Grâce aux éditions La Dernière goutte nous avons eu la chance de lire en 2014 Le Chemin du sacrifice de Fritz von Unruh. Ce texte de 1919 nous permet d’entendre la voix du pacifisme allemand, qu’on connaît peu en dehors du classique A l’Ouest rien de nouveau, plus tardif. Nous lisons aujourd’hui Danse autour de la mort d’August Hermann Zeiz, émanant lui aussi de « l’ennemi » mais dans une autre optique. Texte et écrivain si rares qu’ils avaient échappés à Nicolas Beaupré lui-même, spécialiste de cette littérature de la Grande Guerre qui signe à nouveau la préface.
Quelques extraits d’articles de Zeiz parus dans le Berliner Tageblatt et publiés en annexe de ce roman permettent d’attester son inspiration autobiographique. Zeiz journaliste a servi dans l’artillerie et écrit son journal de guerre par lettres qu’il envoyait à sa rédaction. Danse autour de la mort est donc un texte écrit « à chaud », dans l’immédiat d’un vécu traumatisant. On l’imagine d’autant plus personnel qu’il ne répond pas à la doxa pacifiste de rigueur au sortir de la guerre.
La position d’August Hermann Zeiz est différente de celle de Frizt von Unruh, ce qui nous permet d’entendre une pluralité de points de vue. Dietrich Vorhofen, le personnage principal, est un soldat comme un autre, pas plus va t’en guerre, pas plus pacifiste qu’un autre. Au départ même, il rejoint les rangs de l’armée pour la gagner cette guerre : voir reculer ses camarades sous la pression des Alliés ne le réjouit pas. Pas de pacifisme donc, mais bientôt des doutes devant le gâchis.
Cent scélérats ont fabriqué la guerre.
Cent mille doivent suivre, doivent souffrir.
Pion comme tant d’autres sur le terrain des opérations, Vorhofen commence la guerre en Belgique, la poursuit sur les bords du Danube pour finir à Verdun, blessé. Il est difficile de connaître l’état d’esprit de Vorhofen tant l’écriture de Zeiz est factuelle, presque behavioriste. Aucune psychologie, très peu de sentiments si ce n’est un fatalisme morose, une résignation terrible face à la mort devenue habituelle.
Etrange que le lien se rompe si vite. Jupp est enterré. Ils ont bien dormi. Désormais, ils ne savent plus rien de lui. Le capitaine en envoie d’autres pour combler les pertes.
La croix insolente étincelle sur l’église de Langemark.
Danse autour de la mort est un texte atypique, assez déstabilisant. On n’y lit pas de ces traditionnelles scènes de camaraderie dans les tranchées, de descriptions de la crasse et du froid, de réquisitoires contre l’incurie de l’État major. Ce roman se distingue d’ailleurs par l’expérience qu’il rapporte : non celle des soldats enterrés pour des mois dans leurs tranchées, mais bien celle de troupes très mobiles envoyées sur différents fronts.
Pas de sentiments ni de lyrisme, pas de diatribes : le style est haché, il accumule les phrases courtes, souvent nominales. Mais une grande tristesse, oui, et une attention particulièrement poétique portée aux éléments.
Fatigués par les bavardages, ils s’allongent sur les banquettes pour dormir. Ils ont l’impression qu’on les réveillera bientôt. Ordre de descendre. Ils reçoivent du café et de la nourriture. Le ciel est enflammé au-dessus de Sarrebruck. Trois heures du matin.
Ils n’arrivent pas à dormir, alors ils s’assoient, se serrent les uns contre les autres, attendent.
L’Allemagne. Ils traversent Coblence à toute allure. Les collines du Rhin leur sourient avec candeur.
Le style très poétique de l’auteur tranche avec son propos si factuel. Il trouve dans les éléments, le paysage matière à métaphores qui soudain transforment le réel décrit. Comme si au contact de la littérature, la nature s’enchantait pour donner accès à un imaginaire plus vaste que celui de la guerre.
Les amateurs de récits autour de la Première Guerre mondiale trouveront ici matière à réflexion. Les simples curieux apprécieront l’originalité du témoignage et la richesse du style d’August Hermann Zeiz.
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Danse autour de la mort
August Hermann Zeiz traduit de l’allemand par Martine Rémon
La Dernière goutte, 2016
ISBN : 978-2-918619-33-8 – 157 pages – 14 €
Tanz um den Tod, parution en Allemagne : 1918
l’écriture de Zeiz est factuelle, presque behavioriste : ça à l’air un peu rude, tout de même.
L’écriture est plus descriptive que psychologique, mais la lecture n’est pas difficile, pas rude, non…