
Bien sûr il y a la guerre, les bombes qui chassent les gens de chez eux, les imams qui persécutent, les soldats qui violent. Bien sûr il y a les enfants qui souffrent, victimes de maladies, de mauvais traitements. Bien sûr il y a le froid de l’hiver et le chômage. Il y a la crise, quelque part dans le monde, il y a la crise, qui empêche certains d’avoir chaud, d’être rassasiés (heureusement, elle empêche rarement d’avoir un smartphone…).
Mais voir une espèce s’éteindre…
C’est sur la disparition du Grand Pingouin que Jean-Luc Porquet ouvre ce texte : le 3 juin 1844, sur l’île inhospitalière d’Eldey, quelques marins islandais tordent le cou à un couple de Grands Pingouins et shootent dans leur œuf. Parce qu’un collectionneur averti savait que l’espèce se faisait de plus en plus rare, ces marins ont ainsi définitivement éradiqué ces oiseaux qui pensaient avoir trouvé un havre pour nidifier. Et qu’ils aient été ou non les derniers importe peu : il en restait si peu qu’ils étaient tous condamnés.
Voir ma bibliographie (non exhaustive) sur la condition animale et les droits des animaux
Ils avaient l’air bien ridicule ces Grands Pingouins aux ailes atrophiées et pourtant, ils avaient compris qu’ils devaient pondre et couver dans un endroit hostile à l’homme. L’îlot volcanique d’Eldey, « iceberg de pierre » au large de l’Islande était leur dernier refuge. Ils n’avaient besoin que de quelques semaines par an pour pondre, couver et enseigner les rudiments de la survie à leur unique progéniture annuelle. Mais rien n’arrête la cupidité…
Si Jean-Luc Porquet s’est pris d’intérêt pour ce grand oiseau incapable de voler au point d’écrire cette Lettre au dernier Grand Pingouin, c’est qu’il est un symbole : celui d’une hécatombe silencieuse, comme l’indifférence qui entoura la disparition du Grand Pingouin et entoure aujourd’hui celle de milliers d’espèces de par le monde. C’est à nous que s’adresse Jean-Luc Porquet à travers ce Grand Pingouin, ce sont nos consciences qu’il veut éveiller par une démonstration intelligente et documentée sur le silencieux massacre à l’œuvre aujourd’hui.
Entre 1970 et 2000, les populations d’animaux sur terre, dans les mers et les rivières ont chuté de 40%. Ça s’est fait de mon vivant. Je n’ai rien vu.
C’est que l’homme veut assouvir toutes ses envies. Il est habitué à dominer sans s’interroger. Les technocapitalistes, membres de plein droit de l’élite mondialisée, dirigent et encaissent sans sentiments, même le plus modeste des consommateurs déguste son steak sans scrupule. On a bien assez de toutes ces minorités qui revendiquent, du chômage, des guerres, des réfugiés, de la corruption politique… on ne va pas en plus nous culpabiliser avec les droits des animaux…
Certains pourtant ont de la chance : le panda, l’ours polaire, le loup même ont depuis longtemps leurs défenseurs. Mais « la linotte mélodieuse, le rhinolophe de Méhely, l’alose feinte, l’émyde lépreuse... » ? Nettement moins médiatiques, à la limite du canular avec des noms pareils… Il fut un temps pourtant où existaient l’auroch et le dodo. A partir du moment où ce dernier a rencontré l’homme, il a suffi d’un siècle pour l’éradiquer.
C’est donc ainsi que muets et soumis, impuissants même si naturellement forts, les animaux disparaissent sans tambours ni trompettes pour la plupart. L’ère de l’anthropocène a débuté et l’être humain travaille à la sixième grande extinction (la cinquième a eu lieu il y a 65 millions d’années et a coûté la vie aux dinosaures).
Sommes-nous la météorite géante de notre temps ? Oui.
Depuis le XVIIe siècle, 484 espèces de vertébrés ont disparu. Non pas dans un processus naturel qui fait que tout ce qui existe s’éteindra. Ces disparitions sont dues uniquement à l’homme soit par massacres directs, soit en raison de la pollution, de la déforestation et autres crimes contre la nature. Aujourd’hui, la liste rouge des espèces menacées dressée par l’Union internationale pour la conservation de la nature compte 23 250 espèces.
