C’est avec précision et humanisme que Wendy Holden retrace le parcours de Priska, Rachel et Hanka, trois jeunes femmes devenues mères dans l’enfer concentrationnaire. Elles ne le surent que des dizaines d’années plus tard, mais elles arrivèrent quasiment en même temps à Auschwitz et dès lors ne se quittèrent plus. Elles ont accouché à quelques jours d’intervalle d’enfants on ne peut plus chétifs qui tous trois ont survécu.
Priska est Tchèque, c’est une étudiante brillante, polyglotte et cultivée. En 1940, elle épouse un Juif allemand, Bernd Nathan mais en décembre 1941, ils sont arrêtés et déportés à Terezin. Ils passeront trois ans dans ce camp connu pour son grand nombre d’artistes. Les nazis s’efforcèrent d’en faire un camp modèle, comme le raconte Morten Brask dans son roman Terezin Plage. C’est là qu’elle accouche de son premier enfant, qui meurt peu après, en avril 1944. Parce qu’ils savent que les Alliés gagnent du terrain, parce qu’ils croient en la vie, Priska et Bernd décident de faire un autre enfant. Mais ils sont à l’automne 1944 tous deux envoyés à Auschwitz.
Quand Prisca arrive à Auschwitz, elle est enceinte de deux mois, elle a déjà perdu trois bébés avant celui-là. Elle est Slovaque et a mené jusqu’à présent une vie assez préservée dans la Slovaquie annexée par le Reich. Mais après l’écrasement de la rébellion en août 44, la répression s’intensifie à l’encontre des Juifs et elle est arrêtée avec son mari.
Rachel est l’ainée d’une famille polonaise très nombreuse. En 1937, elle s’est mariée ave Monik, un homme riche grâce à l’industrie textile. Ils s’installent à Lodz où vivent trente pour cent de Juifs. Quand surviennent la guerre puis la capitulation, le jeune couple est de plus en plus en proie à l’antisémitisme. Son argent permet à Monik d’acheter de faux papiers les faisant passer pour de non Juifs, de s’installer à Varsovie dans le ghetto où la jeune femme travaille avec Janusz Korczak. Mais les conditions de vie y sont de plus en plus difficiles. Ils partent pour Lodz puis en aout 44 après la liquidation du ghetto, pour Auschwitz.
[pullquote]Quand elles arrivent à Auschwitz, les trois femmes ont souffert de la guerre mais ne s’attendent pas à ce qu’elles vont y trouver.[/pullquote] Elles sont accueillies par le sourire de Josef Mengele qui leur demande, comme à toutes les femmes, si elles sont enceintes. Leur réponse négative les sauvent. Elles ne se connaissent pas, mais elles partiront ensemble pour l’usine d’armement de Freiberg près de Dresde puis pour Mauthausen. A lui seul, ce voyage apocalyptique de dix-sept jours, alors que les Allemands fuient les Alliés, pourrait donner lieu à un film. Priska avec son bébé de quelques jours, Rachel qui accouche dans le train entourée de cadavres et Hanka qui donne la vie le 29 avril 1945, veille du suicide de Hitler, sur le seuil de Mauthausen. Le sadisme des soldats et la compassion des habitants de Horni Briza…
L’enquête de Wendy Holden est minutieuse. Wendy Holden est journaliste et non historienne, elle explique donc les événements, les lieux, les mécanismes à ses lecteurs. Son récit poignant reste sobre, très près des êtres et de leur souffrance. Malgré tout ce qu’on a pu lire et voir, on reste horrifié par tant de souffrance et à chaque page on se demande comment ces femmes affaiblies, malades, sales, affamées vont pouvoir donner vie à des enfants viables. Wendy Holden raconte la libération du camp de Mauthausen, le 5 mai 1945, par des soldats américains effarés par ce qu’ils découvrent ; elle raconte aussi l’après, le difficile retour de chacune des mères chez elles, ne sachant pas si leur mari, leur famille ont survécu, dépouillées de tous leurs biens.
Naitre et survivre est un livre précis, poignant et facile d’accès, qui intéressera certainement les lecteurs du beau roman de Valentine Goby, Kinderzimmer sur les bébés de Ravensbrück.
Naitre et survivre. Les bébés de Mauthausen
Wendy Holden traduite de l’anglais par Karine Reignier-Guerre et Agathe Peltereau-Villeneuve
Presses de la Cité, 2015
ISBN : 978-2-258-11637-5 – 440 pages – 21,50 €
Born Survivors, parution en Grande-Bretagne : 2015
J’ai lu et aimé Kinderzimmer, ça m’intéresse, je note !
ce texte est bien sûr moins psychologique, moins littéraire aussi que le beau roman de Valentine Goby, mais il est très intéressant.
Je n’ai pas lu Kinderzimmer et je suis davantage intéressée par une enquête. Je note aussi.
C’est une enquête, mais l’émotion y a quand même sa place. Sans pathos, elle nait de la situation.
Des bébés qui ont survécus. Etonnant.
Oui, et Wendy Holden explique comment ça a été possible…
J’ai abandonné Kinderzimmer, pour d’autres raisons que le thème, d’ailleurs, et décide de te faire confiance, je préfère les documents, en fait!
Celui-là est très accessible, il peut être lu sans connaître grand-chose du fonctionnement des camps de concentration mentionnés (même si on en sait toujours un minimum) car tout est clairement expliqué.
Je note ce titre pour une période où je serai d’attaque pour ce genre de livre… la plongée dans l’univers concentrationnaire est toujours très difficile pour moi 😦
Oui bien sûr, c’est toujours une lecture éprouvante. On a beau imaginer à travers les mots, c’est impossible…
Moi aussi j’ai lu Kinderzimmer, et ton billet m’intéresse. Je note ce livre 🙂
Ce que j’ai aussi apprécié dans ce texte, c’est le point de vue de la femme. Wendy Holden dit par exemple toute la honte que ces femmes, bien élevées, pudiques, assez riches pour certaines, éprouvaient à être mises à nues, tondues, entassées comme des bêtes. Et elle le dit très bien, sans insister.
Quand j’ai commencé à lire ton billet j’ai tout de suite fait le rapprochement avec Kinderzimmer, il m’avait beaucoup ému, ce livre a l’air intéressant et poignant également.
On pleurerait aux scènes d’accouchement : de joie que l’enfant vienne au monde mais d’horreur pour ce qui est des terribles conditions. Elles sont entourées de morts, d’agonisants, de vermine, c’est absolument horrible…
je le mets sur ma liste , mais j’ai peur de mon émotion, je préfère les enquêtes documentaires et pour cette raison je n’ai pas accepté « Kinderzimmer » .
On ne peut pas rester insensible à la lecture de tels ouvrages, c’est impossible : on est forcément ému, voire plus, mais ce n’est pas ce que cherche ici l’auteur.
Kinderzimmer est dans ma pal depuis sa sortie, et je rajoute immédiatement celui-ci! Mais pour l’instant, je vais lire anglais! 🙂
Si tu veux te joindre à moi pour lire Ellory en juin, ce sera avec plaisir !