Tout commence par un gentil séjour en forêt : Fred, l’instit, accompagné de deux mamans, emmène un groupe d’une douzaine de gamins pour trois jours dans une forêt du Morvan. Aucun n’a plus de sept ans. Pourtant, dès la page 10, le lecteur est prévenu : personne ne reviendra vivant de cette sortie. Mazette, ça va saigner !
Et en effet, le jeu de massacre ne tarde pas à commencer. L’élément déclencheur s’appelle Enzo, gamin incontrôlable, battu pas son père. Rien ne l’atteint et le sadisme est sa loi. Alors quand il fait éclater le crâne de Fred à coups de pierre, les autres sont un tantinet perturbés. Puis dans un univers inquiétant où tout adulte a disparu, tension et horreur se conjuguent pour flirter avec le torture porn.
La référence à ce genre cinématographique étonnant, souvent écœurant, m’est venue en cours de lecture. Celle au film d’horreur est d’emblée évidente, avec ce groupe insouciant de son sort (alors que le lecteur sait…) qui s’enfonce dans la forêt débute comme un slasher où l’on aurait troqué les adolescents pour des enfants. Mais Grégoire Courtois va loin dans l’évocation de ce qu’il fait subir aux enfants, très loin. Les descriptions sont précises, elles fourmillent de détails et cette complaisance gore m’évoque le torture porn, genre si décrié par la bien-pensance.
Si on peut se réjouir que cruauté et noirceur psychologique soient aux manettes, c’est que l’auteur en fait une œuvre littéraire.
Grégoire Courtois travaille le discours avec une évidente maestria. Alors qu’on lit les tourments de Nathalie, l’une des mamans, on glisse subrepticement dans la tête d’un autre personnage, au fil de flux de pensées qui se chevauchent avec élégance. D’où un brouillage qui inclut tous les personnages dans une même peur, et surprend le lecteur. On est ensuite plongé au cœur de la souffrance, avec une complaisance qui contient des scènes de torture explicites et de mutilation chères au genre sus-cité.
Ce n’est pas un moment. Ce que vous vivez ne se déroule pas dans le temps. La souffrance est un lieu, duquel vous ne savez pas si vous pourrez sortir. Vous ne possédez même pas l’espoir qui vous permettrait de souhaiter que tout s’achève plus vite. Plus vite n’existe pas, pas plus que le temps lui-même. Vous n’êtes pas assez vivant pour le mesurer. Vous vivez un présent perpétuel de douleur.
Cette référence aux films d’horreur permet de dédouaner le roman d’un souci de vraisemblance : les morts s’enchaînent vite, très vite, c’est aussi une loi du genre.
L’auteur manipule ouvertement son lecteur. Il l’interpelle et souligne que le lecteur est au moins aussi coupable que l’écrivain puisqu’il lit. Qu’il n’y a pas d’écrivain pervers ou sadique sans lecteur aux mêmes tendances, que le plaisir de l’horreur ne se conçoit qu’à plusieurs, au moins deux. L’écrivain pourtant a un avantage puisqu’il est celui qui mène la danse, celui qui subjugue par sa narration et impose sa loi, les lois du ciel. D’Enzo à Grégoire Courtois il n’y a donc qu’un pas, comme un miroir qu’on promène au bord d’un chemin forestier.
Un livre qui dérange par les horreurs qu’il décrit explicitement mais aussi par ce qu’il suggère : la perversité des enfants. De quoi donc trembler et se réjouir, suprêmes plaisirs littéraires qu’il est bon de savourer en connaisseur.
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Les lois du ciel
Grégoire Courtois
Le Quartanier (Série QR), 2016
ISBN : 978-2-89698-275-2 – 195 pages – 18 €
« perversité des enfants »…ça me tente !
Il y a de quoi : ça nous change !
😀
j’ai du mal avec ce type de récit, dans un vrai bon polar habituel je supporte le sanglant mais pas dans ce type de roman auquel je suis réfractaire je crois
C’est vrai que ça n’est pas de tout repos… Pour ma part, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre et comme je suis amatrice de films d’horreur, j’ai vraiment été agréablement surprise…
Je n’ai pas pu lire ton billet jusqu’au bout , alors tu imagines ce roman .. Tu sais que nous sommes à 6 jours de Noël période où on aime rendre heureux les enfants?
En effet, je ne suis peut-être pas tout à fait dans le ton… mon prochain billet traitera de la Seconde Guerre mondiale, mais je m’apprête tout de même à passer de bonnes fêtes, et j’espère que toi aussi 🙂
Malgré l’aspect film d’horreur, ce livre a tout pour me plaire.
Et c’est bien plus subtil qu’un film d’horreur, ça te plaira !
