Pottsville 1280 habitants de Jim Thompson

postville 1280 habitantsNick Corey, shérif de Pottsville 1280 habitants, a bien des problèmes : après avoir englouti une douzaine de côtelettes et autant d’œufs accompagnés de petits pains de maïs, il n’a plus faim ; après neuf à dix heures de sommeil par nuit, il n’a plus sommeil. Ça lui cause du souci, d’autant plus qu’il va devoir se consacrer à sa réélection et que certainement, ça va le fatiguer. Or, Nick Corey aime en faire le moins possible, surtout pas de vagues : « Je ne suis sans doute pas très malin – mais qui voudrait d’un shérif trop malin ? -, et à mon avis, il est plus agréable de tourner le dos aux ennuis que de les regarder en face. ».

Voilà pour la déclaration d’intention de Nick, narrateur de ce roman de Jim Thompson qui n’en finit pas de surprendre le lecteur. Car Nick a beau vouloir se faire passer pour un abruti se laissant botter le cul par le premier venu, il est bien plus retors qu’il ne le déclare. Et c’est un plaisir de découvrir à quel point.

Ça ne le dérange pas de passer pour un abruti pourvu qu’il tire ses marrons du feu. L’imbécilité est même le déguisement qu’il a choisi de revêtir pour mieux faire ses petites affaires et manipuler les gens, voire pire. Qui penserait qu’un idiot cocu comme Nick Corey serait capable de manigancer le moindre plan ?

Derrière le simplet se dévoile donc petit à petit un cynique terriblement intelligent et efficace. Pour avoir l’air de faire son boulot de shérif, il n’a qu’à infliger deux trois châtiments aux pauvres Blancs qui ne peuvent pas voter ou aux Noirs et les péquenots les plus influents de Pottsville sont satisfaits.

En toute justice, c’est les grands de ce monde que je devrais mettre au pas, ceux qui dirigent réellement ce pays. Mais on ne me permet pas de m’attaquer à eux, alors il faut que je compense en tapant deux fois plus fort sur la racaille des petits Blancs et sur les Noirs, et sur des gens comme toi qui laissent leur cervelle descendre jusqu’au niveau de leurs fesses, parce qu’ils n’ont pas pu trouver de meilleur endroit pour la faire fonctionner.

Un vrai bonheur ce Nick Corey, et découvrir peu à peu son cynisme et ses plans machiavéliques est un grand plaisir mêlant avec une grande intelligence égoïsme et méchanceté. Moralement, le type est bien sûr indéfendable (assassiner, c’est mal…) mais quel tour de force narratif ! Le « killer inside him » ne se dévoile que peu à peu et donne même dans l’humour, souvent noir mais efficace. Il y a en Nick Corey du Lou Ford, narrateur d’un précédent roman de Thompson : Le Démon dans ma peau.

Je ne regrette donc pas d’avoir si longtemps attendu une traduction intégrale de ce roman, charcuté comme bien d’autres romans noirs après-guerre par des éditeurs et traducteurs irrespectueux. Au premier rang desquels la très fameuse Série Noire de Gallimard. La langue dans laquelle s’exprime Corey est ici importante puisqu’il se force à parler comme les péquenots qui l’entourent, en rajoutant pour faire plus vrai. Pour ceux qui ne la connaissent pas, vous pouvez lire l’histoire de la traduction mouvementée de Pop. 1280 qui devint 1275 âmes  en français en 1966 grâce à une traduction de Marcel Duhamel lui-même.

Jim Thompson sur Tête de lecture

 

Pottsville 1280 habitants

Jim Thompson traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias
Rivages, 2016
ISBN : 9782743636289 – 270 pages – 8 €

Pop. 1280, parution aux États-Unis : 1964

19 commentaires sur “Pottsville 1280 habitants de Jim Thompson

  1. Le Coup de torchon de Bertrand Tavernier en est à mon avis une bonne adaptation. Mais diable, pourquoi Potsville a-t-elle perdu 5 habitants dans la traduction?

  2. quelle histoire cette traduction ! Mais tu fais bien de nous alerter car c’est tout de même de ce choix que dépend l’avis de nombreux lecteurs ; il serait dommage de passer à côté !

  3. j’adore les bonnes traductions , on ne et pas assez avant ce travail qui donne vie aux romans étrangers pour des gens comme moi qui ne lisent qu’en français.

    1. En France ces dernières années, on a de la chance dans ce domaine : des titres de romans jugés indispensables aux USA ou en GB sont enfin traduits, et d’autres surtout sont retraduits : nos éditeurs aiment les textes et en prennent soin !

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