Tout un été sans Facebook de Romain Puértolas

tout un été sans facebookAprès lecture du Fakir je m’étais dit : « Puértolas, c’est fini ». Un livre censé être drôle qui ne fait pas rire, c’est bien sûr un échec. Et puis… Et puis, voilà que l’ami François Angelier consacre une de ses chronique matinales à Tout un été sans Facebook. J’ai eu du mal à y croire sur le coup. « Un délire narratif », affirme-t-il, « une enquête démente », « comme si Agatha Christie rencontrait les Simpson ». C’est tentant. Tentant parce que François Angelier, je le suis quasi aveuglément depuis vingt ans via Mauvais Genres et que nous faisons partie depuis dix ans du même jury littéraire. Voilà comment la confiance peut venir à bout de toutes les résolutions, même les mieux justifiées…

Je n’ai pas mis longtemps à me rendre compte que j’allais avoir à nouveau du mal avec un roman de Romain Puértolas, beaucoup de mal, et qu’il était probable qu’à nouveau, je ne rie pas du tout. Voire même que je me lamente.

Situation : Agatha Crispies est une très grosse Noire de trente-cinq ans, lieutenant de police à New York. New York dans le Colorado. Ça, c’est le gag récurrent, qui revient toutes les trois pages. Idem pour l’humour sur les noms de famille. Le shérif s’appelle Mc Donald et elle l’appelle tantôt McDo, tantôt Mc Drive. Mort de rire.

Il ne se passe bien sûr rien à New York, Colorado, la ville aux cent quatre-vingt-dix-huit ronds-points. Alors la police s’occupe comme elle peut. Il y a un club de tricot qui compte trois membres (dont un homme, et devinez quoi ? Il est homosexuel. Mort de rire), un club de fléchettes où il faut aussi savoir roter, un autre de sudoku et enfin un club de lecture dont s’occupe Agatha Crispies (et dont fait partie malgré elle la femme de ménage qui, devinez quoi, est Mexicaine et ne quitte jamais son balai à chiottes. Mort de rire).

Heureusement, on découvre un mort à Woodville, à deux heures de route de New York, Colorado, le premier depuis qu’Agatha est en poste dans le bled. Je vous passe ses méthodes d’investigation totalement farfelues censées être drôles mais qui la font juste passer pour une débile. Elle est donc femme, noire et ridicule. Bon. C’est du second degré, une astuce humoristique pour dénoncer ce dont on semble se moquer. Bon. Mais pourquoi je ne ris pas ?

Le roman fonctionne en partie sur l’humour à répétition, dont je ne suis pas adepte, à l’évidence. Par exemple, il faut croire que donner l’heure en a.m/p.m. c’est drôle, mais je n’ai pas compris pourquoi… Romain Puértolas répète beaucoup : que la voiture de police, sponsorisée, porte sur le toit un donut en plastique géant ; qu’Agatha postillonne des miettes de donut sur les scènes de crime ; que le chef de la police passe son temps à pêcher et porte un bob avec des hameçons fichés dedans ; que la littérature, c’est la vie…

En dehors de l’enquête qui n’est qu’un pastiche du genre reprenant et détournant certains classiques (« elle avait l’habitude de dire qu’Hercule Poirot utilisait ses petites cellules grises et elle, ses petites cellules grasses« ), Romain Puértolas se livre à une apologie de la lecture et surtout, de la diversité littéraire. Car c’est bien connu, sauf des snobs Parisiens, tout est littérature !

Chaque livre était unique, on ne pouvait le catégoriser, le cliver, il faisait partie intégrante d’un seul groupe commun à tous : la littérature, à l’instar de la race humaine.

Tous les livres sont égaux et dans cette démocratie littéraire, on peut donc invoquer aussi bien Tolstoi, Dumas, Hemingway, Joël Dicker et Katherine Pancoll. Car un bon roman est avant tout un roman compréhensible par tous. Et Romain Puértolas de se livrer à une descente en flammes de Ulysse de James Joyce car ce qu’il ne comprend pas ne pourrait être un chef d’oeuvre, bien entendu.

Agatha Crispies a une grande culture littéraire. Du coup, elle essaie de transmettre sa passion aux membres de son club et aux gens qu’elle côtoie, les ploucs de New York, Colorado. Le problème est qu’elle ne se contente pas  de faire allusion à certains classiques : elle les résume et les commente. Par exemple, quand elle est face aux membres du Klan, elle évoque  Atticus Finch. Mais bien sûr, Puértolas est bien conscient que nombre de ses lecteurs ne savent pas qui est Atticus Finch. Il faut donc qu’Agatha se lance dans un résumé et une interprétation de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, soi disant pour ces imbéciles du Klan qui ne lisent pas, mais surtout pour le lecteur de Tout un été sans Facebook . Il résume même L’Etrange cas du docteur Jekyll et de mister Hyde. Le procédé revient sans cesse : Autant en emporte le vent, La Conjuration des imbéciles, Pour qui sonne le glas (pensez donc, ces bouseux ne comprennent même pas le titre…). Ce faisant, il n’allège pas le propos, déjà lourdingue (Agatha mène son club façon maîtresse d’école, le lecteur le plus acharné s’enfuirait en courant !).