Ce n’est clairement pas pour moi, qui tourne de l’oeil à la moindre évocation du sang. Je n’ai jamais vu de film d’horreur et j’avoue ne pas comprendre le plaisir qu’on peut prendre à les regarder – il en va de même des livres. Sauf à satisfaire ainsi une pulsion plutôt que de passer à l’acte, je ne vois pas l’intérêt. Ce qui ne veut pas dire que je renonce à considérer la violence, qui est hélas assez omniprésente, sous de très diverses formes. Mais disons que je n’éprouve pas le besoin d’en connaître tous les détails physiques. Pour moi, il est plus intéressant d’étudier les rouages et les ravages des différentes formes de violence sociale.
Après, je sais que l’horreur est un genre qui connaît beaucoup d’amateurs, et il y a sans doute des maîtres en la matière…
Je ne crie pas mon goût pour les films d’horreur sur les toits : souvent, ça suscite l’incompréhension.
Beaucoup de films d’horreur sont des films drôles. Je sais que c’est dur à croire, surtout qu’en on n’en regarde pas plus de deux minutes, mais c’est un fait (Tobe Hooper, à l’époque, a par exemple beaucoup regretté qu’on ne saisisse pas mieux cet aspect-là de Massacre à la tronçonneuse).
Le torture porn par contre n’est pas drôle du tout, mais il dénonce très souvent la violence. Par exemple, Eli Roth dans son premier Hostel dénonce les horreurs commises par l’armée américaine lors de la guerre d’Irak (Abou Ghraib) : les soldats du droit et de la liberté ont torturé des gens, des êtres humains, pour le plaisir. Ça existe pour de vrai, pas que dans les films, malheureusement…
Un des films les plus horribles et violents qui soient, A Serbian Film (avec viol de bébé, le réalisateur a eu des problèmes pour ça tant le film est réaliste… comment un film qui dénonce la violence pourrait cautionner le viol d’enfant, je me le demande !!). Le réalisateur souhaite dénoncer la situation de son pays, la violence justement dans laquelle il est plongé.
Évidemment, la montrer est un moyen radical de dénoncer la violence, l’exploitation, la souffrance, l’injustice sociale aussi. Mais c’est très en prise avec la réalité et surtout, c’est une forme d’art très efficace qui suscite souvent beaucoup de discussions.
La preuve ! Il est rare que des billets provoquent des commentaires aussi longs 😉
Je ne connais vraiment pas assez ce genre pour pouvoir en parler et j’entends ce que tu dis. Cela étant, je ne suis pas certaine que l’ensemble du public qui regarde ces films perçoive leur portée critique (lorsqu’il y en a une, ce n’est sans doute pas toujours le cas). Il me semble notamment que certaines personnes sont très jeunes…
Personnellement je conserve un véritable traumatisme d’un livre lu il y a pourtant des années et que tu connais peut-être : Raphaël, derniers jours. Ce ne sont pas tant les détails de ce qu’allait subir le héros qui m’avaient fait frémir, que l’idée que les snuff movies puissent réellement exister et que des gens puissent avoir plaisir à les regarder. Tu me diras qu’un snuff movie et un film d’horreur ne sont pas la même chose. Mais pour moi, il y a tout de même quelque chose de très dérangeant dans l’idée du plaisir qu’on ressent à observer la souffrance d’autrui, même si dans un cas, on est dans la fiction, la simulation, et dans l’autre cas, non, et que ceux qui les regardent savent qu’ils se rendent complices d’un crime.
C’est assez difficile de s’exprimer là-dessus par écrit. J’espère qu’on trouvera une nouvelle occasion de nous rencontrer pour en parler de vive voix, car c’est un sujet intéressant qui, comme tu peux le constater, me pose question et je n’ai pas eu souvent l’occasion d’en discuter avec quelqu’un qui a du recul et une véritable approche critique par rapport à ça.
Au plaisir d’en discuter de vive voix avec toi.
Mais je ne peux m’empêcher de rebondir : entre un film d’horreur et un snuff movie, la fiction est TOUTE la différence ! Un film, ça n’est pas « pour de vrai » (comme disent les enfants) et c’est ce qui permet la distance (ce qui me permet la distance, à moi en tout cas). Par contre, prendre plaisir à la réelle souffrance d’un être vivant, de surcroît un être humain, c’est être un nazi ou un malade mental. Certains serial killers prennent plaisir à ça il parait, et se sont clairement des malades.
Bon, j’ai hâte qu’on en discute… Je serai fin janvier au festival du film fantastique de Gérardmer : si le coeur t’en dit de faire une cure… 😉
Quelle excellente idée ! Tu veux jouer les infirmières auprès de moi !
Bon, j’étais sûre que j’allais te faire bondir avec mon histoire de snuff moovie et je suis d’accord avec toi. Mais il y a parfois des scènes si réalistes (et il n’est nul besoin de voir des films d’horreur pour en découvrir), que cela met tout de même très mal à l’aise, je trouve. Et je ne m’explique pas que l’on puisse regarder certaines images sans éprouver le moindre malaise…
A bientôt j’espère. A Gérardmer… ou ailleurs !
Passe de très belles fêtes en attendant !
Je viens de lire ce roman qui vient de sortir en poche. C’est saignant ! mais j’ai bien aimé… et je trouve que c’est un auteur très prometteur !