Étrange roman que Deux kilos deux qui flirte avec plusieurs genres. Tout est fait dès les premières pages pour qu’on entre dans un roman américain, plus exactement dans un diner. C’est donc étonné qu’on se trouve au deuxième chapitre en Belgique dans une province accablée par une tempête de neige digne du Saskatchewan. C’est là-bas que Sully J. Price a passé trois ans en tant que jeune vétérinaire. Il en est revenu écoeuré et végétarien. Il travaille désormais en tant qu’inspecteur au service du bien-être animal. Suite à deux plaintes, Sully vient inspecter l’élevage de poulets de Franck Voegele.
On part donc sur un roman sur la condition animale et l’élevage industriel. Si ce sont bien là les thèmes de Deux kilos deux (le poids que doit atteindre un poulet pour être vendable), Gil Bartholeyns emprunte bien d’autres voies et un ton inattendu. L’ambiance de cette Belgique glaciale et enneigée est très mélancolique. Sully est un être qui se cherche, se pose beaucoup de questions et observe les autres. Sa visite d’inspection est un cadre prétexte à l’observation d’un milieu et de pratiques qui se sont généralisées jusqu’à paraître normales.
Sully sympathise avec le propriétaire du diner qui s’enrichit grâce aux pilons de poulets. Le bonhomme n’est pas caricatural, il est comme beaucoup rempli de contradictions. Idem avec Franck, l’éleveur de poulets. Bien sûr, il affirme aimer ses animaux et en prendre bien soin. Sully ne constate d’ailleurs aucune infraction au code car Franck est soucieux de bien faire. Mais l’inspecteur n’est pas dupe : si Franck traite bien ses poulets c’est parce qu’ils lui rapportent de l’argent. Sully connaît par coeur les discours de tous les bien pensants, lobbyistes et autres mangeurs de viande.
Gil Bartholeyns donne la parole à l’éleveur, on l’entend et on le comprend même s’il a tort. Il fait partie d’un système, il répond à un « besoin » que l’industrie agroalimentaire a créé et entretient. On pourrait presque le plaindre avec sa fille qui le traite de nazi et sa femme malade à cause des produits phytosanitaires. Sauf que non au final, un type qui pour se faire du fric n’a aucun scrupule à broyer vivants des poussins et à faire vivre une vie de douleur à des dizaines de milliers de poulets par an n’est pas à plaindre. Nous avons tous le CHOIX.
Parce qu’il neige en tempête, pas de camions pour conduire les poulets à l’abattoir alors qu’ils ont atteint leur poids idéal : en 40 jours, ils l’ont multiplié par 45. Ils vont encore grossir, et pourquoi Frederik Voegele s’inquiète-t-il ?
À partir de maintenant la santé de ses animaux déclinerait à la vitesse grand V et avec elle leur aspect final. Les poulets difformes, atteints de dermatites ulcéreuses, filaient à la découpe. La prise de poids, si précieuse, était à présent le principal écueil. Les coeurs allaient lâcher. Les poumons ne suivaient plus. Les désordres osseux et musculaires sauteraient bientôt aux yeux. A situation extrême, pensées inédites : Frederik se dit que ses poulets n’étaient pas faits pour arriver à l’âge adulte.
Alors qu’il les élève pour qu’ils meurent, il ne veut surtout pas qu’ils meurent sans lui rapporter de l’argent… Quant à plaindre leurs souffrances supplémentaires, celui qui affirme aimer ses animaux n’y pense même pas.
D’autres fils narratifs s’ajoutent à celui de l’inspection : une histoire d’amour, une séquestration… ils sont moins convaincants. Je retiendrai surtout les paysages enneigés et la douceur du propos, malgré son réalisme. Je n’ai pas trouvé d’espoir dans ce roman, Deux kilos deux n’est pas un roman optimiste mais j’ai apprécié le point de vue vétérinaire du problème. Je ne sais pas si Gil Bartholeyns est vétérinaire mais il connaît très bien la législation en la matière. Il parvient même à la rendre poétique par l’emploi de mots rares. Là où tout est chiffres et aridité administrative surgit soudain une tournure inusitée qui ensoleille la phrase. Il n’en cache pas pour autant la compromission de certains qui contre un billet bien placé signent n’importe quel rapport d’hygiène. Lamentable…
A consulter sur Tête de lecture, une bibliographie sur la condition animale.
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Deux kilos deux
Gil Bartholeyns
Lattès, 2019
ISBN : 978-2-7096-6335-9 – 439 pages – 19,90 €
Le poulet serait-il en vogue dans la littérature ? Lors d’un récent saut en librairie, je suis tombée sur Le chant du poulet sous vide de Lucie Rico, bien en vue sur un présentoir. Ma foi, j’ai failli me laisser tenter (mais j’avais déjà les bras encombrés^^).
Le titre est appétissant…. 🙂
J’aime bien le prétexte d’a girl ‘j’avais les bras encombrés’, j’imagine la scène
Bon, tu dois le savoir, une feuille A4, c’est la place laissée (!) à un poulet d’élevage intensif.
Quand on voit le joli poulailler proposé par mon voisin à ses trois poulettes… qui sont là pour donner des oeufs, c’est tout.
Il y a arnaque sur les oeufs, les marketeurs sont prêts à tout. Ils vendent des boîtes illustrées d’un bon papi, tout juste s’il n’a pas la paille qui lui sort des oreilles, avec écrit « Produit local », « Favorisons nos campagnes », « on aime nos éleveurs » et tout le baratin et les oeufs sont de catégorie 3 : élevage intensif ! Juste la pile de boîtes à côté, c’est quasi le même emballage, le frère de l’autre en photo et il y a écrit « oeufs bio » et effectivement, ce sont des 0. N’importe qui faisant ses courses un peu vite prend l’un pour l’autre… Je parle à tout le monde de cette arnaque, ça m’énerve, je déteste ce marketing qui nous prend pour des cons.
Un point de vue vétérinaire, même poétique, me laisse perplexe quand même … Et puis, aussi stupide que cela puisse paraître, j’ai une trouille bleue des poules ( oui, je sais, ça sent le prétexte aussi !)
Je ne connaissais pas la phobie des poulets… Ceux des élevages intensifs ne sont que des ombres de poulets, ils ne pourraient même pas se diriger vers toi pour te picoter les mollets…
L’auteur rend la législation poétique ? Tu m’intrigues.