Début des années 50 : Edgar Hilsenrath alias Jakob Bronsky débarque à New York. Il l’a bien mérité son statut d’émigré, treize ans qu’il attend, dont quatre de guerre dans une poubelle, une cave ou un ghetto… allez savoir. C’est qu’avant la guerre les futurs morts étaient bien trop nombreux pour qu’on leur permette d’entrer aux États-Unis. Après la guerre, ils sont six millions de moins et les portes s’entrouvrent doucement. Jakob s’en va grossir les rangs des rescapés avec une seule envie : Fuck America !
Il zone du côté de la cafétéria des émigrants parmi les autres Juifs qui ont tout perdu. La nuit, il y écrit les chapitres de son futur roman, Le Branleur, qui retracera son expérience de la guerre. Mais l’Amérique n’a rien à faire d’un Juif pouilleux et de surcroît fainéant. Il a beau rêver de succès éditoriaux, Jakob doit se loger et manger : grosse galère. Fuck America c’est ça : le quotidien miséreux d’un écrivain inconnu, étranger et œuvrant dans une langue incompréhensible à savoir l’allemand.
Comme John Fante quinze ans plus tôt sur la côte ouest l’a raconté dans Demande à la poussière, rien ne s’offre d’emblée à l’aspirant écrivain. Les petits boulots se succèdent, les moins fatigants de préférence, promeneur de chiens, c’est pas mal. Quand il n’a plus un cent en poche, Bronsky retourne au bureau de placement, décroche un job de serveur pour une nuit ou plus, et s’il peut se barrer avec la caisse, c’est encore mieux. Bronsky n’est décidément pas sur la voie de l’american way of life.
Sait-il, Jakob Bronsky, que seule la réussite compte, et rien d’autre ? Est-ce un mec qui écrase l’autre sans le moindre scrupule tout en croyant au bon Dieu ? Sait-il que notre monde est un monde paradisiaque ? Croit-il, Jakob Bronsky, a l’infaillibilité de notre système ? Connaît-il les idéaux de nos ancêtres, ceux arrivés avec le premier navire, le Mayflower, et que pense-t-il de la culture Coca-Cola ? Croit-il, Jakob Bronsky au rêve américain ? Va-t-il un jour posséder une voiture flambant neuve, des costumes de prix, une maison ou un appartement à lui dans les quartiers en vogue de l’East Side ?
C’est qu’il n’est pas un émigré comme les autres, il est un survivant. Il porte en lui les six millions de morts, pourquoi eux et pas lui, question qui taraude tous les rescapés. Bronsky renferme mille histoires, mille destins qui ne sont pas les siens mais pourraient l’être. C’est ce qu’il veut écrire mais l’Amérique s’en fiche, l’Amérique va bien, l’Amérique domine le monde et ne se retourne pas sur les ruines.
D’inspiration largement autobiographique, Fuck America désenchante l’Amérique avec humour (noir) et provocation. Comme Philip Roth l’avait fait dès 1969 avec Portnoy et son complexe, Edgar Hilsenrath se plaît à décrire les tourments sexuels de son personnage, jeune homme dans les années 50 : le priapisme juif ne manque pas de subversion et atteint sa cible. Le sexe n’est pas au programme de l’Oncle Sam, refoulé comme la mémoire et la mort, mais on peut compter sur certains pour nous le brandir, jusqu’à écœurement.
