La littérature s’est depuis longtemps emparée du fait divers. Qu’elle le traite d’un point de vue sociologique comme Ivan Jablonka dans Laëtitia ou de façon plus sensationaliste et humoristique comme Jean Teulé dans Mangez-le si vous voulez, elle s’y abreuve. Les écrivains témoignent ainsi de l’importance de la littérature pour réfléchir sur le monde contemporain et la société. Avec Récit d’un avocat, Antoine Brea annonce dès le titre la sobriété avec laquelle il s’empare de celui qui a retenu son attention.
Il en fait rapidement le récit, car ce n’est pas sur le fait divers lui-même que se concentre son avocat-narrateur. Une femme, Annie B., est la maîtresse d’un kurde marié et père de famille. Celui-ci envisage de quitter sa femme et enfants pour elle. Pour l’en dissuader, ses frères et cousins organisent l’enlèvement d’Annie, qui dégénère et la jeune femme meurt de ses blessures. Ahmet A. et Unwer K., ses tortionnaires, sont condamnés. Seize ans après, le narrateur rencontre Ahmet pour la première fois à la prison de Clairvaux.
L’avocat-narrateur raconte avec précision les actions intentées en faveur d’Ahmet, détenu modèle s’il en est. Deux lignes se dégagent de ce récit. L’une, politique, explicite l’histoire familiale d’Ahmet qui risque d’être assassiné s’il est renvoyé en Turquie une fois libéré. Au nom de la vengeance, la famille d’Unwer K. le tuera s’il revient. L’avocat va tenter d’obtenir une libération aménagée puis qu’il reste en France quand il aura purgé sa peine. La situation de ce demandeur d’asile, de surcroît en prison, est dramatique et absurde à la fois : jamais la machine judiciaire ne prend en compte les arguments propres à la situation de ce Kurde en danger de mort en cas de retour au pays.
L’autre aspect du récit s’intéresse à l’avocat lui-même. Il s’avère assez perturbé, sujet à des crises d’angoisse. Il manque d’assurance au point d’en devenir peu fiable.
Avais-je rêvé cet appel téléphonique du consulat ? Je ne puis absolument l’exclure. Il n’est pas rare qu’après coup, des épisodes de ma vie m’aient paru empreints d’équivoque, entièrement irréels même, au point de ne les évoquer qu’avec appréhension devant ceux censés y avoir pris une part, inquiet d’être tenu pour un dément, un mythomane.
Un avocat peu crédible et un narrateur sujet à caution, qui se dévoile. Ce qui se fait jour page après page, c’est le grand désarroi de cet homme. Il ne semble pas psychologiquement et même physiquement taillé pour la besogne, il n’a pas la carrure de son rôle. Cette inadéquation le place à la marge, dangereusement près des frontières de la morale. Il glisse, lui-même victime d’un système judiciaire déshumanisé, de l’autre côté de la Justice. Comme Ahmet a incompréhensiblement basculé…
« Les société ont les criminels qu’elles méritent », observait en son temps Lacassagne. Se doutait-il que la corporation des criminels peut être assez large pour englober ceux qui les jugent ?
Récit d’un avocat est construit comme un thriller : plus la personnalité du narrateur est soumise au doute, plus le lecteur veut savoir jusqu’où il va aller. D’un point de vue narratif, la construction est prenante malgré la sobriété du style. Ou l’apparente sobriété du style qui passe par une grande concision et un vocabulaire juridique très précis mais prend pourtant le temps des états d’âme.
Si l’on considère qu’il est ici aussi question de la situation au Moyen Orient et du terrorisme actuel, on concevra clairement l’ampleur de ce pseudo-récit d’une centaine de pages.
Originellement publié chez l’éditeur canadien Le quartanier, Récit d’un avocat paraîtra bientôt en France aux éditions du Seuil.
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Récit d’un avocat
Antoine Brea
Le Quartanier, 2016
ISBN : 978-2-89698-278-3 – 115 pages – 13 €
Étrange, je ne suis pas très sûre de comprendre ou mène ce récit même s’il a l’air bien glaçant 🙂
Il mène bien quelque part, la fin est surprenante (pour ma part, je ne m’y attendais pas) mais il serait dommage de la dévoiler…
Au début de ton article, je me disais qu’il n’était pas pour moi, et au final, pourquoi pas?
Merci de l’avoir lu jusqu’au bout : je suis ravie d’éveiller ta curiosité pour ce livre.
Tout ça sur seulement une centaine de pages ? Tu as éveillé ma curiosité.
Je pense qu’Antoine Brea est auteur de peu de mots ; on est pourtant très efficacement saisi par ce texte et son personnage narrateur.
Evidemment, je sens mon intérêt s’éveiller …
J’espère qu’à l faveur de la réédition au Seuil, on parlera plus de ce livre et que tu pourras le lire facilement.
oh là là pas trop envie de me plonger dans ce récit , tant mieux pour moi car je croule sous les sollicitations!
Celle-ci est pourtant intéressante et originale… bon, je ferai mieux la prochaine fois 😉
Je vais donc guetter sa parution en France….
On peut déjà l’acheter chez Le Quartanier, je l’ai pour ma part tout simplement commandé.