Écopunk de Fabien Hein et Dom Blake

ecopunksOui, il va être question de punks dans cette chronique mais ne partez pas tout de suite : il est probable que vous n’envisagiez pas qu’ils peuvent être écolos, engagés pour la cause animale et l’avenir de la planète. Oubliez ce que vous croyez savoir, dépassez les images toutes faites et laissez-vous conter l’écopunk : je vous parie que dans cinq minutes, vous aurez envie de les rencontrer !

Fabien Hein et Dom Blake ne se font pas beaucoup d’illusions : « Interrogez en France, le premier venu sur le « punk » et vous obtiendrez au mieux quelques noms de groupes anglo-saxons pionniers comme les Sex Pistols ou The Clash pour l’Angleterre, The Ramones pour les États-Unis. Certains iront parfois jusqu’à citer Johnny Rotten, Sid Vicious ou Joe Strummer parmi les turbulentes figures de la scène britannique émergente… ». Si vous en êtes là vous aussi, ça n’est pas bien grave : soignez-vous bien vite en regardant quelques vidéos. Allez, je suis certaine que cette chanson-là, vous la connaissez : et vous ne voyez pas une crête, mais un batteur tout sourire, un chanteur à col roulé et une chanson d’amouuuur. Je vous le dis, il temps de revoir vos a priori sur le punk (bon d’accord, il en est de plus violent et de moins harmonieux, je vous l’accorde…).

Et surtout, surtout, sortez-vous de l’esprit que les punks c’est fuck the system, no future et basta. Écopunk sous-titré Les punks, de la cause animale à l’écologie radicale nous dit tout le contraire. Les punks dont il est question ici ne cassent pas tout pendant leur petits concerts avant de rentrer chez eux au volant de leur 4×4 en sirotant une bière et en faisant un arrêt Mac Do. Ce qu’ils chantent, ils le vivent : non au capitalisme, au néolibéralisme et à la société de consommation ça veut dire par exemple ne pas manger de viande, se déplacer à vélo et faire par soi-même plutôt qu’acheter. (Oui mes amis, vous allez faire votre coming out à la fin de cette chronique, vous découvrant punk en pratique si ce n’est dans l’âme).

Et un conseil surtout, ne lisez pas cet essai sans un abonnement musical à portée car Fabien Hein nous emmène bien au-delà de la première galaxie punk qui dit bon an mal an quelque chose à tout le monde aujourd’hui encore.

Munie donc de mon abonnement Spotify, j’ai découvert moult groupes enthousiasmants, en particulier les Crass, représentatifs de ce mouvement écopunk.

Sid ViciousIl serait fastidieux et je ne suis pas qualifiée pour dresser une histoire du mouvement punk, mais voici quelques repères pour rendre cette chronique compréhensible à ceux qui la lisent et n’y connaissent rien (louez soyez-vous pour votre curiosité intellectuelle !). Le punk apparaît au milieu des années 70 aux États-Unis puis en Grande-Bretagne. On a des jeunes gens révoltés, malpropres, ne sachant ni chanter ni jouer de la musique mais souhaitant se faire remarquer d’une façon ou d’une autre (je fais court…). Ça donne quelques années intenses, des groupes mythiques et certains affirment qu’en 78, le punk est mort. Mais comme chacun sait, « Punks not Dead » et ils continuent donc à s’agiter dans leurs coins. Vu de loin ils se ressemblent peut-être mais sachez que chez les punks straight edge tendance hardline, on est vegan, on ne boit ni ne baise. Oui, il y a des conservateurs même chez les anarcho-punks !

Quelle que soit sa tendance cependant, le punk lutte contre l’oppression, le capitalisme et la marchandisation du monde. Il a une conscience politique et surtout, il met en harmonie ses actes et ses valeurs. C’est donc une perle rare, un spécimen en voie d’extinction. Ils s’inscrivent dans le sillon de Henry David Thoreau, Peter Singer ou encore Jacques Ellul.

