Dans Les animaux ne sont pas comestibles, l’écrivain Martin Page fait part de son cheminement vers le véganisme et de son engagement pour la cause animale. C’est un texte très personnel dans lequel il livre des anecdotes familiales par exemple mais aussi un texte qui balaie les idées reçues sur le véganisme. Balayer au sens où il les parcourt toutes successivement mais aussi au sens où il les réfute. Avec conviction mais surtout avec enthousiasme. Martin Page est un végane heureux, tolérant et imaginatif.
A l’évidence, l’intolérance est du côté des carnistes, des mangeurs de viande et buveurs de lait. Comment expliquer que des véganes se fassent au mieux moquer mais souvent verbalement agresser par ceux qui ne le sont pas ? En quoi cet idéal gène-t-il les autres ? Les blagues et réflexions sont parfois si constantes et méchantes que des véganes débutants renoncent à leur engagement. Et les moqueurs dont il est ici question ne sont pas les tenants de l’industrie agro-alimentaire qui ont des intérêts financiers dans l’abattage industriel d’êtres vivants. Non, les moqueurs sont les collègues, les amis, la famille même parfois. Pour moi, ils sont animés d’une mauvaise conscience qui les pousse à déprécier ce qu’ils sont incapables de faire.
Comme l’explicite très bien Martin Page, être végane c’est être « hétérodoxe socialement » : ne pas faire comme tout le monde.
Le véganisme est une philosophie politique qui s’attaque à la tradition, au conformisme et au statu quo.
Et donc, ce n’est pas une démarche facile, les encouragements sont rares y compris en France.
La France a un rapport compliqué à la cause animale, en raison de sa gastronomie, en raison d’un machisme chic (même à gauche le virilisme fait des ravages et l’empathie est vue comme de la sensiblerie), en raison d’un contexte social peu favorable aux animaux (puissance des lobbies agro-industriels et de la chasse), en raison aussi du fait qu’on associe la défense animale à de la misanthropie. Le féodalisme persistant de ce pays, le conformisme et le suivisme n’aident pas à la diffusion de tout ce qui s’écarte de la norme. Il faut attendre que l’aristocratie donne le signal. Les initiatives plébéiennes ne seront jamais bien vue.
Les carnistes qui discutent avec des végétariens ou des véganes ne cherchent pas à comprendre mais bien à trouver la faille avec des remarques débiles (du type « Hitler était végétarien »), des questions illusoires du même niveau (« et si tu étais sur le point de mourir de faim, tu mangerais un steak ? »), ou des niaiseries qui éloignent du coeur du débat (« et si ton enfant à des poux, tu les tues ? ») à savoir l’abattage massif d’animaux pour le plaisir gustatif de la minorité humaine. Hitler et les poux sont là pour faire diversion, pour éviter les vraies questions que végétariens et véganes pourraient poser aux carnistes qui pour la plupart déclarent aimer les animaux et être scandalisés par l’abattage industriel.
Voir ma bibliographie (non exhaustive) sur la condition animale et les droits des animaux
Le sérieux du propos n’empêche pas Martin Page de transmettre son enthousiasme : non, les véganes ne sont pas de tristes ascètes qui mangent de la salade et du soja. A l’évidence, la gastronomie végane est en cours de création, elle est dynamique et créative bref, elle donne envie.
Martin Page précise également que le véganisme n’est pas un régime alimentaire, pas plus que le végétarisme : on ne devient pas végane pour être en bonne santé. Le véganisme est un engagement politique sous-tendu par une éthique, ce qui souligne la force de l’engagement. Cependant, il n’est pas interdit de devenir végétarien pour être en bonne santé (toutes les raisons sont bonnes !) tant la viande industrielle est de mauvaise qualité. Faut-il le répéter : l’industrie agro-alimentaire ne souhaite pas vous fournir de bons produits à l’inverse de ce que les publicités veulent faire croire, mais bien s’enrichir.