Le pire c’est qu’on le sait. Aucun mangeur de sushis à la baleine ne peut affirmer qu’il ignore que la chasse à la baleine est interdite ; aucun mangeur de foie gras n’ignore que des animaux souffrent uniquement pour son bien-être ; aucun client de chez MacDo n’ignore ce que subissent les poulets de batterie, qui ne sont pas des objets.
On sait tout ça, on sait les massacres. Ceux que Jean-Luc Porquet appelle les télévangélistes écolos nous ont prévenus depuis longtemps. Et on se dit : que peut-on faire contre le massacre des baleines ? Que puis-je faire moi qui me sens concerné mais pas au point de faire couler les baleiniers japonais ? On peut aider, financièrement bien sûr, ceux qu’on appelle les éco-terroristes pour stigmatiser leurs pratiques et qui n’ont pourtant jamais blessé personne alors que les baleines meurent encore sous les coups et qu’ils se font eux-mêmes tirer dessus. On peut aider Sea Shepherd et son leader Paul Watson.
Et on se dit que peut-on faire face à l’élevage industriel qui martyrise à grande échelle les animaux ? Que puis-je faire moi qui me sens concerné contre une pratique légale, bien que cruelle ? On peut commencer par s’interroger sur ce qu’on mange. Et bien souvent, c’est ce qu’on ne veut pas faire car on sait qu’on tombera dans une irrémédiable contradiction : en mangeant de la viande, je cautionne des pratiques que j’estime moralement répréhensibles. Donc mieux vaut ne pas y penser.
Certes il est possible de déguster sans problème de conscience des animaux qui, jusqu’à preuve du contraire, n’éprouvent ni plaisir, ni douleur, ni émotions, comme les insectes, les coquillages, les vers et les invertébrés, mais une fois qu’on se met à y songer sérieusement, comment s’arranger avec les autres ? Le porc, un des animaux les plus intelligents et les plus sensibles qui soient… La vache croisée dans son pâturage, qui coule vers nous des regards amicaux… La brebis douce et pacifique… L’amusant lapin… Nous savons bien que tous les mammifères, et tous les oiseaux, et nombre d’autres espèces comme les pieuvres, sont conscients et peuvent ressentir douleur, plaisir et émotions… Comment faire avec l’idée que nous les emmenons en masse à l’abattoir ? Chaque année l’homme tue 60 milliards d’animaux terrestres et 1 000 milliard de poissons : comment admettre, en toute honnêteté intellectuelle, que je participe et consens à ce carnage, sans ressentir une certaine gêne ?
C’est le mot « intellectuelle » qui gêne, oui : s’il faut se mettre à penser à ce qu’on mange alors, où allons-nous ? Il faut bien se nourrir, non ?
Oui, mais il n’est pas nécessaire de manger de la viande tous les jours pour être en bonne santé. Au contraire même. Et on rétorque : mais si moi tout seul, je ne mange plus de viande, ça ne servira à rien à l’échelle de sept milliards d’êtres humains. Faux : rien ne fait se sentir mieux que de mettre en conformité ses actes avec ses convictions, ça permet d’être en harmonie avec soi-même et de se regarder fièrement dans la glace, ce qui n’est pas peu de chose. Doublement faux : rien n’est plus communicatif que la défense de la cause animale : si vos amis de vingt ans vous invitent à manger et que vous les prévenez que vous ne mangez plus/moins de viande en leur expliquant pourquoi, ils vous écouteront et réfléchiront.
Et si la demande baisse, l’offre baissera aussi…
Si les faits, les chiffres, les prévisions rapportés ici ne sont pas nouveaux, il est toujours bon de rappeler ce que l’on préfèrerait oublier au nom de son confort domestique. Aussi merci monsieur Porquet pour cette Lettre au dernier Grand Pingouin qui n’a pas encore fait beaucoup parler d’elle car notre mauvaise conscience est immense et notre besoin de justification bien impuissant face à ce réquisitoire aussi implacable que sensible.
Et implacable il faut l’être quand un lobby qui se dit « pour une protection non anthropomorphiste de la nature et des animaux » juge sectaires et extrémistes ceux qui « militent de façon violente pour la libération des animaux, soutenant que ces derniers sont traités comme des « esclaves » et ne sont pas là pour nous servir d’aliment, de vêtement, de sujet d’expérience ou de divertissement « . Ce lobby qui regroupe ceux qui ont un quelconque intérêt à l’exploitation animale en France déclare que « l’animal ne peut pas avoir de droits parce qu’étant dépourvu de conscience morale, il ne saurait avoir de devoirs » (Manifeste du Comité Noé (quelle ironie : Noé est-il censé avoir mangé les animaux embarqués dans l’arche ??) « pour des relations équilibrées avec la nature et les animaux »).