Le punk, vous et moi, nous savons tous ce qu’il en est du sort des animaux de l’industrie agro-alimentaire. Rares sont ceux que les vidéos de L214 ne révoltent pas. Beaucoup choisissent de ne pas y penser (ah ne pas penser, la meilleure façon d’être (un imbécile) heureux de nos jours !) et d’autres de ne pas y contribuer : parce qu’ils ne souhaitent pas perpétrer souffrance et tuerie, certains punks sont donc végétariens et même végans.

On trouve des punks dans la mouvance de l’ALF (Animal Liberation Front) qui s’engage, parfois violemment, contre l’exploitation animale (alimentaire, vestimentaire, médicale, scientifique, cosmétique…).

De très nombreux morceaux dénoncent cette hypocrisie carnivore. Exemple en 1983 de Conflict à écouter et regarder « Meat Still Means Murder » (contre l’exploitation animale, l’alimentation carnée et la souffrance infligée à autrui pour le plaisir). Et puisque Fabien Hein prend la peine de traduire les chansons dont il parle, je prends celle d’en recopier un passage :

Tu es assis à table tout sourire / Tu manges sans pouvoir te rassasier / C’est servi sur une assiette bien propre et tu ne songes pas à la tuerie / Tu te demandes : friture ou grillade ? / Tu râles contre l’extermination des phoques, le massacre des baleines / Mais qu’est-ce que ça change qu’ils vivent sur terre ou sur mer ? Tu n’as jamais eu de manteau de fourrure, tu penses que c’est cruel pour les visons / Bien, mais qu’en est-il de la vache, du cochon, du mouton, ça ne te fait pas réfléchir ?

A lire sur Tête de lecture : une bibliographie sur la condition animale (essais, romans…)

Critique du consommateur puisque c’est à cause de lui que l’industrie agro-alimentaire existe mais aussi de « l’ensemble des dispositifs de production et de distribution alimentaire ». Les fast-food sont aussi régulièrement la cible des anarcho-punks ainsi que la « Coca-Colanisation » du monde que chante Chumbawamba et le mode de vie qui va avec :

Un style de vie de supermarché pour tous / Un millier de nations sous contrôle des multinationales / Des distributeurs de Coca-Cola dans chaque pays

Et alors, que mange-t-il l’anarcho-punk ? Eh bien figurez-vous qu’en plus d’être végétarien ou végan, il cultive son jardin. Parce que si être végan ça veut dire manger du tofu acheté chez Carrefour, qu’on m’explique l’intérêt écologique de la chose ??

Cultiver son jardin et se déplacer à vélo, deux exemples qui montrent que l’écopunk fait avec les moyens du bord. On en revient bien à l’essence même du punk, à ce slogan quasi identitaire (en référence aux disques qui se bricolaient dans un coin, à la musique qu’on jouait sans savoir jouer) : D.I.Y. « Do It Yourself », faites-le vous-mêmes sans passer (ou le moins possible) par la case « j’achète ». Aujourd’hui explique Fabien Hein, ce D.I.Y. est devenu D.I.O. (« Do It Ourselves », faisons-le ensemble). On notera la furieuse modernité du concept…

Dans une même logique, l’écopunk souhaite le plus possible échapper à la technique. Il lutte contre le nucléaire et ne se déplace pas en voiture. De nombreuses chansons dénoncent le mythe du progrès et la technologisation de l’humain.

L’écopunk est engagé. Il soutient des organisations ou pratiques en lutte : PETA (contre la souffrance animale), Earth First ! (contre la destruction des ressources naturelles (lisez Le Gang de la clé à molette !)), Reclaim The Streets (pour la réappropriation des villes par les piétons), la permaculture (visitez donc ce site Punk Rock Permaculture). Le punk n’est pas un destructeur forcené, il construit notamment des communautés comme La Vieille Valette.

