Le titre de cet essai de Michel Pastoureau sonne comme une fable, ou un fabliau médiéval : c’est l’histoire d’un roi qui croise la route d’un cochon. Pas un sanglier non, un cochon. Le roi mort à cause d’un sanglier c’est Philippe le Bel ; le roi tué par un cochon c’est Philippe, fils de Louis VI le Gros. Philippe combien me demanderez-vous… eh bien c’est un peu compliqué à expliquer mais quand c’est Michel Pastoureau qui s’en charge, c’est très clair.
Le but ici n’est d’ailleurs pas de rappeler à nos mémoires (et même de révéler, soyons juste) une anecdote oubliée de l’histoire de France. Cet événement humiliant fut, selon Michel Pastoureau, à l’origine de l’adoption du bleu azur et de la fleur de lis comme armoiries des rois de France. La fleur de lis est toujours le symbole de la monarchie française et le bleu celui de la France sur tous les stades du monde et ceci est dû à un cochon qui en octobre 1131 croisa la route d’un roi de France et lui couta la vie.
Philippe donc, fils aîné du roi Louis VI toujours vivant, mais pourtant déjà couronné roi (Michel Pastoureau vous fera très simplement comprendre pourquoi à l’époque deux rois couronnés peuvent cohabiter) fait du cheval dans les rues de Paris. Le cochon, traditionnel éboueur des rues de la capitale, déboule entre les jambes de la monture qui désarçonne le cavalier et lui tombe dessus. Celui-ci meurt peu après. On reste à ce jour sans nouvelle du cheval, ni même du cochon. Ce qui est certain c’est que ce dernier n’a pas été jugé, contrairement à ce qui aurait pu lui arriver quelques décennies plus tard. On lira sur le sujet l’intéressant roman d’Oscar Coop-Phane, Le procès du cochon.
L’épisode a l’air anecdotique sauf qu’il est lourd de symboles et donc de conséquences. Parce qu’un symbole quand on est roi, ça pèse lourd. Parce qu’il a été tué par un pourceau dégoutant (et pas par un sanglier, beaucoup plus noble), le jeune roi est humilié et sa mort dégradante. De plus, c’est son frère qui doit accéder au trône à sa place, et il n’est pas du tout fait pour ça. Louis VII « dont le règne a été un des plus longs et des plus malheureux de l’histoire » marquera par ses échecs : divorce d’avec Aliénor d’Aquitaine (qui se remarie avec le futur roi d’Angleterre, malheur !) et débandade de la deuxième croisade sont les plus mémorables. Tout ça à cause d’un cochon…
… et un cochon, ça fait tache. Pour tenter de nettoyer la royauté capétienne, Louis VII le très pieux multiplie les symboles. Il adopte le blanc et la fleur de lis ainsi que l’azur lié à la Vierge Marie pour en faire les armoiries du royaume. Et en ça il innove Louis parce que des armoiries, personne n’en avait encore officiellement à l’époque. Et quand tous les royaumes, duchés et empires alentours donneront dans l’animal sauvage, la France restera fleurie et mariale.
Si Michel Pastoureau reste dans ses sujets de prédilection (il a écrit sur le cochon, sur l’histoire des couleurs, sur l’héraldique), c’est cependant toujours un bonheur de le lire. Il est de ces historiens érudits et bienveillants qui n’écrasent pas le lecteur de leur savoir mais le rendent lui-même plus savant. Michel Pastoureau explique tout : il n’est pas une allusion qu’il ne précise. S’il est question de Louis VI le Gros, il s’arrête sur la corpulence des rois médiévaux ; si un roi ou une reine porte un prénom original pour l’époque (Philippe, Marie), il détaille le contexte de leur apparition puis la fréquence avec laquelle ils sont ensuite portés ; il explique aussi en passant que la numérotation des rois de France n’apparait qu’au XIVe siècle et ne devient pratique courante qu’à la fin du XVIe.
Et tout ça est bien sûr passionnant car si Michel Pastoureau nous raconte l’Histoire comme une histoire, il n’est pas de ces pantins médiatiques qui font le show, s’en tiennent aux faits et aux dates, réduisant, mutilant et manipulant pour toujours plus simplifier une complexité qu’ils ne sont pas capables d’envisager. Ils nous servent une histoire qui s’écrivait il y a cent ans, et encore, modernisée par les technologies actuelles : du vent en boîte. Alors que Michel Pastoureau fait l’histoire des couleurs, d’autres celle du corps, de la virilité ou des larmes : l’histoire des hommes.
.
Le roi tué par un cochon
Michel Pastoureau
Seuil, 2015
ISBN : 9782021035285 – 256 pages – 21 €
Son dernier livre sur le loup n’est vraiment pas bon, mais en effet, celui-ci est plus ancien et doit être plus sérieux (je l’ai pas mal lu). Me concernant, il est certain que je préférerais ce livre d’histoire au roman qui vient de sortir.
Pas lu sur le loup, le cochon est plus intéressant je trouve car moins noble et moins symbolique (moins tendance aussi…).
J’avais entendu parler de cette anecdote suite à une balade dans St-Michel, où le guide nous avait raconté cette histoire (et quelques conséquences), à l’endroit où c’était arrivé. Du coup, ça m’intéresse!
Le fameux vitrail bleu n’est pas à l’abbaye de st Denis. Est il au musée de Cluny?
Il parle pourtant de Saint-Denis…
Il est pourtant bien question de Saint-Denis ici…
Ha, j’aime bien ta pique contre ceux qui font « du vent en boîte » ! A chaque sortie de Michel Pastoureau, j’ai envie de découvrir ses écrits, mais ma pile de fiction m’empêche d’aller y voir de plus près… 😉
Dans ce cas précis, c’est la fiction qui m’a fait venir à cet essai.
Quelle histoire ! Voilà qui éveille mon intérêt.
Oui, l’Histoire est parfois rocambolesque à souhait !
Tiens, moi qui ne suis pas très essai d’habitude, je suis bien tentée par celui-ci. Je le note ! Merci.
Celui-ci se lit facilement et on le termine en ayant vraiment l’impression d’avoir appris plein de choses.
Pastoureau? Je signe, bien sûr!
(et dis donc, les cochons se suivent, sur ton blog)
(je m’inscris à ta lettre d’infos, ça a intérêt à être bien)
Coop-Phane m’a donné envie de lire Pastoureau, voilà pourquoi… Et la lettre fera certainement double emploi avec les flux RSS, même si j’essaie de la personnaliser.