Dans l’ombre des Tudors de Hilary Mantel

Dans l'ombre des Tudors« Thomas Cromwell est une énigme » écrit Hillary Mantel dans la postface au premier tome de la trilogie qu’elle consacre à celui qui vécut dans l’ombre des Tudors. S’il l’est pour elle, une Britannique, que dire du reste du monde ? D’autant plus qu’un autre Cromwell lui dispute la vedette… Dans cette époque passionnante, haute en couleurs, débordante de luxe et de complots, choisir un homme dont on ne sait presque rien  est un défi d’historien mais une chance d’écrivain : imaginer, deviner voire créer l’homme qui se cache derrière le conseiller s’avère stimulant et romanesque.

Marié depuis près de vingt ans à Catherine d’Aragon, la veuve de son frère, le roi Henri VIII d’Angleterre n’a pas d’héritier mâle. A cette situation politiquement dangereuse se conjugue l’amour que le roi porte à la jeune Anne Boleyn : s’il divorçait de Catherine, il épouserait Anne qui lui donnerait un fils légitime, pas un bâtard comme il en a déjà un.  Il compte sur le cardinal Wolsey pour que le pape accède à sa demande d’annulation pour inceste. Thomas Cromwell, obscur fils de forgeron (gallois ? irlandais ? diabolique peut-être…) est l’homme tout dévoué du cardinal, son protecteur et mentor.

Le problème me semble-t-il majeur avec l’histoire si bien connue du divorce d’Henri VIII, c’est qu’on en connait la fin et qu’elle dure très longtemps. Pendant sept longues années, Henri VIII en pince pour Anne qui se refuse à lui et lui fait croire à sa virginité. Les tractations avec Rome n’en finissent pas, on se renvoie des arguments, on ergote, on temporise. Rappelez-vous, à la fin de la première saison des Tudors, Henri et Catherine n’avaient pas encore divorcé… Et le lecteur dans tout ça ? S’ennuie-t-il ? Eh bien non, enfin il y a bien quelques ventres mous, mais pour qui aime cette période de l’histoire anglaise, le plaisir est au rendez-vous.

Il est difficile d’estimer la crédibilité historique de ce Cromwell-là. Mais cette énigme se révèle être un personnage romanesque intéressant tant Hilary Mantel l’humanise. Après la chute de Wolsey, il ne sait rien de son sort : ces hommes qui frappent à sa porte sont-ils là pour l’emmener à la Tour ou pour lui ouvrir de nouveaux horizons ? Il n’est pas que le conseiller du roi, il est aussi un mari qui pleure sa femme et un père qui pleure ses enfants. Sa maison se présente comme un refuge pour les enfants, les animaux et même pour ceux que Thomas More persécute. Car ce Thomas More-là n’est pas ici le doux humaniste qu’on nous montre parfois : c’est un intransigeant qui fait brûler les « hérétiques » par charrettes entières, au nom du pape de Rome et de la vraie foi.

Alors oui, malgré l’éloignement historique et temporel, malgré la complexité des intérêts et des tractations, malgré la demi-douzaine de Thomas (au moins), malgré des personnages désignés tantôt par leur titre, tantôt par leur nom, on suit Cromwell dans l’ombre des Tudors. Le style n’y est certainement pas pour rien. Car Hilary Mantel s’empare du genre historique sans en adopter les codes, choisissant par exemple une surprenante narration au présent. Thomas Cromwell n’est souvent pas plus que « il » et le flot de ses pensées se mêle sans ponctuation spécifique aux discours rapportés.

Il baisse les yeux au cas où le duc chercherait à lire ses pensées. Il songe, monseigneur aurait fait un si bon roi ; si bienveillant, si sûr et affable dans ses relations, si équitable, si vif et perspicace. Son règne aurait été le meilleur, ses serviteurs, les meilleurs serviteurs ; et comme il aurait apprécié son état.

On s’étonne de quelques apparitions surprenantes d’un « nous ». Bref, le style est inhabituel mais permet de pénétrer plus intimement la conscience des personnages et particulièrement celle de l’artisan du schisme.

J’avais commencé la lecture de ce livre en anglais il y a quelques années, puis renoncé en raison de sa complexité. Pourtant la toute première scène m’est restée en mémoire tant Hilary Mantel la rend visuelle : Cromwell battu par son père ivre, presque à mort dans la rue, dans le caniveau et la boue. Dès le premier chapitre, vous voilà précipité dans l’ombre des Tudors, dans les pas de Thomas Cromwell.

Hilary Mantel sur Tête de lecture

Le Conseiller – 1 : Dans l’ombre des Tudors

Hillary Mantel traduite de l’anglais par Fabrice Pointreau
Sonatine, 2013
ISBN : 978-2-35584-170-6 – 809 pages – 23 €

Wolf Hall, parution en Grande-Bretagne : 2010

18 commentaires sur “Dans l’ombre des Tudors de Hilary Mantel

    1. Je m’y suis faite très vite. C’est étrange c’est vrai, mais vraiment très fluide : on ne se demande jamais par exemple qui est en train de penser ce qu’on lit (alors qu’elle ne l’indique pas toujours). Et j’ai mis quelques pages à me rendre compte que c’était au présent tellement tout coulait bien !

  1. Je le commence tout juste là … troisième chapitre …. Pour l’instant, c’est un peu plat, sans doute parce que je m’ attendais à un roman historique au style plus conventionnel … Mais tu l’a mis dans « A lire », je vais m’accrocher ….

    1. Moi, j’ai déjà été soufflée par le premier chapitre : tu ne le trouves pas particulièrement marquant ?
      Et il y a bien deux ou trois longueurs ici ou là (parce que les tractations autour du divorce duuuuurent), mais franchement, c’est prenant et le style si particulier est très fluide.

  2. Avec tout ce que j’entends de bien sur cette série, il faudrait vraiment que je m’y mette d’autant que ça parle quand même de l’histoire anglaise – donc tout pour me plaire !

    1. C’est certain qu’il vaut mieux être motivé : trois volumes à au moins 800 pages chacun, il faut en vouloir. Pour ma part, j’ai lu très vite ce premier tome car je trouve cette période de l’histoire britannique tout à fait passionnante.

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