Donc au final, le punk n’est rien d’autre qu’un écolo, néo rural tendance hippy ? Mais il a donc perdu son âme !? Il faut bien avouer qu’en écoutant quelques-uns des groupes qui selon Fabien Hein forment la « scène punk francophone » actuelle, on frémit : Les Ramoneurs de menhirs, René Binamé, Heyoka, Mauvaise graine, c’est du punk ça ??!! Eh bien le punk est bien mort en 78…

Mais on aura peut-être compris que le punk n’est pas qu’une musique (si ce n’est pas le cas, lisez ce livre!). C’est aussi une façon d’être au monde basée sur l’authenticité : les actes sont conformes aux paroles ; chansons et musiques ne sont ni discours ni divertissement, elles sont un engagement. L’anarcho-punk écolo réfléchit sur le monde dans lequel il vit, il ne s’en satisfait pas et tente donc de le modifier. Une minorité recourt à la violence, la majorité fait ce qu’elle peut.

.

Écopunk. Les punks, de la cause animale à l’écologie radicale

Fabien Hein et Dom Blake
Le Passager clandestin, 2016
ISBN : 978-2-36935-036-1 – 228 pages – 12 €

7 commentaires sur “Écopunk de Fabien Hein et Dom Blake

  1. Oh mais ça m’a l’air épatant ! Une de mes tantes, de quelques années plus âgée que moi, se réclamait du mouvement punk (au début des années 80), et ça fascinait la gamine que j’étais, sans doute juste parce qu’elle n’était pas comme les autres, même si en effet, elle ne portait pas de crête ! La dimension écolo de son engagement m’a à l’époque totalement échappé, mais maintenant que j’y pense, c’est vrai qu’elle est végan, et ne se déplace qu’à vélo… ben je note, évidemment !

  2. Les ramoneurs de menhirs, figure toi que je connais ce nom, le côté breton et crête, ça décape (en video)
    Bon, je n’en suis pas encore à porter un t shirt j’suis punk, mais ton livre fait ouvrir grand les yeux.
    J’attends la fin du déconfinement pour oser refaire mes courses à vélo, il semblerait que c’est assimilé à du sport par certains gendarmes… En discussion, genre ‘prends ta voiture’. On marche sur la tête, quoi.
    (question musique, Bach c’est mieux , mais bon, chacun ses goûts musicaux)

    1. Bach je n’aime pas et ma première écoute des Ramoneurs de menhirs s’est révélée décevante. Mai je suis d’accord avec toi : ces punks écolos sont on ne peut plus modernes, et ce depuis longtemps. Ils sont victimes d’un look qui dérangent… Cependant, bien des gens qui écoutent et apprécient la musique punk (et en ont le look) n’ont par ailleurs pas ces choix de vie, pas du tout même. On peut chanter la révolte, la haine de la société et tout le toutim et rentrer le soir dans son appart parisien à 10 000 balles le mètre carré pour mater des films devant son écran géant en bouffant du Monoprix… la musique (la chanson) est aussi une pose…

  3. Ah tiens, ça parle écolo ici aussi.^^
    Mais version punk, okaaaay ! Un ouvrage qui t’a visiblement inspirée et passionnée, voilà qui est effectivement intriguant ! Bon, en même temps je ne m’étonne pas de qui sont les punks en réalité car on s’arrête souvent aux apparences sans gratter ce qu’il peut y avoir derrière.

  4. Ah tiens c’est chouette que ça parle aussi aux non-initié.e.s, je me demandais justement, car pour le coup moi j’en écoute pas mal du punk depuis pas mal d’années et c’est un milieu que je connais assez bien (non le punk n’est pas mort en 78 😉 ) et en lisant le bouquin, truffé de références musicales, je me demandais justement s’il n’allait pas perdre du monde en route. Je l’ai ressorti justement il y a quelques semaines après avoir été déçue par le film Autonomes de François Begaudeau (pas tout à fait le même thème mais bon), j’en dirais peut-être un mot à l’occasion du coup 🙂 Son autre livre Do it yourself est pas mal non plus si jamais… 🙂

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