Un beau jour, George Catlin décide de tout laisser tomber : son avenir d’avocat et de peintre de salon. Il quitte son ancienne vie et part à la rencontre des Indiens qui l’ont émerveillé alors qu’ils défilaient dans les rues de Philadelphie. Quand commence Bison de Patrick Grainville, nous sommes en 1832 et Catlin a déjà peint les Indiens rencontrés le long du Mississippi. Il remonte maintenant les affluents du Missouri et séjourne avec des Sioux, ceux de la tribu d’Aigle Rouge.
Catlin et son traducteur Bogard vivent au plus près des Indiens. Ils partagent leur quotidien, leur wigwam, leur nourriture. L’ambition de Catlin est de récupérer des objets indiens en vue de fonder un ou des musées. Car il a l’intuition, déjà au début des années 1830, que la civilisation indienne est appelée à disparaître sous peu. Bientôt il n’en restera rien et il veut être celui qui montrera au monde sa grandeur, son raffinement, ses mœurs, sa diversité. Pour ça, il échange ou obtient divers ustensiles du quotidien, des bijoux ou des armes. Il ne cache rien à ses hôtes de son ambition. Il ne le pourrait d’ailleurs pas puisqu’il souhaite aussi les peindre.
Parce que c’est un homme généreux doublé d’un ethnologue, Catlin se veut un témoin neutre, un observateur. Il ne veut ni intervenir ni interférer dans les décisions de la tribu. Mais le temps passant, des liens se créent entre lui et les différents habitants de ce village dont certains sont à leur manière des héros. Car tout commence comme dans un roman, avec Aigle Rouge ravissant une jeune indienne crow pour en faire sa quatrième femme. Cette jeune Louve Blanche ne fascinera pas que lui, car c’est une jeune femme hors normes, consciente de sa beauté et du pouvoir qu’elle lui confère. Oiseau Deux Couleurs, le chamane est lui aussi un être fascinant, un homme-femme comme on en rencontrait alors dans les tribus. Et il y a Cuisses, la troublante et bien-nommée qui fera momentanément oublier à Catlin l’amour qu’il porte à sa femme.
Le peintre peint de multiples scènes de la vie des Indiens, que Patrick Grainville anime d’un souffle grandiose. Ce que l’écrivain ne peut pas peindre, il le décrit dans des scènes débordantes au vocabulaire prolifique. Les descriptions de la nature et des animaux (les bisons, les chevaux) sont d’une ampleur saisissante de vie et de mouvement. Catlin lui écrit aussi dans ses carnets, des carnets destinés à être lus par tous et qui ne disent rien de son intimité mais que le romancier se permet d’étoffer. Le lecteur de Bison de Patrick Grainville vit donc au plus près lui aussi de la tribu : petites querelles intimes, chasses aux bisons, guerres sempiternelles, les Sioux sont encore maîtres chez eux, même si la présence blanche se fait de plus en plus prégnante.
Patrick Grainville compare souvent Catlin à d’autres peintres d’Indiens venus après lui, et notamment à Audubon que manifestement il n’aime pas. C’est que Catlin est, pour l’époque, un homme très ouvert et compréhensif : il observe, cherche à comprendre sans condamner. En ce sens, il fait figure d’anthropologue. Un aspect de la culture sioux lui résiste pourtant : le « masochisme indien », ce goût pour la souffrance qui se manifeste par exemple au moment du deuil ou de la danse du Soleil.
A travers l’immensité encore presque intacte de la prairie, Caitlin observe, Catlin peint pour la postérité. Ses tableaux voyageront jusqu’en Europe, ils toucheront les Romantiques, Baudelaire et Sand les admireront. Ils constituent aujourd’hui un témoignage de première main, un dernier regard sur ce monde ancien qui a dû laisser place dans le sang au Nouveau.
Bison
Patrick Grainville
Seuil, 2014
ISBN : 978-2-02-113889-4 – 317 pages – 20 €
Je n’ai pas réussi à rentrer dans ce roman, malgré mon intérêt pour le thème et l’auteur !
C’est dommage. Personnellement, je l’ai lu en une journée, c’est dire si je me suis immergée dans ce texte. Il y a beaucoup de descriptions mais j’ai trouvé que l’auteur ne rendait pas ça fastidieux, au contraire, il déploie toute sa poésie dans cet exercice…
Qu’est-ce qui t’a rebutée en fait ?
Ton billet est tentant et puis je vois le commentaire d’Hélène .. je vais attendre qu’il arrive en bibliothèque.
Je ne sais pas ce qui n’a pas plu à Hélène mais j’ai vraiment trouvé ici un beau texte, tant sur la vie des Indiens que sur la position de ce peintre qui est quasi le seul à comprendre qu’il peint la fin d’un monde. Il n’est d’ailleurs pas très à l’aise avec tout son trafic d’objets, puis avec les Indiens qu’il exhibera plus tard en Europe, comme d’autres le feront dans des zoos humains…
encore plus envie de le lire avec tes commentaires !
J’ai entendu l’auteur en parler à la radio au moment de sa sortie, ça me plairait bien de le trouver en bibliothèque…
J’ai attendu et je l’ai trouvé 😉
Je l’avais repéré, je le lirai peut-être quand il sortira en poche mais il n’y a pas d’urgence pour l’instant.
Je me sens à l’aube d’une nouvelle période western, il va donc probablement y en avoir d’autres ici…
J’ai justement été voir une expo le week-end dernier sur les peintres américains du 19ème siècle et il y avait des portraits magnifiques peints par Catlin (le site de l’expo au cas où, si tu passes en Suisse: http://www.fondation-hermitage.ch/Actuelle.55.0.html?&cHash=c6db7dbeb38a9ee79207205c3f93b1ad&tx_ttnews%5Btt_news%5D=248#.VD0iwxZTB8E). Du coup, j’ai bien envie de découvrir ce livre.
Oh, voilà que je regrette d’être si loin de la Suisse ! Mais le catalogue du coup me fait de l’oeil, il a l’air de recenser pas mal d’oeuvres et d’artistes.
J’ai fini ma visite juste avant la fermeture donc je n’ai pas eu le temps de vraiment feuilleter le catalogue. Mais l’expo couvrait plusieurs mouvements (Hudson river, luministes, etc) qui ont été de vraies découvertes pour moi. Redis-moi si tu commandes le catalogue, je suis curieuse de connaitre ton avis…
Je ne sais pas si je lirais ce livre un jour mais, à lui seul, ton billet m’a déjà un peu transporter dans ces contrées lointaines…
C’est certainement parce que j’ai été transportée moi aussi, le temps d’une lecture 😉