Le regard de Ken Liu

le regardUne call-girl reçoit un client dans son appartement. Tout se passe comme d’habitude jusqu’à ce qu’il la tue de deux balles dans le coeur puis la charcute. Tel est le premier chapitre de cette novella de Ken Liu qui met en scène un tueur de prostituées et une détective privée, Ruth Law.

Cette dernière a fait partie de la police jusqu’à une bavure qu’elle ne peut toujours pas affronter. Pour pouvoir vivre quand même, elle déclenche vingt-trois heures sur vingt-quatre le Régulateur qui annihile ses émotions. Elle ne connaît plus ni panique, ni peur, ni remords. Artificiellement sereine et maîtresse d’elle-même, elle peut faire face à des situations émotionnelles fortes. Quand Sarah Ding, la mère de la jeune call-girl assassinée vient la voir, elle a bien besoin de son Régulateur. Contre beaucoup d’argent, elle promet de retrouver l’assassin.

Le lecteur en sait un peu plus qu’elle puisqu’il suit ledit assassin et sait pourquoi il les tue : il leur vole un moyen de faire chanter ou tomber des hommes très puissants.

Sur le mode du roman noir, Ken Liu travaille le thème de l’homme modifié. Ce Régulateur est une bénédiction (hum…) pour les flics qui n’ont pas intérêt à se laisser aller aux émotions, eux qui sont au quotidien confrontés à des situations paroxystiques. Mais pour Ruth, il est devenu indispensable. Elle est incapable d’affronter le désespoir et donc de vivre sans être assistée : elle confie à la technologie sa capacité d’être un individu social. Jusqu’au crash, qui montre les limites du procédé.

Que devient l’être humain dépouillé de la technologie et contraint d’affronter la vie par lui-même ? Corps amélioré et transhumanisme se déclinent ici sur le mode du polar très classique. Celui-ci est un prétexte, un cadre pour s’intéresser à l’homme modifié et à l’espace si étroit entre améliorations et assistance. La technologie crée des hommes et des femmes dépendants qui ont abandonné l’affect pour une prétendue neutralité efficace.

Si ce texte de Ken Liu n’est pas aussi percutant que d’autres, il pose cependant des questions actuelles sur notre société. Des questions qui n’émergent que si on prend un peu de distance avec nos habitudes, si on se regarde d’un peu loin pour voir ce que nous sommes devenus…

Ken Liu sur Tête de lecture

.

Le regard (The Regular, 2014), Ken Liu traduit de l’anglais (américain) par Pierre-Paul Durastanti, Le Bélial’ (Une Heure-lumière), juin 2017, 92 pages, 8,90€

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s