La lecture, c’était comme les mecs, un moment de plaisir, jamais une obligation ou une torture. La lecture, c’était fait pour s’évader, pour passer un bon moment, accessoirement pour apprendre des choses.

Vous remarquerez la finesse des comparaisons… En voici une autre et ce sera tout sinon il me faudrait recopier le livre dans son intégralité :

Des seins et un postérieur aussi démesurés que les promesses électorales d’un candidat à la présidence.

C’est drôle et puis surtout, c’est original… idem pour les jeux de mots, sur la scierie et la Syrie, par exemple.

On l’aura compris, pour Agatha Crispies et j’imagine pour son créateur, on lit pour passer un bon moment. Il m’arrive de lire pour me divertir ou de lire pour apprendre de façon plaisante (des romans historiques par exemple). Mais je lis avant tout pour comprendre le monde et les gens qui m’entourent, pour envisager d’autres lieux, d’autres mentalités, d’autres cultures. Je lis aussi pour apprécier un style, une langue et si parfois je tombe sur des textes difficiles, ils ne le sont qu’en raison de mes limites.

Derrière ses airs potaches, Tout un été sans Facebook distille quelques affirmations sur la littérature qui dénotent une surprenante étroitesse d’esprit. On peut apprécier la littérature populaire sans snober les textes exigeants. Pour pratiquer l’éclectisme (un tiers de mes lectures est consacré aux littératures de l’Imaginaire), je sais qu’il est mal vu en France de ne pas être spécialisé et de manger à plusieurs râteliers littéraires : ça ne fait pas bien sérieux (et quand j’ajoute (rarement…) que je regarde des films d’horreur alors là, c’est le discrédit total !). Mais Romain Puértolas agit exactement comme les germano-pratins qu’il voue aux gémonies : il encense son pré carré et méprise tout le reste. Je trouve ça triste.

Avec tout ça, je n’ai pas ri. Juste un peu souri quand un personnages explique à quel point il est difficile d’être raciste aujourd’hui et au cours de l’épisode (trop bref) de la chasse aux écureuils radioactifs. Ça fait peu sur près de 400 pages (« jubilatoires », « hilarantes » lit-on partout…). J’ai bien compris que Romain Puértolas cherchait sous couvert d’humour à dénoncer le racisme et le sexisme, à transmettre son goût pour certains livres et auteurs, à aborder le problème des classes sociales qui ne lisent pas. Oui mais voilà, je reste hermétique à cet humour à la truelle fait de répétitions, de jeux de mots éculés et d’accumulations de situations abracadabrantes. Donc cette fois Puértolas, c’est fini, quelle que soit la sirène…

Romain Puértolas sur Tête de lecture

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Tout un été sans Facebook

Romain Puértolas
Le Dilettante, 2017
ISBN : 978-2842639075 – 380 pages – 22€

35 commentaires sur “Tout un été sans Facebook de Romain Puértolas

    1. Eh bien j’aimerais bien que des lecteurs m’expliquent pourquoi ils trouvent ça drôle. On n’a pas vu ce livre sur les blogs, je ne sais pas pourquoi et je n’ai lu que des chroniques de journalistes « morts de rire »…

  1. Effet de mode ? ou un retour d’ascenseur pour un Service de presse ?
    Déjà, un héros (ou héroïne) qui s’appelle Agatha Crispies me ferait fuir… Pourquoi pas un chien surnommé Sherlock Hemlos ? (Mais il existe déjà…) Un détective, Hercule Panais ? etc, ad libitum….
    Grand lecteur de polars depuis plus de 40 ans, je trouve que le genre est en train de péricliter… à cause de ces petits faiseurs prétentieux….

  2. Jamais lu cet auteur (je me méfie des livres annoncés drôles avec titres à rallonge!)(même Legardinier m’est tombé des mains, il fallait le faire, avec un chat sur la couverture, pourtant…). Ton billet me dissuade de faire connaissance, j’espère que tu as emprunté ce roman, pas acheté. Mais tout peut arriver, je sors d’une lecture flop aussi…

  3. Je crois que si tu n’as pas aimé Le fakir il était très risqué de lire celui-ci, c’était couru d’avance. Pour ce genre de littérature, soit on accroche dès le départ, soit on oublie. L’humour c’est toujours très très périlleux.
    Moi j’ai adoré Le fakir, j’ai ri mais ri ! Donc bien sûr je vais me jeter sur celui-ci très vite 🙂

    1. J’espère que tu écriras un billet sur cette lecture. Je le lirai très attentivement car je suis curieuse de comprendre…

  4. Hmmm… je pense que ce n’est pas pour moi. Ce n,est pas non plus le genre de truc qui me fait rire même si, contrairement à toi, j’aime bien lire pour me divertir!

