Voilà, c’est fait, j’ai relu Shutter Island et autant le dire tout de suite, ce livre fait toujours partie de ceux que j’emmènerais sur une île déserte. C’est un livre tout simplement remarquable qui divise ses lecteurs en deux clans irréconciliables : ceux qui pensent que… et ceux qui pensent que… Et oui, il va être difficile d’en parler sans en dire trop, pour ne pas vous gâcher l’immense plaisir de la découverte.
On a au départ un marshal, autant dire un inspecteur, Teddy Daniels, trente-quatre ans, accompagné de son coéquipier, Chuck Aule. Tous deux quittent Boston à l’automne 1954 pour rejoindre Shutter Island, une île qui n’abrite qu’un hôpital psychiatrique : Ashecliffe. Mais pas n’importe lequel. C’est un établissement de sécurité maximale pour les fous criminels dont une patiente, Rachel Solando, vient de s’échapper. Elle semble s’être évaporée, c’est la seule conclusion que les deux inspecteurs tirent des premiers interrogatoires du personnel soignant. Teddy suppose qu’on leur cache des choses importantes, mais lui non plus n’est pas exempt de secrets. On apprend bientôt que le but caché de sa venue à Ashecliffe est la présence d’un pyromane, celui-là même qui mit le feu deux ans auparavant à l’immeuble dans lequel périt sa femme. Peu à peu, Teddy acquiert la certitude qu’on lui cache la présence de cet homme et qu’il se passe des choses médicalement illicites dans l’enceinte de l’établissement. Peut-être même qu’on s’en prend à lui pour éviter qu’il découvre la vérité…
L’adaptation de Martin Scorsese
Teddy cherche et le lecteur cherche avec lui. Sa personnalité complexe se dévoile peu à peu à la lumière de son passé et on ne peut que prendre partie pour cet homme souffrant en quête de justice. Jusqu’au bout, le lecteur s’identifie à Teddy… au moins jusqu’au moment où Dennis Lehane, en grand prestidigitateur, retourne la situation comme une chaussette et sème le doute. J’aimerais en dire plus mais c’est impossible. Sachez seulement que Shutter Island est un de ces livres qu’il faut recommencer une fois refermé (j’adore ça !), recommencer pour comprendre comment l’auteur a pu à ce point manipuler le lecteur, avec une maestria qui me laisse admirative.
J’aime les histoires de fous car c’est un terreau extrêmement fertile pour les auteurs habiles. Comme on ne sait jamais vraiment où se situe la vérité, voire la réalité, les niveaux de lecture peuvent être multiples, comme les interprétations. Je les aime aussi parce qu’elles mettent à jour l’amplitude de l’esprit humain, l’immense potentiel qu’il peut dévoiler, souvent pour le pire. Les situations des patients sont souvent dramatiques, mais toujours réalistes tout comme l’évolution des traitements : psychochirurgie, psychopharmacologie, psychothérapie verbale… dans les années 50, les possibilités sont multiples et les méthodes pourtant souvent radicales. Et la tendance encore grande, malgré les lois de Nuremberg, d’explorer de façon tout aussi radicale les méandres du cerveau.
Grâce à une de ces crises d’autisme littéraire que ma famille supporte parfois (qu’elle en soit remerciée…), j’ai pu lire ce livre en une journée, en apprécier la construction et la perfection. Je ne peux que vous recommander de faire de même.
L’adaptation en bande dessinée de Christian de Metter
Dennis Lehane sur Tête de lecture
Shutter Island
Dennis Lehane traduit de l’anglais (américain) par Isabelle Maillet
Rivages / Thriller, 2003 (existe en poche)
ISBN : 2-7436-1150-2 – 286 pages – 20 €
Shutter Island, parution aux États-Unis : 2003