Gretel and the Dark, very dark places by the way. D’abord Vienne en 1899, où réside l’éminent docteur Breuer, qui savoure son célibat temporaire pendant que madame est en villégiature. Voilà que Benjamin, son garçon à tout faire lui ramène une jeune fille gravement blessée et inconsciente. Laquelle n’est pas du goût de la vieille gouvernante Gudrun, qui sait d’expérience que son patron est sensible aux jeunes femmes. Mais celle-ci se comporte très bizarrement : elle dit ne pas avoir de nom ni de parents, prétend n’être là que pour tuer le monstre avant qu’il ne cause de graves dommages. Le docteur Breuer voudra-t-il bien l’aider ?
C’est à la première personne que la petite Krysta raconte son quotidien. Sa mère venant de mourir, son père est contraint de déménager pour s’installer dans une maison qui ne plait pas du tout à la petite, d’autant plus que le père n’a pas emmené Greet, la bonne qui racontait tant d’histoires fascinantes. Krysta, qu’on peut sans peine qualifier de peste, ne fait rien pour faciliter son intégration, se rebelle, désobéit au point que son père doit l’enfermer. Par la fenêtre de sa prison, elle voit un de ces animaux qui peuplent le zoo attenant. Il dit s’appeler Daniel et il mange des vers. C’est dégoutant, mais Krysta surmonte son dégoût et passe à travers les barreaux pour le rejoindre.
A ce stade du récit de Krysta, le lecteur pense à l’excellent roman de l’Irlandais John Boyne : Le garçon en pyjama rayé dont Bruno le jeune héros est âgé de neuf ans. Lui aussi déménage contre son gré, lui aussi entre en relation avec les créatures affamées et crasseuses qui vivent tout près de sa nouvelle maison. Parce qu’elle ne sait pas où elle vit ni ce que fait son père, Krysta ne nomme jamais le lieu où elle se trouve. Pour Bruno, qui lui non plus ne savait pas, c’était Auschwitz, pour elle, c’est Ravensbrück. Un camp de femmes et d’enfants où l’on pratique des expériences médicales. Fille du médecin du camp, Krysta est relativement privilégiée malgré son terrible caractère, jusqu’au jour où…
Un grand nombre d’années sépare la petite Krysta et la jeune fille que le docteur Breuer appelle Lilie, faute de connaître son nom. Il serait coupable de dévoiler ce qui les lie tant l’entrelacement de leurs histoires respectives agit comme un des moteurs de l’intrigue. Tandis qu’une main cherche à se refermer sur Krysta, Lilie essaie de convaincre le docteur et bientôt Benjamin de l’aider à tuer le monstre. Mais le célèbre psychanalyste, taraudé par le démon de minuit et la jalousie envers son jeune employé n’aura de cesse que d’éloigner celui-ci pour parvenir à ses fins. Toutes deux sont en danger, toutes deux menacées par l’ogre, la sorcière ou autre figure du Mal croisée dans les contes dont l’une et l’autre se nourrissent.
Une petite fille peut-elle se débarrasser du Grand Méchant Loup ?
Des choses si affreuses que je ne peux pas te les raconter. Des choses si affreuses que je ne peux pas te les raconter. Des choses si affreuses…
Ne pas raconter, taire, voire oublier : est-ce un bon moyen pour que les choses n’adviennent pas ? Ou bien alors, faut-il dire et répéter, encore et encore, toujours la même histoire et les mêmes horreurs ?
C’est une torture supplémentaire de penser que cette génération aussi devrait endurer nos souvenirs. Il est presque impossible de trouver le pont d’équilibre entre la transmission du fardeau des vils détails et l’assurance que la vérité ne sera jamais oubliée.
Eliza Granville a choisi de raconter plutôt que de taire ; elle le fait par le biais des contes si sombres et cruels de notre enfance, réservoirs de cauchemars et de peurs ancestrales, mais aussi de mots et de motifs qui permettent de créer d’autres mondes quand le nôtre s’avère insupportable.
Peut-être est-ce ce qui arrive quand on invente des histoires à l’intérieur d’histoires qui sont elles-mêmes des contes de fées : elles deviennent horriblement réelles.
Lire Gretel and the Dark procure de ces plaisirs étranges qui captivent et font peur, à l’instar de certaines oeuvres vénéneuses comme Le Labyrinthe de Pan.
Gretel and the Dark (Gretel and the Dark, 2015), Eliza Granville traduite de l’anglais par Carine Bruy, Mirobole Editions (Horizons pourpres), mars 2015, 440 pages, 22€