Mika Biermann doit être une sorte de savant fou. Dans son laboratoire littéraire il expérimente, s’essaie à divers genres en les dévoyant. Si en lisant Booming les amateurs de western sont en terrain connu, ils tombent bientôt de leur monture tant le parcours est inhabituel. Les lecteurs de Sangs tomberont-ils de leur chaise, de leur fauteuil de spectateurs abreuvés de films d’horreur toujours plus gore ? A vous de voir…
Sangs, roman américain débute par le portrait de Janet en desperate housewife : belle maison, gazon tondu, deux enfants, mari absent. Tellement absent que voilà des mois qu’on ne l’a pas vu, serait-il parti pour de bon, cette fois ?
Dans une deuxième partie, on découvre Jeff, le mari, qui rentrerait bien volontiers auprès de sa petite famille mais qui en est empêché puisqu’il a été enlevé par un sadique qui lui fait subir mille maux. Son tortionnaire qu’il a baptisé Bill le découpe par petits bouts, lui enfonce des clous dans la chair, lui fait avaler une vis. Il a pris soin d’établir une liste des sévices à infliger, pour que Jeff ne croie pas qu’il en a terminé avec lui.
Le lecteur assiste « en direct » à la torture de Jeff qui raconte son calvaire. Evidemment, c’est assez trash. On ne peut s’empêcher de penser à tous ces films de torture porn et surtout à Hostel puisqu’il y est question de gentils Américains capturés et torturés pour ce qu’ils sont. Mais Hostel, ça n’est pas drôle, pas drôle du tout. Par contre, Sangs n’est pas dénué d’humour et par l’Amérique barjot qu’il décrit se rapproche bien plus de Massacre à la tronçonneuse. Une scène plus tardive rappelle d’ailleurs les fantasmes de ce cinglé d’Ed Gein qui a inspiré bien des cinéastes.
Bref, Sangs est bien plus festif qu’effrayant, on est loin par exemple du dégoût qu’inspirent certaines scènes de American Psycho, tellement excellent dans ses scènes de torture que je n’ai pas pu les lire. Mika Biermann choisit une autre représentation de l’horreur, battue en brèche par l’humour.
Du sang coule de mon crâne. La lame arrache la peau. Pas la peine de s’en plaindre, je sais. Je gratte. Bill ouvre l’antique robinet de la baignoire qui se met à cracher de l’eau. Il m’y envoie d’un signe de tête. Je grimpe dedans. C’est froid. Bill me regarde trembloter. Il fouille dans un placard ; je suis vaguement curieux de ce qu’il va en sortir. Il jette quelque chose dans la baignoire. J’ai un mouvement involontaire de recul. Un canard en plastique, jaune au bec rouge, se met à danser sur les vaguelettes. Bill se redresse, sérieux comme un pape, le fusil braqué sur moi. Je me mets à pleurer.
J’ai les nerfs à vif depuis quelque temps.
Suivent trois parties consacrées aux enfants du couple, bien des années après l’épreuve subie par Jeff. En 2001 très exactement, le 11 septembre. Oui, c’est un peu énorme de dépeindre la chute d’une famille américaine moyenne sur fond de 11 septembre mais Mika Biermann, on l’a vu, ne fait pas dans la nuance subtile. Il utilise à outrance des codes et des symboles pour donner dans un délectable grand-guignol de mauvais genre mais pas de mauvais goût. Le grotesque a du sens, même dans l’horreur.
Mika Biermann sur Tête de lecture
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Sangs, roman américain, Mika Biermann, P.O.L., février 2017, 153 pages, 10€