Ténèbres prenez-moi la main de Dennis Lehane

tenebre prenez moi la main.inddLe titre ne laisse guère de doutes sur le contenu de ce roman : noir, très noir. Il s’ouvre sur un prologue en forme de lamento : Patrick Kenzie vient de vivre le pire et a perdu celles qu’il aimait. Ce qu’il raconte dans Ténèbres prenez-moi la main, c’est le retour d’un passé sanglant, vingt ans après des faits qui se déroulèrent à Boston, dans son quartier, et dont il n’eut à l’époque pas vraiment conscience puisqu’il n’était qu’un enfant.

Angie Gennaro était enfant elle aussi, de la même bande. Devenue sa collègue au sein de leur bureau « Enquêtes et filatures », elle a épousé un autre ancien du quartier, Phil, dont elle est à présent divorcée après douze ans de mariage et de coups. Parmi les autres enfants, certains font désormais partie de la pègre. Tout le monde se connaît mais certains ont disparu.

Kenzie et Gennaro surveillent un jeune homme dont la mère Diandra Warren a reçu une lettre de menace et une photo. Elle est psychiatre et une jeune femme l’a mise en garde : parce qu’elle a contrarié dans le cadre de son métier un certain Kevin Hurlihy, elle va avoir des ennuis. Kenzie et Gennaro qui ne manquent pas de contacts dans le monde des mafias de Boston (Angie est l’unique petite-fille du parrain local), ils comprennent que cet avertissement est une mise en scène. Pourtant, le fils de Diandra est bientôt retrouvé mort, assassiné et découpé en plusieurs morceaux avec un soin tout particulier. Peu avant, une jeune femme a été retrouvée crucifiée.

Ténèbres prenez-moi la main commence doucement, au rythme d’une enquête un peu pépère. L’enquête autour des menaces conduit les deux enquêteurs dans les bas-fonds de Boston, c’est dangereux mais on sent que quelque chose d’autre est de train de couver, de beaucoup plus énorme et qui coûtera cher à Patrick Kenzie. Pourtant au départ, il est heureux et amoureux de Grace, interne en médecine divorcée et mère de la ravissante Mae, quatre ans. Ce qui fait beaucoup de points faibles pour atteindre cet enquêteur à la conscience torturée. Sans parler des sentiments très ambigus qu’il éprouve à l’égard d’Angie Gennaro.

C’est donc leur passé à tous qui va resurgir autour des crimes d’un serial killer particulièrement sadique. On le sent se rapprocher de plus en plus de Pat Kenzie comme une araignée de sa proie. Enfant, Kenzie a été battu et même torturé par son père dont il quêtait en vain l’admiration. Cet homme violent faisait partie d’une milice de quartier, à l’instar d’autres personnes dont les descendants sont victimes du tueur. L’intrigue se complexifie, les personnages se multipliant avec les réminiscences du passé.

On retrouve donc le thème de l’enfance cher à Dennis Lehane dans ce roman, ainsi qu’une incarnation du Mal comme force brute, aveugle et sadique. Plusieurs personnages sont des violents à l’état pur, des êtres dénués d’empathie et donc capables du pire. Quand le danger se fait concret, l’intrigue s’accélère et les faits s’enchaînent vers l’inéluctable. Sans pour autant que le roman fonctionne comme une mécanique : le facteur humain, l’humour et les dialogues acérés donnent une densité très réaliste à l’ensemble, lui évitant d’être une mécanique trop bien huilée et prévisible.

Le lecteur est fasciné par l’existence du Mal, sa présence au cœur d’un quartier banal. Dennis Lehane campe des personnages violents et sordides, jamais des archétypes cependant, ce serait bien trop simple. Il ne verse pas non plus dans la psychologie de base, bien trop simpliste pour des personnages aussi sombres. Il explique moins qu’il n’ausculte ces humanités perverses qui aiment faire et voir souffrir.

Ce roman fait suite à Un dernier verre avant la guerre qu’il est préférable de lire si vous voulez suivre les relations entre Kenzie et Gennaro, mais pas indispensable car, vous l’aurez compris, l’intrigue est autonome et largement assez dense. On ne lit cependant jamais trop Dennis Lehane, l’auteur le plus chroniqué sur ce blog, et toujours avec enthousiasme, voire plus !

Dennis Lehane sur Tête de lecture

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Ténèbres prenez-moi la main

Dennis Lehane traduit de l’anglais par Isabelle Maillet
Rivages (Rivages Noir), 2005
ISBN : 978-2-7436-0922-1 – 488 pages – 9,50 €

Darkness, Take My Hand, parution aux États-Unis : 1996

27 commentaires sur “Ténèbres prenez-moi la main de Dennis Lehane

    1. Tu devrais y revenir. J’ai choisi ce titre pour me sortir de ma série de livres bof, abandonnés en cours de route, et bien sûr comme prévu, ça a marché !

