John Hunt, tout le monde le connaît à Highland : c’est le rancher noir, autant dire une rareté, dont certains seraient prêts à se passer. Veuf depuis six ans d’une femme très aimée, il vit avec son vieil oncle Gus et sa chienne Zoe. Et bientôt un bébé coyote, sa mère ayant été sauvagement brûlée par les abrutis du coin. Car à Highland comme ailleurs, on se débarrasse des coyotes comme on se débarrasserait bien des Noirs. Et des homosexuels quand il s’en présente.
Quand un jeune homosexuel est retrouvé assassiné, c’est Wallace qu’on accuse, le jeune employé de John Hunt. Celui-ci a du mal à se persuader de la culpabilité de Wallace, un simple d’esprit qui ne voit pas bien loin. Il est seul, sans famille et sans aucun moyen de se défendre. Mais si ce n’est pas Wallace, qui a horriblement tué le jeune homosexuel ? Les mêmes qui tuent le bétail de Daniel Bison Blanc sur la réserve ? Qui traite John de sale nègre ?
L’ambiance tourne au vilain dans ce trou perdu de l’Arizona, mais c’est le moment où arrivent David et son petit ami Robert. Ils s’installent momentanément chez John et ne passent pas inaperçus. Quand David revient seul quelques temps plus tard, les choses ont changé pour John : il a enfin réussi à se déclarer à sa voisine Morgan et se rend compte que Gus va de plus en plus mal. Mais David est désemparé, surtout quand arrive son père (qui le déteste) accompagné de sa future et très jeune femme.
Blessés pourrait avoir l’air d’un vaudeville s’il n’était tout en tension. Percival Everett installe ses personnages avec abondance de détails, il scrute leurs gestes et cisèle les dialogues. Les gestes du travail et du quotidien sont décrits avec précision. Le marivaudage entre John et Morgan apporte une dose d’humour bienvenu dans une ambiance toujours plus tendue : le froid qui s’intensifie, les rednecks qui rodent, le Gus de plus en plus lent.
On ne cerne pas immédiatement la personnalité de Hunt bien qu’il soit le narrateur, et l’un des plaisirs du roman est de le découvrir peu à peu. Malgré sa carapace de cow boy blessé par son deuil, on le sent bien trop tendre et vulnérable pour ce qui est en train d’arriver : racistes et homophobes sont pleins de haine et lui n’est que trop humain. On pourrait même le trouver naïf, et donc en contradiction avec son personnage d’homme qui a souffert et s’est coupé des autres.
Trop bon Hunt, trop tendre pour être totalement crédible. Cet homme-là manque de défauts, de méfiance et de prudence… L’inverse du vieux renard ou du loup meurtri qu’il est censé être. Il pense connaître les rares personnes qu’il côtoie mais il est beaucoup trop confiant. On sait que John fera tout pour son vieil oncle, sans poser de questions, qu’il aimera Morgan d’Amour sans jamais la tromper, qu’il donnera ses bottes à ce petit con de David qui s’est sauvé dans la neige complètement bourré… un peu trop hollywoodien à mon goût ce John Hunt…
Blessés est donc l’histoire d’êtres trop confiants, hommes ou coyotes, qui vont subir la haine ordinaire et irraisonnée dans l’Ouest. Un Ouest qui n’est pas mythique ni peuplé de cow boys bien virils aux yeux bleus. Cet Ouest-là est un fantasme que d’aucuns voudraient réalité.
Un roman foncièrement pessimiste dont on voudrait réécrire la fin tant elle est révoltante.
Percival Everett sur Tête de lecture
Blessés
Percivall Everett traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut
Actes Sud (Lettres anglo-américaines), 2007
ISBN : 978-2-7427-6538-6 – 270 pages – 20 €
Wounded, parution aux Etats-Unis : 2005
C’est le premier roman de Percival Everett que j’ai lu, à sa sortie, et ça fait un moment déjà . J’avais adoré ce livre, dur, oui et révoltant, et réaliste.
J’en ai lu d’autres, dont certains trop érudits pour moi, trop compliqués sur le fond et la forme, mais si tu ne l’as pas encore lu, je te conseille « Désert américain », hyper drôle , acide, un portrait bien vitriolé de l’Amérique
Percival Everett a une réputation d’écrivain difficile en effet, mais pour ma part, je ne dois pas avoir encore lu ses romans trop érudits (ceci dit je n’ai pas lu ses plus récents). Ici tout est très abordable et compréhensible, je trouve même John Hunt trop prévisible.
C’est en interview le genre d’auteur tout à fait déstabilisant. Je me souviens qu’il était à America 2014 et qu’il était pour moi hors de question d’animer un débat avec un écrivain comme lui (avec lequel il faut se demander à chaud et savoir tout de suite si ce qu’il vient de dire est une blague ou pas…).
Mon petit coeur ne supportera pas une fin trop pourrie, tu sais . mais bon, j’adore Everett, je n’ai pas lu celui là, mais les deux lus m’ont complètement emballée. Désert américain et Effacement (avec des passages que je considère comme des pastiches de trucs pédants et incompréhensibles, que j’ai gentiment zappés, mais c’est marrant à voir et pas long)(et absolument génial à lire , ce roman!)
Donc blessés, si je le vois, je tente!
