A l’ombre des loups d’Alvydas Slepikas

A l'ombre des loups

C’est bien connu, on ne fait pas de bonne littérature avec pour seul bagage de bonnes intentions. A l’ombre des loups ne le démontre que trop bien : voilà un sujet original gâché par une écriture pénible.

L’auteur est lituanien. Il explique en postface qu’il avait à coeur de faire connaître l’histoire des wolfskinder, jeunes allemands devenus enfants-loups. Juste après la défaite, alors que les troupes soviétiques s’installent dans cette Prusse Orientale considérée comme le coeur du militarisme allemand, les soldats ont carte blanche pour venger les souffrances du peuple russe. Leurs exactions sont effroyables. Les gamins affamés passent la frontière et vont chercher à manger en Lituanie. Nombreux, ils errent dans la forêt à la merci des éléments, ne survivant (ou pas) que par la générosité des habitants.

Les enfants en question sont ceux d’Eva. Avec leur bonne tante Lotte, ils sont contraints de vivre dans une remise puisque les méchants soviétiques se sont installés chez eux. Eva fait pourtant ce qu’elle peut pour eux, tout ce qu’elle peut, vraiment tout tout ce qu’elle peut. Car Eva est une mère toute dévouée, la mère souffrante par excellence… par conséquent, la lecture de la première partie de A l’ombre des loups est extrêmement pénible en raison d’un style insupportable saturé de clichés. Malgré un sujet inédit, tout est prévisible. Le personnage d’Eva est un concentré de ce que des collégiens pourraient écrire pour décrire la-gentille-maman-qui-fait-tout-pour-ses-enfants. Eva est une caricature de dévouement maternel, aucun poncif ne nous est épargné.

Elle serre contre elle le sac d’épluchures qu’elle a pris à la cantine militaire. A la maison, ses enfants l’attendent, affamés. Ses enfants qu’elle aime plus que sa propre vie. Elle aimerait hurler à la lune comme une louve, couper un morceau de son propre corps et nourrir ces petits innocents, ces petits affamés, ces petits qui souffrent, punis par Dieu.

Tout, absolument tout est idéalisé, y compris le passé avec Rudolph le mari bon et généreux parti à la guerre. Ah c’était le bon temps ! Mais au fait, c’était le Troisième Reich et le national socialisme : quelle était la position de cette charmante petite famille ? Ces enfants appartenaient-ils aux jeunesses hitlériennes ? Le bon Rudolph était-il simple soldat ou membre de la Gestapo ? Aucun renseignement ne permet de contextualiser cette famille : elle est désincarnée au regard de l’Histoire.

Et puis – la guerre arriva. Elle leur prit leurs maris, les hommes qu’elles aimaient. Eva et Marta, comme beaucoup d’autres Allemandes, durent aller travailler pour le front, participer à l’effort de guerre – au nom de la victoire, du Reich, de Hitler.

Et c’est tout pour la guerre. Jamais il ne sera plus question de Hitler et aucune allusion n’est faite à sa politique. Comme si cette Seconde Guerre mondiale était une guerre comme les autres et pas un génocide auquel quasi tous les Allemands ont participé de façon plus ou moins active. Sommes-nous dans un roman historique ?

Peut-être y a-t-il volonté de faire d’eux des symboles de l’innocence souffrante. Une mère et des enfants, des civils qui souffrent et ça suffit pour que ce soit injuste. Sauf que pas tout à fait, le Troisième Reich étant une idéologie englobant tout un peuple. Pour que le lecteur compatisse, il faut des personnages avec une histoire et une personnalité. Ici cette mère caricaturée, cette mère à outrance est bien trop symbolique pour être pitoyable. Ses faits et gestes sont prévisibles, tout comme les phrases qui la décrivent : elle en devient ridicule.

Les mêmes maladresses entraînant les mêmes conséquences, le camp ennemi n’est pas mieux loti. Ah les affreux soldats Russes toujours ivres et violents… heureusement, ils sont un peu bêtas alors elles se barbouillent le visage de terre et de suie et ils ne voient pas qu’ils ont affaire à de fraîches jeunes femmes violables et passent leur chemin…

Beaucoup de romans ont été écrits sur les malheurs de la guerre, on peut supposer que tout à déjà été écrits en matière d’horreur et de souffrances. Quand on décide d’ajouter sa pierre à l’édifice, il faut en avoir les moyens. Raconter encore et toujours de la même façon les enfants qui ont faim, les femmes violées et les mères qui vendent leur progéniture peut éventuellement donner lieu à un roman correct. Mais accumuler les clichés et oublier les règles narratives de base (à savoir ne pas abandonner ses personnages en plein récit pour ne plus jamais en parler) s’avère très préjudiciable, malgré la louable intention de départ.