  1. J’avais déjà très peur en lisant ton billet je ne sais pas si je vais oser franchir le pas. En tout cas si je le fais ce sera grâce à ton billet et pour lire « du haut de gamme » dans l’horreur. Je trouve que Daesh me sert son lot d’horreurs quotidien sans en rechercher dans les romans, mais j’ai aussi tendance à faire confiance aux blogs que j’aime bien.

    1. Heureusement, il y a là le filtre de la fiction. C’est surement étrange de se complaire à lire des choses aussi noires, mais c’est fascinant justement : comment se fait-il qu’on aime lire ça alors que le quotidien se charge de nous livrer, si on en veut, son lot de sordide ? C’est ça aussi la littérature : trouver dans le matériau quotidien une façon de transcender cette horreur-là pour en faire une oeuvre.
      Ceci dit, je comprends tout à fait qu’on ait envie d’oeuvres moins sinistres 😉

  2. La série Kenzie et Gennaro, du moins au début, jusqu’à « Prières pour la pluie » est une série assez remarquable. Lehane, qui n’a plus été aussi convaincant depuis quelques temps, à même tenté de la faire revivre avec « Moonlight Mile ».
    Merci Sandrine d’en parler, elle est à lire et d’une grande qualité. Dunoir particulièrement haut de gamme.

    1. Je n’ai encore jamais été déçue par Lehane, et j’espère que je ne le serai jamais. Ceci dit, je n’ai pas lu ses romans les plus récents. Avec lui, ce sont toujours des retrouvailles et une totale confiance. Une sorte de fascination aussi. Après lecture de cet opus, j’envisage de relire pour la troisième ou quatrième fois Shutter Island, dont je n’ai pas encore percé tous les mystères…

  3. C’était mon deuxième Lehane, après Un dernier verre avant la guerre, et depuis je les ai tous lus , on peut y devenir accro , les deux enquêteurs sont attachants, Boston un beau personnage. En dehors de cette série, ne pas manquer Shutter Island où l’auteur est au sommet de son art.

  4. J’aime beaucoup Dennis Lehane, et notamment cette série policière. J’avais adoré « Gone Baby Gone » (et son adaptation cinématographique) par contre de mémoire, « Midnight Mile » m’avait déçue à sa sortie et je ne l’ai pas relu depuis…

    1. Comme je suis un peu mono maniaque, j’envisage de lire Gone Baby Gone à son tour dans la série, c’est-à-dire qu’il y a encore Sacré avant. Et surtout, je ne préfère pas voir le film avant, même s’il est très bon : je préfère jouir pleinement du suspens du roman.

  5. Ah, ça fait toujours plaisir de lire un billet sur Lehane… ce titre, en effet très sombre, est l’un de mes préférés de l’auteur. Comme Eva, j’ai été déçue par Midnight Mile car on n’y retrouve pas, justement, la noirceur et la densité des opus précédents…

    1. Vous voilà donc trois a avoir été déçus par cet opus. Ceci dit, vu la vitesse à laquelle je lis cette série, j’ai encore le temps de voir venir. Perso, j’ai aussi beaucoup aimé le premier volume de sa série « historique » sur Boston : Un pays à l’aube. C’est du roman noir aussi, et du roman historique aussi : une vraie merveille !

    1. As-tu lu Un pays à l’aube ? Je l’ai trouvé vraiment très bon. Il y a une scène que je n’oublierai jamais : le flic irlandais, descendu du bateau 10 ans avant, chope le Noir dont les ancêtres sont nés sur le sol américain (bien malgré eux…) et lui hurle de rentrer chez lui. C’est tout le rêve de l’Amérique blanche et haineuse concentré en une scène très forte. Il a un don pour ça Lehane…

      1. Oui, j’ai tout lu de Dennis Lehane, car même si je trouve que son niveau baisse, j’apprécie toujours de le lire. Je n’avais pas accroché à « Un pays à l’aube » (un peu trop passage obligé, performance, pour moi), plus au suivant, « Ils vivent la nuit »… et son dernier paru en poche, « Quand vient la nuit » est dans ma PAL…
        J’ai parlé de tous sur mon blog mais… j’accroche moins.

  6. je suis comme toi, je préfère lire le roman avant de voir le film, sinon j’ai les images du film en tête pendant ma lecture, ça tue l’imagination…

  7. (Mince je n’arrive pas à « répondre » à ton commentaire à la suite du mien…)
    J’ai adoré moi aussi « Un pays à l’aube », mais je n’ai malheureusement pas retrouvé son souffle et sa richesse dans « Ils vivent la nuit », qui en est une sorte de suite (on y retrouve certains des personnages)…
    J’ai l’impression d’un essoufflement, chez Lehane, et guette ses éventuels nouveaux avec l’espoir de retrouver sa veine d’antan !!

    1. Mille mercis de m’avoir signalé le problème : ça devrait fonctionner maintenant (si tu peux faire un essai…).

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