Voici les deux points sur lesquels je ne suis pas d’accord aujourd’hui avec Martin Page.
Je ne crois pas que les animaux et les humains soient égaux (je suis donc spéciste…). Je pense avoir toute l’empathie du monde pour les animaux, je ne les mange ni ne les maltraite (mais j’écrase -hum… je fais écraser- les araignées). Je reconnais qu’ils ont des sentiments et des émotions qui leur sont spécifiques. Je ne leur veux aucun mal et serais comblée si l’humanité devenait végétarienne ou végane. Mais un être humain est supérieur à un animal en ça qu’il a une conscience qui lui dit où est le Bien et où est le Mal et lui permet d’être libre de ses choix. J’ai choisi de ne pas manger de viande, un lion ne le peut pas. Cette conscience est indéniable et confère à l’être humain une supériorité. Mais ce n’est pas parce qu’il est supérieur que l’être humain doit imposer ses choix aux autres êtres vivants, encore moins les exploiter et les maltraiter. Au contraire (jouons l’utopie), cette supériorité devrait se transformer en supériorité morale.
Autre point de désaccord : je ne crois pas qu’il faille interdire la consommation de viande, comme Martin Page le préconise. Quelle vertu attend-on de la prohibition ? Interdire par la loi ce que des milliards d’individus ressentent comme un dû est d’une part illusoire et d’autre part contre-productif : cela créerait des frustrations qui n’amélioreraient pas le traitement des animaux.
Ce qui est bien plus efficace, c’est la conviction, l’enthousiasme et le bien-fondé des militants. Je suis revenue au végétarisme grâce à un livre : végétariens, véganes, écrivons des livres ! Plus simplement : parlons. Entamons le dialogue avec les gens au quotidien, avec nos proches et nos amis. Expliquons pourquoi nous ne mangeons plus de viande, pourquoi c’est important de totalement en arrêter la consommation et de ne pas se leurrer. Très vite, de nombreuses personnes se trouveront prises en porte-à-faux entre ce qu’elles disent (aimer les animaux, ne pas vouloir la souffrance…) et leurs pratiques.
Quand j’achetais des lardons bio et du poulet de petit producteur, je débordais de bonne conscience et d’un sentiment de supériorité qui n’allait pas sans un certain mépris, dont je ne suis pas fier, à l’égard de ceux qui consommaient de la viande industrielle. […]
… j’évitais de penser au seul fait qui aurait dû compter : un cochon élevé en plein champ sera tué comme un animal élevé dans une ferme industrielle. Il sera tué alors qu’il est au début de sa vie adulte uniquement pour satisfaire mon plaisir gustatif.
Les végétariens et véganes désarmés devant l’opposition carniste devraient trouver quelques réponses et arguments dans Les animaux ne sont pas comestibles. J’imagine que peu de viandeurs s’y aventureront mais les hésitants pourraient grâce à ce livre engagé et personnel faire le premier pas, celui qui coute…
Martin Page sur Tête de lecture
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Les animaux ne sont pas comestibles
Martin Page
Robert Laffont, 2017
ISBN : 978-2-221-19338-9 – 265 pages – 18,50 €
Billet passionnant, et qui amène à la réflexion. Je suis d’accord pour dire que le débat est mal engagé. et je ne pense pas que ce livre aidera à faire dialoguer les deux clans.
Je crois que les non véganes ont la raillerie facile et des tonnes de préjugés. Par contre, je n’arrive pas bien à comprendre pourquoi, quoique un peu mieux depuis la lecture de ce livre.
Allez hop, je l’ajoute… pour plus tard. Rien à la bibli, mais hier j’ai feuilleté le bouquin de Nicolino, Bidoche.
J’attends quand même un peu, la lecture du JS Foer doit être digérée.
