Le dimanche des mères de Graham Swift

Le dimanche des mères1924, Jane Fairchild a vingt-deux ans. Orpheline, elle a été placée comme domestique dans la bonne société. Depuis sept ans, elle est la maîtresse d’un jeune homme d’un an son aîné, Paul Sheringham. Leur relation n’est faite que de rencontres subreptices, à l’abri des regards. Mais en ce 31 mars, tout est différent car c’est le dimanche des mères et Paul doit se marier. C’est la tradition en ce jour de donner aux domestiques leur journée pour aller visiter leur mère. Jane n’en a pas et prévoit de s’adonner à la lecture, pratique étonnante pour une jeune fille de sa condition.

Graham Swift va à l’encontre de tous les clichés sur l’aristocratie britannique, les domestiques, les amours clandestines, l’éducation des orphelins… Tout est inattendu, aucune hystérie, beaucoup de douceur. Jane n’est pas la plus heureuse des femmes mais elle n’est pas malheureuse. Il n’y a pas de rapports de domination, ou quand ils existent, ces rapports ne priment pas. Il est moins question de classes sociales que de sensibilité. De sensualité aussi. Le premier tiers du roman se consacre à une scène post coïtale : Jane et Paul sont nus dans sa chambre à lui, ce qui est inédit et ne se reproduira jamais. Alors que ses parents ont quitté la maison désertée par les domestiques, il a fait venir Jane. Tous deux fument et bientôt il s’habille car il doit rejoindre sa future femme en voiture, mariage arrangé. Jane sait qu’ils ne referont plus jamais l’amour. Rien de dramatique n’est exprimé pourtant s’installe une tension qui trouvera un sens quelques pages plus loin.

Paul parti, Jane déambule nue dans la grande maison vide, maison d’un autre temps. Il y avait jadis d’autres garçons, morts à la guerre, des chevaux, remplacés par des voitures, beaucoup plus de domestiques… Le dimanche des mères est dès lors une tradition désuète. Les mariages arrangés par contre perdurent. Qu’en pense Paul ? Aime-t-il Jane ? Pourquoi l’a-t-il fait venir ce jour-là dans sa chambre ? Nous ne le saurons pas car le jeune homme est énigmatique. C’est le point de vue de Jane qu’on suit et elle ne pose pas de questions. La liberté de Jane est celle de l’écrivain (qu’elle deviendra) qui choisit de ne pas dévoiler Paul.

De loin en loin on retrouve Jane âgée de quatre-vingt-dix ans. Elle intervient de plus en plus dans le récit de cette journée si particulière du 31 mars 1924, jusqu’à prendre quasi toute la place dans le dernier tiers du roman. Il y est beaucoup question de ses choix d’écrivain. Cette partie est plus démonstrative, elle cherche à expliquer au lecteur les choix possibles d’écriture, la façon dont elle vient aux écrivains.

C’est donc moins convaincant que le début puisqu’à travers le récit de Jane qui ne cesse de regarder, voir et imaginer, on comprend très bien comment naissent l’imagination et la propension à fabriquer des histoires. Jane ne sait rien de Paul, ou si peu, alors elle imagine. Elle ne sait pas qu’elle sera sa vie avec sa future femme, elle ne sait pas s’il l’aimera. Elle imagine. Comme elle déambule nue dans une grande maison vide, tout est possible, elle fait ce qu’elle veut, écrit ce qu’elle veut, ouvre les portes qu’elle veut. Elle est libre dans un espace contraint et profite de cette liberté : elle prend un amant dont elle n’a pas d’enfant, elle lit. Plus tard elle part et devient vendeuse en librairie, se marie avec qui elle veut. On est loin de Dickens ou Cosette sur le destin des femmes du peuple, exactement à l’inverse de Tess d’Urberville par exemple, par ailleurs excellent roman. Graham Swift évite bien des embûches misérabilistes, comme il évite le récit féministe et c’est très bien.

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Le dimanche des mères

Graham Swift traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek
Gallimard, 2017
ISBN : 978-2-07-017871-1 – 141 pages – 14,50 €

Mothering Sunday. A Romance, parution originale en Grande-Bretagne : 2016

14 commentaires sur “Le dimanche des mères de Graham Swift

  1. Je suis complètement passée à côté de ce roman, qui a je crois été l’une de mes déceptions les plus cuisantes de ces derniers mois… l’écriture ne m’a pas accrochée, et ma lecture a été poussive.. il faut bine que cela arrive de temps en temps !

    1. Ah oui, lecture poussive pour un si petit nombre de pages ? Eh bien effectivement, ça n’a pas dû être un plaisir. Quel dommage car pour ma part, toute la première partie, avec l’écriture très sensuelle et discrète de Graham Swift, m’a beaucoup plu.

  2. Je l’ai tellement vu sur les blogs celui-là que j’avoue que ça m’a passé l’envie au bout d’un moment. Je reste curieuse ceci dit, alors un jour peut-être, quand ma PAL se sera un peu dégagée.:)

    1. On l’a beaucoup vu en effet au moment de sa sortie, mais j’ai laissé un peu le temps passé pour oublier les impressions des uns et des autres, juste garder le souvenir qu’il a été apprécié.

  3. J’avais beaucoup aimé cette lecture, pour son érotisme et la finesse de l’analyse des rapports serviteurs et maîtres dans l’Angleterre du début du siècle.

  4. J’avais beaucoup aimé cette lente déambulation de Jeanne dans la maison, la douceur de cette parenthèse et la sensualité de l’écriture, au point de ne pas avoir vu le côté démonstratif de la fin ( que j’ai complètement occultée, je suis restée dans la maison …) Et effectivement, rien n’empêche pour autant que Tess ne soit un roman magistral.

  5. J’ai détesté je me suis ennuyée à mourir mais ton billet éclaire ma lecture d’un jour nouveau … je suis passée totalement à côté !

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