé nazi de son pays. C’est par les yeux d’une enfant, comme elle aime à le faire, qu’elle donne à voir le vieux tortionnaire que l’âge et la fuite n’ont pas changé. La narration omnisciente nous introduit aussi dans les pensées du médecin, en gardant cependant une certaine distance. La volonté scientifique domine tout en lui, il est dévoré par son désir d’expérimentation. Dès lors Eva et Lilith sont des proies.
L’inquiétude qui naît des relations entre Josef et la famille de Lilith ; l’impunité dans laquelle les anciens nazis vivent à Bariloche ; la traque d’Eichemann par les services de renseignements israéliens : autant de pièces à charge contre l’Argentine de l’après-guerre qui permit à des criminels de guerre de finir leur vie dans la quiétude. Ce triste tableau de son pays, Lucía Puenzo l’aborde par son versant intimiste, au cœur d’une famille qui quinze ans après la guerre subit encore la folie du médecin d’Auschwitz.
Lucía Puenzo a adapté son livre au cinéma sous le titre (français), Le médecin de famille.
Lucía Puenzo sur Tête de lecture et un article de L’Express sur les anciens dignitaires nazis en Argentine
Wakolda
Lucía Puenzo traduite de l’espagnol par Anne Plantagenet
Stock, 2013
ISBN : 978-2-234-07183-4 – 219 pages – 19 €
Wakolda, parution originale : 2011
Je ne lirai pas le livre, mais j’aime beaucoup ton billet !
Dommage, j’aurais préféré donner envie…
Il est dans ma PAL. Lecture prévue bientôt.
Bonne lecture.
Pour moi, Wakolda est un très très grand livre, comme Kinderzimmer à sa façon. Bises
Je n’ai pas encore lu ce roman de Valentine Goby, mais je le ferai certainement car les échos sont très positifs.
merci pour ce billet si bien fait sur un livre que je ne lirai pas…On n’a pas tout les courages
Luocine
Personnellement, j’ai trouvé le personnage de Josef supportable (à lire) parce que loin de l’époque de référence je pense. Je n’aurais pas lu un roman sur Mengele dans ses oeuvres. Le point de vue choisi est pour ça habile : rien de ce qui est décrit n’est insupportable, c’est l’homme qui l’est, dans sa froideur, son insensibilité et sa perversité. Mais je comprends qu’on n’ait pas envie de passer du temps avec un type comme ça.
Cet homme a quand même quelque chose de glaçant et de pervers, dans sa frénésie à noter sur son cahier des informations qui le passionnent. Et je trouve que Lucia Puenzo a vachement bien donné une dimension élégante, intimidante, fascinante au personnage. Et comme elle l’a dit à une conférence au salon, dimanche, cet homme qui prônait la race aryenne a finalement vécu 35 ans en Amérique du sud !
D’un autre côté, pour qu’il séduise, ou au moins fascine, elle ne peut pas en faire un monstre repoussant. Il garde une certaine forme de séduction, celle du Mal, ce qui convient particulièrement bien au personnage de Lilith, bien sûr. Malin ce roman, très malin.
J’avais noté ce titre à sa sortie, plutôt de bons échos, mais je n’ai pas eu encore le courage de m’y lancer – thématique pas évidente… A pparemment ça vaut quand même le détour.
C’est une approche vraiment originale. Le thème des anciens nazis a certainement fait l’objet d’autres romans en Argentine (écrits par des Argentins), mais je n’en connais pas.
Je n’ai pas encore vu le film, mais je me demande si j’en ferai la même interprétation que le roman. Dans le roman, je trouve qu’elle laisse beaucoup de non-dits qui me plaisent et m’intriguent à la fois, notamment par rapport à la poupée Wakolda !
Mais oui tout à fait, car enfin : qu’y a-t-il dans le ventre de cette poupée… ?
Exactement ! C’est le deuxième roman que je lis d’elle, et je le referme avec le même sentiment : je me dis qu’il faut que je le relise en entier car il me manque une clé pour comprendre la fin (même si j’ai souvent relu deux fois les paragraphes pour être sûre), et en même temps, je n’ai aucun sentiment de déception tant j’ai été envoûtée tout au long de la lecture, avec toujours ce sentiment de danger.
Je remarque également que le commentaire de BMR sur le film retranscrit ce que j’ai ressenti pour le livre, donc me voilà plus motivée pour voir le film 🙂
On avait bien aimé le film (Le médecin de famille) que l’auteure a elle-même adapté de son bouquin.
Une ambiance angoissante, un peu à la Hitchcock, qui s’installe dès les premières images de ces landes battues par les neiges et les tempêtes. Le décor du fabuleux hôtel ressemble presque à celui de Shining. On s’attend constamment au pire. Et pourtant aucune violence ne nous sera montrée. Le passé de Mengele est « seulement » évoqué par quelques croquis de ses carnets qu’il continue de gribouiller en prenant les mensurations de Lilith (et même de ses frères et parents). Mais de chaque image, trouble et ambigüe, nait le malaise, entre horreur et fascination. Le mal et son attirance. Même les simples poupées que fabrique le père semblent envoûtées et maléfiques !
Lucia Puenzo est une cinéaste diabolique et habile … tout comme son personnage, le bon docteur Mengele, et elle nous livre un film inclassable qui n’est ni une nécessaire dénonciation historique, ni un thriller fantastique d’épouvante.
Depuis, le bouquin est dans la PAL … on a hâte d’y retourner …
Dans le livre, on sent aussi très bien le malaise autour des poupées, avec leurs corps démembrés… je pense que tu ne seras pas déçu par le roman. Et moi, je vais mettre la main sous peu sur le film.
Je suis déjà stressée rien qu’en lisant ton post !
Ce n’est pas un livre de tout repos, c’est vrai…
Je n’ai pas pu aller voir « le médecin de famille » et je le regrette. Le livre me tente beaucoup.
Ça doit pouvoir se trouver sur internet… parce que c’est pas dans mon trou qu’on passe des films argentins au cinéma…
Peut-être est-ce dû au sens de la lecture (cinéma → livre) qui laisse rarement toute sa place à la chose écrite, mais on a trouvé le film de l’auteure plus abouti, plus construit, un peu moins focalisé sur le seul ‘couple’ Mengele/Lilith et qui offrait d’autres pistes de lecture, d’autres histoires entrecroisées.
On ne saurait trop vous conseiller de lire ce livre et surtout de voir le film qui est sorti en DVD.
Ca y est, j’ai vu le film, et il y avait une chose que je n’avais pas compris dans le livre et que j’ai compris grâce au film. Mais il n’apporte pas de réponse à la dernière scène du livre !! Et j’ai quand même préféré le roman qui m’a emportée bien plus loin que le film.
Cela dit, je me rends compte combien le livre est plus complet. Un film est souvent plus fort en évocation mais pas en signification, et les deux médias sont bien complémentaires.
je note celui là mais depuis quelques temps je note pratiquement tout ce que tu chroniques, c’est terrible pour ma PAL
C’est intriguant mais ça a l’air assez glauque. Je n’arrive pas à me prononcer car ce n’est pas ce qui me tente pour le moment, mais peut-être un jour.
Je trouve cette approche du passé de l’Argentine, sur un point qui fait mal, tout à fait originale.