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Lettre au dernier Grand Pingouin
Jean-Luc Porquet
Verticales, 2016
ISBN : 978-2-07-019750-7 – 220 pages – 19,50 €
Tu trouves aussi plein de vidéos comme celle ci https://www.youtube.com/watch?v=V2ByQJ9ftq0
Tellement désespérantes que je n’arrive pas au bout!
Plus les éléphants actuellement. Et d’autres.
L’outarde canepetière (j’adore ce nom) se trouve encore pas loin de chez moi (la LPO organise des sorties -encadrées)
Manger moins de viande? Oh ça oui! Si la demande baisse… Espoir?
Je ne regarde pas de vidéos sur les maltraitances envers les animaux : trop insupportables. Et les images nous capturent par leur violence, elles nous empêchent de réfléchir car parlent d’abord à nos émotions. J’ai du mal avec ça. Mais je comprends qu’il faille les montrer pour sensibiliser des gens….
Ce n’est pas de la maltraitance, c’est une liste de tous ces animaux définitivement disparus (et, OK, ça broie le coeur)
Je me note cette ouvrage qui fait écho à une triste actualité. Merci de l’avoir déniché et d’avoir fait partager ces très belles citations. Il convient à chacun de mettre ses actes en accord avec sa pensée, et cela finira par bouger. Il y a un seuil à partir duquel un mouvement de fond se met en place et j’ai l’impression que cela commence en Europe
Il y a en effet de plus en plus de livres sur le sujet : ça ne peut être que bon signe.
Je viens de l’acheter et tu le commentes déjà….JL Porquet est aussi celui qui promeut l’oeuvre de Jacques Ellul et est à découvrir si ce n’est déjà fait.
Dès que j’ai eu le livre en main, il a fallu que je le lise : je sentais qu’il était en accord avec mes interrogations et orientations du moment. Je te souhaite bonne lecture.
Je ne sais pas si j’aurai le courage de lire un tel livre … Ce que je sais car c’est une cause qui me tient à coeur me révolte déjà tellement.
Il est bon d’être toujours plus révolté…
Je viens de relire de nouveau ta chronique et j’inscris tout de suite « Lettre au dernier grand pingouin » sur mes prochains achats. Tu as raison il est bon d’être toujours plus révolté.
En plein dans l’actualité ! A lire assurément, même lorsque l’on croit être déjà informé sur le sujet. On se dit que ce carnage ne peut pas continuer, mais la prise de conscience n’est pas encore assez générale.
Mais le sujet avance. Par exemple, on prend de moins en moins les végétariens, les « bio » ou les 0 déchet pour de doux utopistes…
C’est vrai ça : qu’a mangé Noé et son équipage dans l’arche ?
Du poisson 🙂
« il n’est pas nécessaire de manger de la viande tous les jours pour être en bonne santé »
C’est vrai et en même temps c’est dur de l’expliquer aux enfants (qui mangent d’abord viande ou poisson et qui chipotent les légumes)
J’essaie de faire sans viande deux fois par semaine et j’ai soupe à la grimace 🙂
Je note ce plaidoyer
Bonne journée
Tu devrais leur montrer quelques films trouvés sur le net sur les conditions de vie des animaux destinés à la boucherie, ou pire (si tu veux vraiment les traumatiser !), sur l’abattage : toute la famille devient végétarienne d’un coup ! 😉
Je leur ai montré un reportage sur comment étaient fabriqués les bonbons avec la gélatine de porc et après une grimace de dégoût, ils ont dit qu’ils continueraient quand même à manger des bonbons Haribo (j’ai dû rater quelque chose!!)
Oh là là ! il faut que je le lise celui-ci. Je crois qu’il n’y a rien au monde qui m’attriste plus que la disparition d’une espèce 😦 Merci pour cet article !
Très intéressant! Je note! Pour info le lien vers la bibliographie de la condition animale ne semble pas marcher dans l’article, mais il marche bien dans les onglets du haut. Je suis tellement heureuse que tu lui donnes de la visibilité ❤