La disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez

La disparition de Josef MengeleJosef Mengele est certainement l’un des bourreaux nazis les plus tristement célèbres. Il incarne une des figures suprêmes du Mal car chargé en tant que médecin de soulager l’humanité, il a fait souffrir et a participé à l’industrialisation de la mort organisée par les nazis. Et surtout, il est resté impuni. Mengele n’a en effet jamais été fait prisonnier malgré les organismes et chasseurs de nazis lancés à ses trousses. Il n’a jamais été jugé pour ses crimes. Dans La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez raconte sous forme de biographie romancée le destin de ce médecin de la mort après la Seconde Guerre mondiale.

L’auteur passe rapidement sur l’exfiltration hors d’Europe de « l’ingénieur de la race » alors appelé Helmut Gregor. On le découvre quand il s’installe en Argentine en juillet 1949 jusqu’à sa mort au Brésil en 1979 ; quelques flash-backs sur son passé permettent d’ancrer le personnage dans sa famille qui le soutiendra grâce à sa prospérité financière après-guerre. L’Argentine de Péron est un paradis pour tous ceux qui ont besoin de fuir l’Europe après 1945. La communauté allemande y est nombreuse et prospère quand Josef Mengele alias Helmut Gregor l’intègre. Le lider fasciste récupère ainsi sans scrupules les avoirs, les cerveaux et les tortionnaires dont sa dictature a besoin. La « nazi society de Buenos Aires » s’épanouit  sans problèmes majeurs et Mengele peut même avoir son vrai nom dans l’annuaire !

A la fin des années 1940, Buenos Aires est devenue la capitale des rebuts de l’ordre déchu. S’y croisent des nazis, des oustachis croates, des ultranationalistes serbes, des fascistes italiens, des Croix fléchées hongrois, des légionnaires roumains de la garde de fer, des vichystes français, des rexistes belges, des phalangistes espagnols, des catholiques intégristes ; des assassins, des tortionnaires et des aventuriers : un Quatrième Reich fantôme.

Mengele se fait représentant de commerce tout en pratiquant de temps à autre des avortements clandestins (on ne se refait pas…). Tandis que les Américains s’occupent des Soviétiques et que l’Allemagne séparée tente d’oublier la guerre et ses horreurs, les nazis prospèrent gentiment, se rencontrent et se protègent les uns les autres. Si Eichmann n’apprécie pas Mengele, il ne le dénoncera jamais. Tout va tellement bien pour lui, le régime argentin est si complaisant qu’il retrouve sa véritable identité afin de se rendre en Europe. Il va skier en Suisse et rencontrer sa belle-soeur Martha, veuve de son frère qu’il va épouser. Il obtient un passeport allemand à son nom, toujours sans problème. L’Allemagne de l’Ouest à l’époque ne fouillait pas dans le passé de ses ressortissants (à ce sujet, on se souvient du très intéressant film Le labyrinthe du silence).

Après la chute de Péron, les choses vont moins bien pour Mengele et ses semblables. C’est aussi alors que le Mossad déclenche l’opération Attila qui renforce l’action des traqueurs de nazis comme Simon Wiesenthal. Le docteur d’Auschwitz quitte l’Argentine, s’installe au Paraguay puis au Brésil, à demeure chez un couple pendant une douzaine d’années. Il se fait régisseur parmi les Indiens et les Noirs, les pauvres qu’il déteste. Il leur mène la vie dure. Il faut dire que le génie déchu n’a pas un caractère facile, il est devenu paranoïaque, plaintif et exigeant.

Dans Wakolda, l’Argentine Lucia Puenzo s’intéresse au même Mengele en imaginant son installation à Bariloche. Olivier Guez ne crédite pas le médecin nazi d’un long séjour dans cette région surnommée la Suisse Argentine où les Allemands devaient se sentir un peu comme à la maison. Il choisit une orientation nettement plus biographique et près des faits documentés par les recherches les plus récentes. Il imagine cependant parfois les pensées de différents protagonistes, et de Mengele lui-même, ce qui apparente La disparition de Josef Mengele à une biographie romancée.