  5. Je ne pense pas le lire, j’ai un peu peur de cette accumulation …. J’ai pourtant le fakir dans ma PAL, mais j’hésite toujours à me lancer et je crois que je vais passer.

  6. Bon, au moins j’ai l’explication. J’avoue que quand j’ai vu associés dans mon flux rss le blog Tête de lecture avec Tout un été sans Facebook, j’ai cru mon ordinateur avait buggé !
    Clairement, ce livre n’est pas pour moi non plus (j’ai la chance qu’aucune personne de confiance ne m’en ait vanté les mérites). Je souscris absolument à tout ce que tu dis de ton rapport à la lecture, à la littérature et à l’ouverture à tous les genres (avec juste un petit bémol sur les films d’horreur, mais ça on en a déjà parlé 😉

  7. J’avais bien aimé le fakir… sans rire à gorge déployée, j’avais aimé son humour. De là à en faire lelivre de l’année… Je passerai donc tout un été sans ce nouvel opu qui ne me tente pas du tout

  8. Ouh là, ça ne donne pas envie! Mine de rien, l’humour est quelque chose de très difficile à faire, probablement plus que le dramatique. Pour toi aussi, ça n’a pas dû être évident d’écrire cette chronique, de comprendre en quoi tu n’aimais pas le livre. Merci pour cette belle chronique!

    1. Écrire ce genre de chronique m’aide justement à comprendre, et bien sûr à argumenter. Je ne cherche bien sûr pas à dire aux gens qui aiment Puértolas qu’ils ont tort mais surtout à expliciter ce qui me déplaît beaucoup dans cette écriture et pourquoi ça ne marche pas avec moi…

      1. Oui je fais pareil, écrire la chronique me permet de poser les mots, et on peut ne pas aimer sans être trop blessant.e, pourvu que ce soit argumenté et sincère 😉 A tout bientôt !

  9. Je n’ai jamais été tentée par cet auteur mais j’aurais pu éventuellement jeter un œil au fakir dont tout le monde parle. Avec un tel billet c’est clair les romans de R. Puertolas ne passeront pas par moi. Merci !

  10. je te comprends! J’avais découvert L’extraordinaire voyage du fakir… en livre audio et ça passait encore mais alors La Petite fille qui avait avalé un nuage… m’a paru vraiment mauvais parce que complètement décousu et absurde! Je passe mon chemin avec cet auteur!

  11. J’avais bien aimé Le fakir dans sa première partie, mais ça devenait vite lourdingue. Du coup je n’ai jamais eu envie de retenter l’expérience. J’imagine bien que tout le laïus de l’auteur sur la littérature a probablement pour but de désamorcer les critiques qui lui reprochent de faire de la littérature de gare. Et donc tout le monde s’est cru obligé d’applaudir pour ne pas passer pour un « snob germanopratin ». Bien joué !

  12. On a de la chance nous les femmes noires qui habitons dans le Colorado, Romain Puértolas parle de nous dans un livre. Et parler d’Atticus Finch au Klan ? Et pourquoi pas Jake Brigance d’A Time to Kill tant qu’il y est ? Si c’est pour m’énerver à chaque page, je préfère ne pas tenter.

    1. Je crois que ça t’énerverait… à moins que tu sois sur la même longueur d’ondes côté humour et que ça te fasse rire !

  13. Je suis en train de le lire et je m’éclate à chaque page. J’aime l’humour de ce cher Romain. J’adore la multiplicité des références, des clins d’oeil, des jeux de mots (plus ou moins pourris): c’est peut-être parce que j’ai moi aussi un humour lourdingue. Chacun de ses livres m’a ravie au plus haut point. J’achète tous ses romans les yeux fermés car je sais que je suis connectée à cet auteur. Il en faut pour tous les goûts.

    1. Je suis ravie que bien des lecteurs trouvent leur compte avec les romans de Puértolas, Aude, vraiment. Si tout le monde avait le même humour, ça serait d’un triste… rire tous des mêmes choses, quelle angoisse ! Avec ce billet, j’essaie surtout de comprendre pourquoi ça ne me plaît pas à moi et je le dis parce que je n’ai lu et entendu que des avis très positifs : c’est angoissant aussi cette uniformité de louanges 😉

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