Le Diable s’habille en Voltaire de Frédéric Lenormand

Le diable s'habille en voltaire 001Voltaire, vous connaissez ? Pas tant LE philosophe des Lumières que l’homme ? Si non, Frédéric Lenormand se propose à travers sa série « Voltaire mène l’enquête » de vous faire découvrir une facette de cet hypocondriaque doublé d’un goinfre prétentieux. Pas de doute que Le Diable s’habille en Voltaire rhabille le grand homme pour l’hiver, au moins.

Firmin Pollet, vicaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, n’aspire à rien d’autre qu’à la tranquillité. Oui mais voilà qu’on lui tue un de ses professeurs, le père Lestard. Et tout tend à prouver que le Diable en personne est  l’assassin ! Pour contrecarrer les plans de l’Ennemi, qui d’autre qu’un « impie notoire dont le patronyme rimait avec Lucifer chez tous les bons chrétiens de Paris, de province, et aussi loin que ce nom était connu » ? D’autant plus que Voltaire ne peut refuser : le père Pollet lui assure en échange l’indulgence de l’Etat envers ses écrits, ses fameuses Lettres philosophiques qui heurtent la morale en tous lieux. Le voilà donc parti sur les traces du démon, et d’une jupière trépassée qui hante les rues de Paris.

Cette rocambolesque enquête n’est que prétexte. Le plus important ici est à chercher dans la reconstitution du monde des lettres au XVIIIe siècle, et en particulier dans l’homérique parcours de Voltaire pour faire publier et jouer sa pièce, et réformer « l’art dramatique pour l’édification des populations éblouies », rien de moins. Car l’homme est ambitieux, et surtout prétentieux. Ce qu’il veut sur scène, ce sont des larmes et du sentiment. Mais il n’a à disposition que des acteurs hiératiques, à la diction ampoulée. Alors qu’il entend fonder la tragédie médiévale française avec son Adélaïde du Guesclin, ses acteurs sont vêtus à la dernière mode : « Ils s’étaient coiffés de perruques volumineuses, empanachées de plumes et de rubans dont l’édifice tremblotant menaçait ruine ». Et ils ne respectent même pas son génie.

Le malotru qui devait jouer Vendôme, en revanche, laissait à désirer. Quinault tenait son texte d’une manière à ne pas définir s’il s’agissait d’un manuscrit ou d’un torchon.

–          Savez-vous que j’ai compté vingt-huit « Ô ciel ! » ? demanda-t-il sur le ton du bedeau qui découvre des boutons de culotte dans le produit de sa quête. Trente-trois « cruel » ? Quatre-vingt-six fois le mot « cœur » ? Sans parler des innombrables « Dieu ! » qui amènent « odieux », et « larmes », « alarmes » !

Oui pauvre Voltaire car tout prétentieux soit-il, on l’aime tant il est ridicule car inadapté à son époque. Il est fier, égoïste, mais tellement clairvoyant, tellement prompt à dénoncer la bêtise, la superstition et l’incurie de ses contemporains.

Frédéric Lenormand n’épargne rien à son héros philosophe et c’est grâce à l’humour qu’il nous le rend supportable. Le Diable s’habille en Voltaire est un festival de situations cocasses, souvent au désavantage du grand homme. Rien ne lui échappe : les marquises, la police, l’Eglise… Jeux de mots et réparties drolatiques se succèdent avec bonheur, comme les scènes rocambolesques (qu’elles se déroulent dans une baignoire ou dans un cimetière, c’est toujours l’aventure !). Tout ça avec une grande légèreté qui permet à Humour et Érudition de former un couple épatant, ça n’est pas donné à tout le monde.

Parmi les candidats au coup de massue voltairien figurait en bonne place le chevalier de La Morlière, thuriféraire très enthousiaste, qui proclamait très haut son admiration pour le précédent succès du dramaturge. Comme il employait exactement les formules dont usait l’auteur pour féliciter ses collègues au sujet de leurs torchons bons à jeter au feu, les compliments suscitèrent principalement de la circonspection.

Frédéric Lenormand sur Tête de lecture

 

Le Diable s’habille en Voltaire

Frédéric Lenormand
Lattès, 2013
ISBN : 978-2-7096-4290-3 – 300 pages – 18 €

 

23 commentaires sur “Le Diable s’habille en Voltaire de Frédéric Lenormand

  1. tu me donnes très envie de lire ce livre dont je n’avais pas entendu parler. Ah les contradictions de nos chers intellectuels !
    Voltaire enrichi par la traite des esclaves mais parlant de tolérance…
    Luocine

  2. C’est drole, je viens juste de finir mon com sur « la baronne meurt à 5 heure » du même auteur ( à paraitre dans la semaine), j’aime beaucoup aussi l’humour de cette série que j’ai découvert par le biais du prix des lecteurs polar du livre de poche de l’an passé. On se détend intelligemment et c’est beaucoup plus fin que du Adrien Goetz.

    1. J’ai aussi un autre tome de la série sous le coude. Je n’ai pas lu Adrien Goetz, mais pour ma part je dirais par exemple que c’est beaucoup mieux que Jean-François Parot…

  3. Une autre bloggeuse que je suis l’a tout juste fini et comme toi, a beaucoup apprécié le personnage de Voltaire. Devant tous ces bons avis ça éveille ma curiosité ^^

  4. Tiens je viens aussi de le terminer (je vais faire le billet) et j’ai enchaîné illico sur un autre de la série !!! Moi aussi j’ai été très agréablement surprise, les autres livres ce l’auteur ne m’ayant pas laissé un souvenir impérissable. mais là c’est une vraie réussite 🙂

    1. Si on aime le roman historique, l’humour et un style enjoué, on ne peut qu’aimer. C’est un registre d’érudition joyeuse et un feu d’artifice d’esprit qui ne peuvent que réjouir.

      1. Tout à fait d’accord ! Il y a des genres qu’on pense ne pas aimer, parce qu’on a parfois des a priori, juste qu’à ce qu’on trouve LE livre qui nous fait changer d’avis.

    1. Tiens, je me demande bien comment tu la trouveras. Tu as souvent des avis différents des autres et tout à fait pertinents (même si ce ne sont pas les miens, ils sont argumentés donc pertinents). Me voilà donc curieuse de savoir ce que tu en penseras…

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