Jérémie Dres, l’auteur et narrateur de Nous n’irons pas voir Auschwitz a toujours été proche de sa grand-mère, elle est même devenue sa confidente. Quand elle meurt, elle laisse « un immense vide impossible à combler« . Aussi quand il décide de faire un voyage en Pologne, c’est un peu pour la retrouver, cette grand-mère juive réchappée du massacre.
Jérémie est rejoint sur place par son frère Martin. Ce ne sera cependant pas un simple voyage d’agrément : c’est « l’opération Pologne ». Il s’agit de s’interroger sur la situation des Juifs dans le pays aujourd’hui, de témoigner du devenir de tout un peuple. Et d’effectuer des recherches familiales sur la grand-mère à Varsovie, sur le grand-père à Żelechów et plus généralement sur la culture juive grâce au festival de Cracovie.
Mais être Juif, même non pratiquant, et faire un voyage en Pologne, ça n’est pas innocent. Le père de Jérémie le prévient : « Si tu vas en Pologne surtout, fais attention aux Polacks« . Oui, la Pologne est aujourd’hui encore taboue dans la famille : pour la grand-mère, il n’est pas imaginable que son petit-fils épouse une Polonaise ou une Allemande.
A Varsovie, il a rendez-vous avec un membre de l’association Zoom (autour des jeunes Juifs de Pologne) qui confirme l’avertissement paternel : « …fais gaffe, c’est pas si facile. A Varsovie ou à Cracovie, ça va, mais dans les petites villes, les gens peuvent être… Fais attention !« . D’autres le renseignent sur la situation des Juifs dans la capitale, sur le patrimoine juif de la ville, quasi inexistant puisqu’au moment de la reconstruction après les bombardements, l’ancien quartier juif n’a pas été pris en compte. Reste la synagogue Nózyk. Son frère et lui souhaitent rencontrer des rabbins de différentes communautés mais ils sont d’un accès difficile.
D’autant plus que c’est une démarche qu’accomplissent de plus en plus de Juifs, voire de « nouveaux Juifs » désireux de retrouver leurs racines. Comme Jérémie et Martin, ils se rendent au cimetière juif, interrogent le bureau de généalogie de l’Institut historique juif. Aujourd’hui, certains jeunes ne savent pas qu’ils ont des origines juives et le découvrent à la faveur de recherches. Certains parmi eux veulent devenir vraiment juifs, après deux générations tombées dans l’oubli. Jérémie et Martin constatent qu’à Varsovie existe un courant de retour aux racines juives, une renaissance qui se traduit dans l’ampleur du festival de Cracovie.
Par contre à Żelechów, ils cherchent le cimetière la peur au ventre en raison des nombreuses mises en garde, et découvrent un champ enclos complètement à l’abandon dont ils photographient les tombes à toute vitesse.
Nous n’irons pas voir Auschwitz ne fait pas dans l’idéologie ou le manichéisme. Il ne s’agit pas de dresser le portrait d’une Pologne antisémite ou de Polonais résolument tournés vers le renouveau de la culture juive. Avec beaucoup de sensibilité, un peu d’humour et sans parti-pris, Jérémie Dres partage ce qu’il a vu, entendu (et scrupuleusement noté et enregistré) de ses différents interlocuteurs sur les Juif et leur culture aujourd’hui en Pologne. Ce n’est heureusement pas un simple compte rendu ni même un carnet de voyage car la quête identitaire est au centre du périple polonais.
Le dessin au trait, d’une grande sobriété, n’aide pas à traduire l’émotion du narrateur et de son frère, mais il permet au moins de ne pas sombrer dans le pathos. C’est peut-être aussi pour ça que tous deux décident de ne pas aller voir Auschwitz, « un traumatisme encore si présent qu’il ferait oublier tout le reste« .
Voir le site de Jérémie Dres consacré au voyage en Pologne et à ce roman graphique.
Nous n’irons pas voir Auschwitz
Jérémie Dres
Cambourakis, 2011
ISBN : 978-2-916589-76-3 – non paginé – 19 €
Cela me fait penser (un peu) à la BD de Rutu Modan, La propriété. Tu l’as lu?
Non, je ne connaissais pas, mais je viens d’aller voir et voilà une BD de plus de notée : merci !
Le dessin n’est pas terrible, tout de même.
C’est assez particulier, je ne le vanterai pas, je me suis concentrée sur le texte.
cela me fait penser à la « propriété » de Rutu Modan , je lirai volontiers cette BD, si je la trouve en médiathèque.
Je vais mettre la main dessus et la lire !
Merci de m’avoir fait découvert cette BD dont le sujet m’intéresse beaucoup!
Sans avoir d’ancêtres juifs, on s’interroge forcément sur le fait d’aller au non « visiter » un camp de concentration quand on en est à organiser un voyage en Pologne. Perso, ça sera non…
Ma visite des camps a été une épreuve physique ( moins quinze) et morale : on ne » visite » pas un camp de concentration, on ne rationalise pas : il s’agissait d’un voyage scolaire , élèves de première , préparés , Et voilà, on a pleuré , l’un dans la salle de douche, l’autre devant une vitrine de vêtements d’enfants , ou devant cette ligne de chemin de fer qui ne mène nulle part si ce n’est vers le néant .
Se confronter à la réalité , à l’impensable , n’est pas une obligation, mais quelque part, on ne voit plus l’homme de la même façon, on s’interroge sur soi-même aussi , sur le passé de ses parents ( ce qu’ont fait la plupart des élèves , enfin de leurs grands-parents) , en Pologne , à plus forte raison , sujet qui m’intéresse en ce moment . Pourquoi » sans avoir d’ancêtres juifs »? Cela nous concerne , et plus que jamais , non ?
J’avais été très interessée par la réflexion amorcée dans cette bande dessinée, sur le sens à donner à cette mémoire de la shoah. J’ai, pour ma part été un peu déçue par « L’héritage ». On y retrouve un peu un peu la même thématique, la sensibilité en moins.
La mémoire de la Shoah et la place des Juifs en Pologne aujourd’hui suscitent toujours plus d’interrogations. Dans cette BD est évoquée un article d’Oliviez Guez dans « Le Monde Magazine » : Le réveil des Juifs de Pologne. Impossible de se le procurer en ligne malheureusement (il date de mars 2010).
Oui, j’ai tenté de me le procurer, mais je n’y suis pas arrivée. Dominique conseillait, il y a déjà un certain temps, un essai historique sur le sujet, impossible de retrouver sa note pour l’instant, j’ai perdu le carnet où je notais toutes mes références, la nouille ….
Pour le voyage en Pologne, je l’ai fait, et c’est depuis que le sujet m’interesse vraiment, justement, tant cet anti sémitisme est encore prégnant. En plus, Jean Paul II était encore de ce monde et on bouffait des portraits du pape à chaque coin de rue ( géants, les portraits !). Un séjour « avenant » ….
C’était peut-être Jean-Yves Potel : La Pologne face à son passé juif. Ou bien un essai de Jan Tomasz Gross ?
Grace à tes indications, j’ai retrouvé la note de Dominique, il s’agit bien d’un essai de Gross, « la peur. l’antisémitisme en Pologne après Auschwitz ». Du coup, j’ai recherché chez toi et je note du même auteur « Moisson d’or ».
J’ai tout noté dans mon nouveau carnet (avec crayon intégré et qui ne quitte plus mon bureau !) Merci Sandrine !