Olivier Guez dans La disparition de Josef Mengele s’attache à souligner l’importance du soutien familial dont a bénéficié Mengele. Il décortique également ses différents réseaux sur place. Les années brésiliennes s’avèrent un peu longues car il ne se passe à l’époque pas grand-chose dans la vie de l’ancien médecin qui vit en reclus et devient de plus en plus paranoïaque.

Avec sa grosse moustache stalinienne qu’il mâchouille sans cesse, ses jérémiades et sa prétention, ce Mengele n’est pas inquiétant. Loin du théâtre des opérations, sans victimes ni autorité sur quiconque, le médecin de la mort n’est rien si ce n’est un pauvre type qui n’aime personne et que personne n’apprécie. Ramené à sa seule humanité, tel qu’en lui-même, il est devenu quelconque et on aurait pu l’oublier. Mais la mémoire et la ténacité de quelques-uns ne lui ont pas fait ce cadeau. Il fallait se souvenir et poursuivre la traque et si elle n’a pas abouti pour lui, elle a permis que d’autres finissent par rendre compte de leurs actes ignobles.

Retourné à l’anonymat et demeuré impuni, Mengele reste pourtant un des bourreaux nazis les plus célèbres. Les jeunes générations peinent à savoir qui étaient Eichmann ou Heydrich, mais tous peuvent expliquer qui était Mengele. Il reste une icône du Mal dont la folie sadique fascine. D’une certaine façon, Olivier Guez dépouille le mythe : aucun charisme en lui, aucune aura. L’Ange de la mort était juste un pauvre type.

A voir : le documentaire en deux parties « Mengele, la traque d’un criminel nazi »

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La disparition de Josef Mengele

Olivier Guez
Grasset, 2017
ISBN : 978-2-246-85587-3 – 236 pages – 18,50 €

17 commentaires sur “La disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez

  1. Si ce titre permet déjà de montrer que Menguele, sans le pouvoir nazi et son organisation, n’était qu’un pauvre type, il fait oeuvre utile. Mais tu n’as pas l’air plus emballée que cela par ce roman en lui-même ?

    1. Eh bien disons que le travail de recherche est intéressant et la restitution très bien amenée, mais ce n’est pas vraiment une oeuvre littéraire à mes yeux, plus une enquête ponctuée ici et là d’incises psychologiques. Ça tient plus du documentaire à mes yeux que du roman.

  2. Cet été j’ai lu un livre sur le nazisme (le livre d’Otoo Klemperer) et cela a suffi pour m’attrister si profondément que je ne lirai pas ce livre que je trouve, pourtant, indispensable car que ce pauvre type ait réussi à survivre me dégoûte profondément.

    1. Il est en effet profondément écœurant de penser à lui et à tous ces gens qui ont terminé leur vie sans jamais rendre compte des horreurs commises. L’Europe a mis trop longtemps à se « réveiller » du cauchemar nazi, elle a d’abord voulu oublier…

    1. Comme tu sais, je n’étais d’attaque hier pour rien, même pas écouter la radio… mais je vais rechercher l’émission.

  3. je pensais justement à Mengele cette semaine, en revoyant le film « L’affaire Rachel Singer » avec Helen Mirren et Jessica Chastain qui raconte la traque d’un chirurgien de Birkenau par 3 jeunes Israëliens dans le Berlin Est de 1965… je vais lire ce livre, le sujet m’intéresse et pas très grave maintenant que je suis prévenue, si ce n’est pas vraiment une oeuvre littéraire.

  4. Ce triste personnage est mort tranquillement, sans remords ni pensées pour tous ces êtres humains, hommes,femmes, enfants qu’il a fait souffrir par ses expériences. Malgré toutes mes preuves sur ces atrocités, on trouvera toujours des personnes qui doutent quant à l’hégémonie nazie sur l’Europe durant tant d’années. Des millions d’êtres humains ont disparu, et malgré cela les conflits continuent de par le monde avec autant de raffinementet d’horreur.

  5. J’ai trouvé le sujet de ce livre vraiment intéressant quoique plat littérairement parlant. Le rôle des états sud-américains est presqu’aussi monstrueux que les nazis qui ont trouvé refuge dans ces pays peu regardants.

    1. Oui, je suis d’accord, ce roman n’a pas beaucoup d’intérêt littéraire. C’est une biographie romancée, de ces exofictions si prisées en ce moment….

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