Noone ou le marin sans mémoire de Yann Verdo

Noone ou le marin sans mémoireOscar Klives était un jeune médecin promis à une brillante carrière. Mais quelques années avant le début de Noone ou le marin sans mémoire, ce neurologue a décidé d’apporter son aide à ceux qui en ont le plus besoin et d’aller soigner les pauvres. Un idéaliste… Le voilà à trente-cinq ans médecin-chef d’un dépôt d’indigents comme il y en a beaucoup en cette fin de XIXe siècle à Londres. C’est là que sa route croise celle de William H. Noone, ramassé ivre sur le port. Le vieux affirme avoir la trentaine et être en partance pour le Nouveau Monde, il se croit à Sligo, en Irlande.

En plus de tenir un discours complètement invraisemblable sur lui-même, Noone est gravement amnésique : sa mémoire s’est arrêtée en mars 1847 et il est incapable de forger des souvenirs au-delà de quatre minutes. Passé ce délai, il oublie à nouveau tout : le docteur Klives a beau lui dire qu’en cette année 1889 il a soixante quatorze ans, quatre minutes après le vieux marin a de nouveau trente-deux ans en 1847.

Klives se passionne pour ce cas insolite (inspiré par l’un de ceux étudiés par le neurologue Oliver Sacks dans son essai L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau) et s’attache à son patient. Il décide de tenir un journal intime, celui que nous lisons en ouvrant Noone ou le marin sans mémoire. Le vieil homme est un mystère qu’il veut résoudre. La neurologie et la psychiatrie sont alors en plein essor et le médecin comprend qu’il se trouve devant un cas exceptionnel. Il pressent ce que le lecteur moderne sait : Noone souffre du syndrome de Korsakov, du nom du neuropsychiatre russe qui a étudié cette psychose alcoolique. Intellectuellement curieux, porté vers les autres et malheureusement célibataire, Klives se lance à la poursuite du passé de Noone. Son intérêt se mue en obsession.

Ainsi, la psychiatrie et surtout la neuropsychiatrie sont souvent au centre de ses réflexions. Il est question de Korsakov ainsi que de Charcot (un peu) et d’hypnotisme. Mais la science, aussi révolutionnaire soit-elle, ne fait pas tout. Pour retrouver la mémoire de Noone, Klives s’embarque pour la Gaspésie, là où en 1847, le bateau sur lequel le marin a embarqué a fait naufrage.

Le chemin que fait Klives à la rencontre du passé de Noone est passionnant. Yann Verdo fait revivre cette fin de XIXe siècle en ébullition, s’attachant en particulier aux recherches et découvertes dans le domaine de la médecine et de la psychiatrie. Il parsème son texte de références et anecdotes familières comme des allusions à Jack l’Eventreur et à Joseph Merrick. Le décor est planté mais pas trop appuyé car l’écriture de Verdo est subtile. Il sait échapper à la couleur locale et aux tunnels explicatifs qui bien souvent plombent les romans historiques qui veulent apprendre quelque chose au lecteur.

Aucun doute pourtant que nous sommes au XIXeme siècle et que nous lisons le journal intime d’un médecin londonien, militant et acteur de la médecine comme science sociale. La voix du narrateur convainc dès les premières lignes : elle est sincère, authentique, très XIXeme. Le diariste est d’abord un peu guindé dans son style puis se confie de plus en plus spontanément à son journal. On entend un médecin qui souhaite prendre soin des pauvres pour lutter contre les inégalités sociales. Il y échafaude des théories, émet des suppositions quant à l’état du vieux marin. Seul point faible du roman : il y fait également part de ses déboires sentimentaux avec l’infirmière Prescott. Certes il n’est ainsi pas qu’un médecin mais sa vie sentimentale donne lieu à des développements trop longs et très fleur bleue.

L’aspect le plus intéressant est à mes yeux l’amnésie et les caprices de la mémoire qui faisaient déjà l’objet d’Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, formidable roman d’Antoine Bello et de Avant d’aller dormir de S.J. Watson. Ce sont là mystères du cerveau qui entre les mains de bons romanciers se transforment en matière narrative passionnante.

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Noone ou le marin sans mémoire

Yann Verdo
Le Rocher, 2020
ISBN : 9782268103167 – 320 pages – 19,90 €

14 commentaires sur “Noone ou le marin sans mémoire de Yann Verdo

  1. Voilà un sujet qui me tente beaucoup, la lecture de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau m’avait passionnée, (lecture qui date, mais je m’en souviens encore ….). Je note le Bello aussi du coup.

  2. Tu as le chic pour mettre la main sur des trouvailles intéressantes ! Le thème de l’amnésie me fascine et j’avais lu les deux romans que tu cites précisément pour ça. Je me laisserais bien tenter par ton roman mais ton bémol sur l’aspect fleur bleue me fait quand même hésiter.

    1. Franchement, sans cette histoire d’amour un peu gnan gnan, j’aurais fait de ce roman un coup de coeur. Je me demande bien pourquoi l’auteur insiste tant là-dessus : on comprend qu’il explore un nouvel aspect du souvenir, celui de la déception amoureuse avec laquelle il faut vivre, mais c’est trop présent à mes yeux et vient parasiter ce qui est vraiment intéressant. En plus, c’est l’amour médecin aux nobles sentiments et infirmière puuuuuuure fin XIXe avec différence de classes : bof… le type écrit son journal intime, un truc que personne ne lira jamais sauf lui, donc pour qu’on y croie, il manque quand même un peu de… ben, je dirais un peu d’incarnation, de chair 😉

  3. Il me semblait que ça me rappelait quelque chose, cette ouverture. J’ai beaucoup aimé cette histoire de marin perdu, dans le livre d’Oliver Sacks. Du coup, je suis hyper curieuse. Je vais devoir passer par-dessus le nom Noone… pour moi, « noune », c’est tout à fait autre chose! Je vais donc devoir laisser mon âme de « j’ai 3 ans dans ma tête » ailleurs en le lisant!

    1. En lisant ce roman de Yann Verdo, j’ai eu très très envie de relire le Bello, ce qui est tout à fait possible sans déplaisir tant l’écriture de cet auteur est subtile et supporte (voire même demande) la relecture.

  4. Merci d’avoir laissé un mot chez moi et ainsi m’avoir permis de retrouver le chemin de ton blog… et quel plaisir j’ai à m’y promener de nouveau ! Je me note déjà ce titre, qui a à peu près tout pour me tenter (d’autant plus que j’ai une légère obsession avec ce type de profession / d’environnement en littérature). Tu me donnes aussi envie de relire Sacks.

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