Edgar Hilsenrath sur Tête de lecture
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Fuck America. Les aveux de Bronsky
Edgar Hilsenrath traduit de l’allemand par Jörg Stickan
Attila, 2009
ISBN : 978-2-917084-06-9 – 296 pages – 19,25 €
Fuck America. Bronsky Geständnis, première parution : 1980
Lu à sa sortie, bien aimé mais sans plus, un peu trop démonstratif dans le fuck, trop de fuck lui nuit ! 😉 Mais l’idée est intéressante, faudra que j’y retourne
Il est provocant, c’est vrai, mais il a quand même dû en voir beaucoup…
c’est sûr ! je retenterai le coup
J’ai lu Le Nazi et le Barbier dans le cadre de mon book club. Alors que les autres ont beaucoup aimé et même plus, car pour certains il a été un coup de cœur, cela n’a pas été mon cas. J’ai vraiment eu du mal à le lire. Je n’ai pas du tout accroché au style ce qui m’a donné beaucoup de mal à rentrer dans le livre. Je ne sais pas encore si je tenterai un autre de ses romans.
Le Nazi et le barbier, c’est quand même très spécial, pas étonnant qu’on n’y accroche pas. Celui-ci est quand même nettement moins trash…
j’avais beaucoup aimé Le nazi et le barbier. Rien lu d’autre depuis, mais c’est un auteur que je garde en tête 🙂
Je crois que quand on l’a lu une fois, il est inoubliable !
C’est vrai que dans Le nazi et le barbier, Hilsenrath va très loin dans l’humour noir et irrévérencieux, sur un sujet très sensible, et c’est ce que j’avais personnellement aimé, parce qu’en choquant le lecteur, et surtout en le faisant rire, il le fait aussi réfléchir sur les comportements barbares dont l’homme se montre parfois capable.
Fuck America, chronique d’un cheminement individuel (ou de l’absence de ce cheminement !) passe plus facilement, et j’avais moi aussi aimé l’humour cru de l’auteur, parce que là encore, ce n’est pas de la grossièreté gratuite. A l’inverse, j’ai été très déçue par Orgasme à Moscou, auquel j’ai eu du mal à trouver un sens au-delà du festival de grivoiseries auquel se livre Hilsenrath (qui ne m’a pas fait rire plus de 5 minutes parce qu’il devient vite redondant, en plus..)
« Humour noir et irrévérencieux », c’est (je crois) ce que Martin Amis a essayé de mettre en oeuvre dans La zone d’intérêt et il s’est complètement planté. Je ne suis pas loin de penser que c’est l’humour juif qui traite le mieux de la Shoah dans sa version parodique, s’il en est. Et un Juif survivant, n’en parlons pas…
Comme quoi, manier l’humour noir est un art délicat, et pas à la portée de tout le monde …
L’humour des survivants de la barbarie est toujours aussi dérangeant que précieux, même si il met son public mal à l’aise , public dont je fais partie.
Cet humour qu’on peut trouver choquant, les Juifs s’en emparent avec brio et insolence. Et il permet de nous questionner, c’est ce qui est précieux.
Je n’ai pas eu le temps de te rejoindre pour cette LC et pourtant j’avais le bouquin.. A lire un autre jour
Prochaine LC anniversaire : Larry McMurtry le 3 juin !
Une lecture qui m’avait marquée.
Cet Hilsenrath est de ceux qu’on n’oublie pas…
j’adore ce titre :))) et si, en plus, tu fais référence à Fante, je craaaaque !!!
Ce livre est fait pour toi ! 🙂
Il est dans ma PAL depuis des lustres en format Point.2 (le truc minuscule à tenir à une main). J’attends l’occasion pour le lire, genre une file d’attente pour un visa devant l’ambassade américaine ou celle devant une attraction de Disney World 😉
J’ai reçu la suite en SP, j’avoue qu’il me fait un peu peur.
Quel est le titre de cette suite ?
Cela fait longtemps que j’aimerais lire ce roman. Il serait temps que je m’y penche 😉
A moins d’être six pieds sous terre, rien n’est jamais trop tard en littérature 😉 Bienvenue Julien !
Je n’y suis pas encore, six pieds sous terre. Le plus difficile, comme la plupart d’entre nous : c’est de trouver le temps de le lire. Je l’achèterai à l’occasion et le temps viendra quand l’envie se fera « pressante »
Effectivement… On reste dans la même veine ! J’en ai eu assez…