En 1937, le très jeune Louis Dantezzi est interné dans un hôpital psychiatrique près de Toulouse. Il a été retrouvé baignant dans le sang de sa mère, sa sœur et son beau-père. Sa version des faits ne cadrant pas avec ce qu’attendent les gendarmes, il est déclaré fou. Et même fou dangereux afin d’être interné avec les malades les plus difficiles. Ça sera le quartier des agités et des criminels dangereux.
Mais Louis n’est pas fou, très loin de là. Il comprend immédiatement qu’il va devoir se faire respecter de tous les dingues qui peuplent cet étage qui ne compte aucun enfant de choeur. Tony et sa bande font régner leur loi, impitoyable. Ce sont des dingues violents, sadiques et omnipotents. Louis ne s’écrase pas devant Tony, il ne le provoque pas non plus, il parvient juste à se rendre utile : mieux vaut faire avec lui que sans.
Cette stratégie va se révéler payante quand Louis descendra à l’étage des débiles et des séniles. Là, c’est Jésus qu’il parvient à se mettre dans la poche, et c’est toujours utile d’avoir Dieu de son côté. À force de manipulations, Louis devient comptable puis prend la place du secrétaire général de l’hôpital. Car Louis est un manipulateur. Il a décidé de tout faire pour s’évader, quel que soit le temps que ça lui prenne, et peu importe ce qu’il doit faire.
C’est ainsi que se dessine peu à peu la personnalité ambiguë de Louis. Il est bien sûr la victime d’un enfermement abusif et d’abus de pouvoir. On le sait innocent du crime dont il est accusé. Mais il est prêt à tout pour sortir, absolument tout. Y compris à s’humilier devant le directeur de l’hôpital psychiatrique dont il devient l’indispensable bras droit. Il le flatte sans cesse, l’aide à détourner l’argent et les vivres de l’hôpital pour son seul profit, l’assiste dans ses expériences médicales sur les malades. Il ne change en rien ses plans quand arrivent la guerre puis l’occupation. Au contraire, Louis devient « monsieur le directeur ».
Hôpital psychiatrique est un roman intéressant en bien des points. C’est d’abord un historique terrible de l’état de ces établissements avant la guerre et pendant, alors que les malades mentaux n’existent plus pour personne, qu’il n’y a plus d’argent pour eux. Abandonnés à leur sort, ils meurent de faim et de l’exploitation des soignants. Si on peut appeler soignants les rustres violents qui les surveillent encore. Et malheureusement pour la psychiatrique en France, Raymond Castells, lui-même psychiatre, explique en fin de volume que certaines pratiques ont toujours cours.
Au-delà de l’aspect documentaire, j’ai trouvé le personnage de Louis intéressant car ambigu. Je me demande s’il n’est pas le plus pervers de tous, celui dont il faut le plus se méfier. Les « méchants » traditionnels, on les repère vite : les sadiques, les lâches, les profiteurs, les nazis, les mégalos… mais Louis agit pour lui seul et pour sa chère Louise qui intègre l’hôpital en 1941. Il est prêt à tout, absolument tout, y compris à sacrifier tous les malades de l’hôpital pour prendre la fuite. Car le roman commence par la fin et on sait que Louis et Louise parviendront à s’évader, mais à quel prix… faire griller les nazis passe encore, c’est de bonne guerre, mais tous les autres… Louis devenu nonagénaire est toujours fier de son évasion, fier que les journaux viennent l’interviewer, fier de sa descendance qui accède à de très hauts postes dans la région… mais des milliers de personnes sont mortes pour que ce seul couple s’enfuie. Cette froideur victorieuse, ce dédain complet des vies humaines ne sont-ils pas pires que la folie des grandeurs du directeur, que la folie du petit caïd à l’étage des fous dangereux ? Cette toute-puissance satisfaite est plus effrayante que tout le reste à mes yeux.
Un personnage dérangeant pour un roman historique qui tient ses promesses pour peu qu’on cherche à en savoir plus sur les hôpitaux psychiatriques pendant la Seconde Guerre mondiale. Une réussite donc malgré quelques longueurs.
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Hôpital psychiatrique
Raymond Castells
Rivages/Noir, 2012
ISBN : 978-2-7436-2426-2 – 603 pages – 10,65 €
cela m’a l’air lourd comme sujet – un peu trop pour moi pour l’instant, mais je n’hésite pas à noter le titre
Ça a l’air terrible ! Les documentaires sur le sujet sont déjà durs à supporter, alors être « embedded » n’est-ce pas avec un personnage aussi retors… En tout cas, c’est une sacrée prouesse pour l’auteur d’y être parvenu !
Je ne suis pas certaine que les hôpitaux psy d’aujourd’hui soient en meilleur état.
Je note, même si il y a quelques longueurs, j’ai bien envie de découvrir le personnage de Louis et son ambiguïté.
la psychiatrie est vraiment le parent pauvre de la médecine, et c’est terrible.
Bonjour Sandrine, un roman que j’avais bien apprécié qui m’avait fait penser que Camille Claudel et Séraphine de Senlis, toutes deux internées à cette époque de la deuxième guerre mondiale sont mortes certainement de faim. Un roman bien construit avec une intrigue qui tient la route. http://dasola.canalblog.com/archives/2014/08/06/30366354.html Bonne fin d’après-midi et bonnes fêtes de fin d’année confinée.