A propos d’Everett au festival america, j’ai assisté à deux débats, donc un mené par qui tu sais, et la réponse d’Everett à une longue question filandreuse : ‘yes’. De l’humour ficelle, oh oui…
J’imagine que le prénom du questionneur est Damien : ma bête noire, suffit que je lise son nom comme animateur de débat et je n’y vais pas, trop sûre de m’ennuyer voire de m’endormir. Et s’il s’est fait moucher par Percival Everett, il n’a que ce qu’il mérite ! En tant qu’animatrice, j’espère de tout coeur me situer entre lui et celle qui demande à chaque débat, quel qu’il soit : « alors, parlez-nous de votre dernier roman »…
Je ne me souvenais pas du prénom, mais oui, c’est lui. Un grand moment, je t’assure! Les gens ont ri , j’espère pour lui qu’il ne s’est aperçu de rien (en tout cas il n’a rien laissé paraitre)
Je t’ai vue deux fois ‘en activité questionneuse’, c’était bien (je te sens tendue avant de démarrer, mais c’est normal), après tu poses les bonnes questions, c’est l’essentiel. A Blois c’était très sympa en plus, on sentait la bonne ambiance entre ceux présents, et l’auteur était vraiment ‘un bon client’, non? Pour le festival america, je n’ai pas de souvenirs, ah si, il y avait l’épouse d’everett, justement!
Nous avons assisté à un débat avec Percival Everett quand il a été invité à notre médiathèque. Je comprends ce que tu dis par rapport à la lourde tâche de celui qui lui pose des questions. Il est assez imprévisible et nous avons beaucoup aimé son humour ! Je garde en souvenir la question « Qui sont vos lecteurs » et sa réponse « Mary, Tom, Elisabeth… ».
Mais je n’ai encore rien lu de lui.
C’est exactement ça ! Ceci dit, j’évite de poser ce genre de question passe-partout, ce qui en retour m’évite de telles réponses.Ah la la, quel dur métier 🙂
Je jette le gant à le dernière ligne du billet. Jusque là j’étais à moitié tentée 😀
Je te vois déjà en train de balancer le bouquin par la fenêtre !
Je suis bien sûre de ne pas lire ce roman , mais je pense aussi que l’Amérique est peuplée de cette violence là qui me fait peur.Une question, cest quoi le festival America ?
The Place to Be en septembre si on aime la littérature américaine 🙂 C’est un festival qui a lieu un an sur deux, les années paires (cette année !) en septembre à Vincennes et qui reçoit les plus grands écrivains américains : Bret easton Ellis, Tony Morrison, Ron Rash… tous, ils viennent tous ! Et cette année pour la troisième fois, j’aurai la chance d’y animer quelques débats…
A Luocine : en plus d’être the place to be avec les auteurs, il y a un salon gratuit et tentateur, et des blogueurs en goguette!
Il me semble avoir vu Percival Everett au Festival America, mais avant 2014. La fin pourrie me fait peur, je tenterai peut-être « désert américain » d’abord. Le susnommé Damien a failli me faire périr d’ennui chaque fois que je suis tombée sur lui. Maintenant je l’évite comme la peste.
Il sévit aussi à Etonnant Voyageurs. Je n’oublierai jamais un débat sur le western avec Percival Everett justement. Il y avait aussi Bertrand Tavernier et quelques auteurs américains (dont un de chez Gallmeister). Ceux-ci expliquaient que petits ils rêvaient d’être John Wayne, comme tous les petits Américains… Intervient alors Percival Everett qui affirme que lui n’a jamais rêvé d’être John Wayne ! Et cet incapable de Damien A. (je suis dans un jour de bonté mais ça me démange d’en écrire plus…) qui ne rebondit pas là-dessus ! On a dû le supporter lui et sa nonchalance pendant 1 h 30 😦
J’ai lu Désert américain, du même auteur, je m’étais dit que je le relirais… Ceci dit, j’ai déjà lu un titre pour l’Arizona, mais cela ne m’empêche pas d’y retourner, hein ! 🙂
Tout à fait, surtout en si bonne compagnie 😉
décidément tu vas augmenter ma PAL de façon exponentielle 🙂
C’est qu’en 2016, j’ai décidé de ne lire que de bons livres 🙂
emprunté hier à la bibliothèque. Hâte de le lire
Comme Simone, c’est le 1er titre que j’ai lu d’Everett. Je n’ai pas gardé de souvenir très vif du personnage, mais je le considère un peu comme à part dans l’oeuvre de l’auteur : c’est un très bon roman, mais qui n’a pas cette « marque » qu’Everett a imprimé à ses autres textes.
Oui, je crois comprendre et partager : un bon livre mais de facture plus classique que ses autres textes.
Voilà un auteur que je devrais découvrir, j’ai l’impression (mais mon p’tit coeur tout mou risquerait aussi de trop souffrir avec la fin ?)
Sûre et certaine : moi même qui ai un coeur de pierre, j’ai versé ma larme.
J’avoue qu’en ce qui me concerne, l’Ouest américain de me fait pas fantasmer ni rêver… Alors même si le livre est bon, je crois que je m’en tiendrai à ton billet 😉
Ce qui est certain, c’est que les livres qu’on écrit aujourd’hui sur l’Ouest américain ne donnent pas envie d’y aller…
Je suis fan de Percival Everett depuis que j’ai lu Effacement, un méga coup de coeur. Normalement, je suis censée lire tous ses romans du coup, mais j’ai une petite peur de ne pas retrouver mon enthousiasme d’Effacement ou de voir mes attentes déçues, alors je retarde le moment de le retrouver.:-) Pour ce roman que tu as lu en particulier, j’ai cru comprendre qu’il y avait quelques faiblesses (légères mais bon), alors je retarde encore plus.:-)
Disons que celui-là est de facture plus classique qu’Effacement, il n’y a pas notamment d’humour ou de cynisme. Si on le lit sans connaître le nom de l’auteur, je ne pense pas qu’on puisse le deviner.
J’aime bien les livres optimistes en ce moment !
Alors celui-là n’est pas pour toi, c’est certain.
Quoi ? Un roman américain qui ne se finit pas bien ?!
Percival Everett ne fait pas dans le consensus 😉
merci de m’avoir fait découvrir cet auteur