1793 n’a que peu à voir avec le roman presque homonyme de Victor Hugo. S’il est question de France révolutionnaire et de terreur, c’est en arrière-plan. On est ici en Suède, à Stockholm durant la régence qui suivit l’assassinat du roi Gustav III alors que le royaume est ruiné. Ça ne nous dit a priori pas grand-chose, mais les éléments historiques nécessaires à la compréhension des non Suédois sont habilement amenés.
Mickel Cardell, vétéran des guerres russo-suédoises et membre de la garde séparée (on dit « boudin ») est appelé pour repêcher un cadavre. Il se donne bien du mal pour sortir des eaux immondes du lac Fatburen, qui tient lieu de poubelle et d’égout, non pas un cadavre mais un tronc encore muni de sa tête, mais yeux arrachés et langue coupée. Découvrir son identité va l’occuper durant les mois à venir.
Il sera aidé par Cecil Winge, homme de loi et enquêteur officieux réputé intègre. Adepte des Lumières et tuberculeux, il est en bout de course : à l’hôtel de police, les paris sont ouverts sur la date de sa mort ! Mais cette enquête va lui permettre de tenir quelques jours de plus. Car il y a de quoi susciter l’intérêt : ce qui reste du cadavre laisse supposer un jeune homme qui a été méticuleusement découpé durant plusieurs semaines, membre après membre. Un morceau de tissu permet d’abord de remonter jusqu’à un bordel pour aristocrates en peine de sensations inédites…
Les deux enquêteurs sont très différents. Cardell est un manchot, violent et alcoolique mais loin d’être idiot. Cecil Winge est la souffrance faite homme, dans la dignité. Tous deux avancent dans l’enquête en luttant contre la corruption généralisée de la police, le pouvoir des riches et la peur révolutionnaire qui sévit parmi les aristocrates. Le tout dans une ambiance de puanteur, de violence et de misère généralisées. C’est l’époque aussi où la Suède découvre le café.
Quand la première partie s’achève, on nage en plein mystère et pour rien au monde on abandonnerait la lecture de 1793. L’enquête n’a guère progressé mais l’évocation de la société suédoise et de la misère est captivante. La deuxième partie tient les promesses de la première : saut en arrière d’une saison et on découvre un certain Kristofer Blix, beau jeune homme insouciant, on pense savoir qui il est, mais non… son histoire devient passionnante en s’imbriquant à la première.
Troisième partie, troisième axe de narration avec la jeune Anna Stina, pauvre fille honnête, une malheureuse qui se retrouve injustement accusée. Son histoire est un peu longuette, d’autant plus que ses liens avec le tronc humain sont ténus, voire même accessoires. C’est là ma déception concernant ce roman par ailleurs très intéressant. Il est probable que Niklas Natt och Dag avait envie de parler des ateliers de filature de Stockholm, prison où les femmes sont esclavagisées. C’est intéressant en soi mais beaucoup trop long si on considère qu’Anna Stina ne se raccroche à l’histoire principale que de façon secondaire.
A part ça, tout y est : la corruption policière, la décadence des aristocrates, la vengeance, l’injustice, l’exploitation, la misère, l’alcool, l’impossible rédemption, l’enfance abusée… et pour bien faire l’amour, l’intégrité face au Mal. Niklas Natt och Dag porte haut les couleurs du roman policier historique (à des lieues donc du polar scandinave à la mode) qui sort ainsi du cadre traditionnel et rassurant des « Grands Détectives ». Ce roman-là a beaucoup d’ampleur et les moyens littéraires de son ambition historique.
Le crime commis est atroce et retient l’attention du lecteur qui veut savoir quel être humain a pu perpétrer ça et pourquoi. Et c’est surtout le pourquoi qui est intéressant : Niklas Natt och Dag s’y connaît en tréfonds de l’âme humaine, même si le raffinement de la torture imposée à la victime semble au final un chouïa disproportionné face à sa faute. L’auteur connaît aussi les bas-fonds de Stockholm. Il nous les donne à voir et surtout à sentir dans leur vaste puanteur. 1793 est un roman historique ambitieux et réussi, malgré les réserves exprimées plus haut.
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1793
Niklas Natt och Dag traduit du suédois par Rémi Cassaigne
Sonatine, 2019
ISBN : 978-2-35584-696-0 – 441 pages – 22 €
1793, parution originale : 2017
Ah oui, un grand roman !
Pas trop mon truc ce genre de crimes…
Ici ce qui est intéressant c’est surtout la force de la reconstitution historique et l’ambiance créée. Le crime est certes sordide mais ce que l’auteur s’attache à montrer c’est plus comment un être humain en est arrivé à le perpétrer.
La période me botte naturellement, j’ai des doutes sur le polar et le traitement, mais je note, par curiosité, on ne sait jamais !
Il y a enquête au début, puis plus vraiment (on est dans le style aveux spontanés). Pour les amateurs de romans historiques ce titre-là me semble incontournable, il y a un vrai souffle et de la vie à chaque page !
Très tentée bien sûr, je l’avais déjà noté suite aux avis de Jean-Marc et Nyctalopes..
Tu ravives mon envie de le lire.
Bonjour Sandrine, très bon roman haletant où la victime et l’assassin ne sont pas forcément ceux que l’on croit. L’écrivain tient le lecteur en haleine jusqu’au bout. Bonne journée.