(je n’écrase pas toujours les araignées, si elles sont petites et loin, elles vivent, quitte à les flanquer dehors; mes chats te signalent que certains animaux sont comestible)(OK je rigole, je suis 100% avec les arguments no viande, au moins dans nos sociétés )
Pour les arguments ‘si tu mourais de faim’, la grand mère de JS Foer a eu une réponse géniale à ça!
Les chats mangent très bien les araignées 🙂
J’ai commencé à tâter du véganisme il y a plus de 30 ans, à l’époque par simple dégoût de la viande, sans penser aux animaux, j’avoue .. je ne te dis pas ce que j’ai entendu. Et j’ai rencontré des sacrés intégristes chez eux ! Il en reste une bonne frange d’ailleurs, l’intolérance est des deux côtés. J’ai fait le chemin inverse, je remange de la viande pour des raisons que je n’exposerai pas ici, mais le moins possible et toujours quand je sais d’où vient la viande. Je vais regarder si ce livre est à la bibliothèque. (je découvre que je suis spéciste moi aussi).
J’imagine que les adeptes ont le sentiment de se battre pour une cause tellement juste, légitime et non égoïste qu’ils se mettent en colère face aux moqueries et aux pressions. Martin Page dit qu’il s’est parfois emporté et l’a regretté… le dialogue, s’est toujours mieux, bien sûr…
Ce sujet te tient vraiment à cœur, ça fait plaisir 🙂
C’est vrai que les remarques à la con visant à décrédibiliser les vegans sont particulièrement agaçantes. Et après ils viennent dire que ceux qui ne mangent plus de viande imposent leur « régime » aux autres, c’est aberrant.
Je ne crois pas en un monde où l’on ne consommera plus d’animal, c’est illusoire, il faut se rendre à l’évidence. L’homme serait incapable de mettre au placard une pratique qui date de la naissance de l’Homme, impensable. Mais il y a tant de progrès à faire, des choses pas difficiles pourtant. On va droit dans le mur et tout le monde, ou presque, s’en moque. Quand j’ai refusé de manger de l’agneau à Pâques on m’a ri au nez, impossible d’expliquer mon choix, tout le monde se foutait de ma gueule à table… sympa.
Je suis en train de me constituer une petite pile de livres à lire sur le sujet qui aura des répercussions ici, forcément 😉
Je trouve très triste l’intolérance des gens en matière d’alimentation (et en toute matière d’ailleurs…) : les végétariens ne forcent personne à l’être. Je pense que si les gens se moquent c’est 1/parce qu’ils sont plus nombreux que ceux qui ne mangent pas de viande (j’imagine mal un viandeux seul se moquer d’un banquet de véganes) et 2/parce qu’ils ont mauvaise conscience. On se moque de ce qui gène, de ce qui met mal à l’aise (exemple : regarder à plusieurs une scène d’amour dans un film : rires assurés) et de ce qu’on assume pas. Tous ces gens qui se sont moqués de toi savent très bien la souffrance qui a été infligée à l’agneau et si eux-mêmes voyaient des agneaux dans un pré, ils s’attendriraient. Mais voilà, ils le mangent et devant quelqu’un qui a le courage de ne pas le faire, d’être moins égoïste qu’eux, ils se sentent comme des cons.
Je ne peux que te conseiller de lire et lire encore des gens qui ont eu droit à ce genre de réflexions et qui ont fourbi leurs armes : prépare tes arguments (ce sont toujours les mêmes qu’on t’opposera) et la force sera avec toi 🙂
Tu appliques tes convictions, c’est bien. Moi, je ne pourrais pas me passer de fromage….
Oh, je ne suis pas végane, juste végétarienne.
Vaste sujet, très intéressant, une belle réflexion, il pourrait m’intéresser.
Il y a beaucoup de livres sur le sujet et chacun est un argument de plus en faveur de la défense des animaux.
J’ai adoré ce livre, vraiment inspirant ! Je recommanderai le film documentaire « La Santé dans l’Assiette » car il m’a beaucoup aidé à prendre conscience de l’importance de l’alimentation saine.
Belle journée !
Suzanne