On trouve quelques articles sur le net concernant ces enfants-loups dont « Les Allemands perdus de Lituanie ».

 

A l’ombre des loups

Alvidas Slepikas traduit du lituanien par Marija-Elena Baceviciute
Flammarion, 2020
ISBN : 978-2-0814-5801-7 – 240 pages – 19 €

Mano vardas – Maryte, publication originale : 2011

 

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21 commentaires sur “A l’ombre des loups d’Alvydas Slepikas

  1. Dommage… ca me rappelle l’homme qui savait la langue des serpents de Kivirahk (pas pour le thème mais pour l’écriture) : le roman est complètement gâché par la traduction, je trouve;

    1. Je n’ai pas pensé à ce livre car pour ma part, j’ai aimé L’homme qui savait la langue des serpents. Ceci dit, il est vrai que nous dépendons toujours des traducteurs plus ou moins bons…

  2. Les passages sont parlants… Félicitations d’avoir poursuivi ta lecture jusqu’au bout!
    (actuellement ma pAL diminue vite, surtout que j’éjecte tout ce qui ne passe pas, tant pis si je suis acculée à de la relecture! ^_^)

  3. Le commentaire de Keisha et ta réponse me rassurent, les livres ont tendance à tomber des mains en ce moment… même bien commencés, vers la moitié arrive un passage : tout ça pour ça ?
    En tout cas celui-ci qui me tentait me paraît moins indispensable, tout à coup…

    1. J’en lis pas mal sur ma liseuse et du coup, je vois à combien j’arrête : avant ce titre-là, j’en ai arrêté un à 66% en me demandant pourquoi j’en avais quand même lu autant…

  4. Quel dommage, j’avais lu plutôt des critiques positives mais peut-être ces critiques privilégiaient-elles l’émotion liée au sujet, à la qualité de l’écriture. Pour ma part, je le lirai tout de même.

    1. Oui je comprends, et je me serais bien émue car la situation est vraiment tragique. Mais l’écriture est vraiment crispante, ça m’a bloquée dès le début et je ne voyais plus que ça… j’ai hâte de connaître ton avis.

    1. La seconde partie où il est plus question des enfants est un peu moins insupportable… et puis mon premier auteur lituanien quand même, j’avais envie de finir. J’ai par ailleurs cherché et trouvé sur le net des choses intéressantes sur ces enfants-loups.

  5. Je ne sais pas pourquoi, j’aime quand tu écris sur ce que tu n’as pas aimé…Tu as un vrai talent pour ça. Moi je ne le fais jamais, c’est dur d’écrire pour moi, je crois que c’est pour ça. En tous cas, comme toi, j’ai abandonné déjà au moins 5 livres de ma pile .

    1. Heureusement, j’ai plus l’occasion d’écrire sur des livres qui me plaisent parce que je choisis plutôt bien… mais je me trompe parfois comme avec ce roman. Je trouve l’exercice de justification intéressant. En l’occurrence sur ce roman, je vois bien ce qui peut plaire (c’est un roman poignant, tragique) mais un roman historique selon moi ne peut pas reposer uniquement sur les sentiments. Et je vais te décevoir mais parmi les romans que j’ai récemment abandonnés il y a Confiteor, après quand même 250 pages… j’attends toujours que ça commence… en ce moment, j’ai besoin d’histoires…

      1. Ah les avis sont partagés sur Confiteor, je sais… 🙂
        On attend des histoires mais comme pour le reste, ce qui nous nourrit nous est personnel. Et terriblement subjectif. Et c’est ce qui rend tout ça intéressant, sinon, mais quel ennui !!!

    1. En ce moment, j’abandonne beaucoup de livres, parfois au bout de 10 pages, parfois au bout de 200… J’ai mené cette lecture jusqu’au bout malgré mon manque de plaisir parce que le sujet lui-même est intéressant. Et parce que je souhaitais écrire une chronique et que pour ça, je préfère avoir tout lu. Ecrire une chronique m’aide à organiser mes idées et affuter mes arguments… Bienvenue ici, Hedwige (j’aime beaucoup ce prénom !).

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