La Survivance de Claudie Hunzinger

La SurvivanceJenny et Sils tenaient une librairie de livres rares et anciens dans un lieu qu’ils pensaient à eux, un lieu pour amoureux des livres. Puis un jour de printemps, ils en sont expulsés. Ils doivent partir, vite. Ils n’ont nulle part où aller, tout loyer étant trop élevé. Ils ont soixante ans, pas d’enfants.

Mais ils sont chargés de souvenirs et de livres, beaucoup de livres. Où aller ? Où trouver un endroit susceptible d’accueillir leurs différences, leur mal être d’une société qui s’est emballée, qui ne leur convient plus.

Ils décident de retourner vivre à La Survivance, à mille mètres d’altitude, avec l’ânesse Avanie et la chienne Betty. C’est à peine une maison, plutôt une grange située dans le Parc des ballons des Vosges, dans le massif du Brézouard. Une ancienne région minière. La minuscule métairie est quasi en ruine, gagnée par la végétation. Il y a une source mais pas d’électricité ; ils ont une tente militaire. Il faut débroussailler, tant bien que mal réparer. Ils vivent comme des pionniers.

C’était un lieu à l’écart comme il n’en existait plus beaucoup, et la maison avait été oubliée parce que, à une altitude pareille dans les Vosges, c’était tout simplement invivable.

Multiples sont les facteurs de désespoir, voire de danger : les cerfs qui ravagent tout, les tiques et leurs maladies, les orages, le froid (parfois l’été, le thermomètre ne dépasse pas les 5° et en hiver, il descend à moins 25…). Et la maladie s’est installée, sans qu’on ne sache bien de quoi il s’agit. La maladie sournoise, toujours présente et menaçante, ça peut être n’importe laquelle de celles qui nous guettent et nous poussent à vivre vite et fort.

On sentait bien qu’on vivait sous la menace, guettés par la malveillance des temps.

C’est à vingt ans, au printemps 1973, qu’ils ont découvert La Survivance. Charmés par ce tas de cailloux, ils l’ont acheté. Pourquoi ? Pour rien, parce qu’elle leur plaisait et qu’elle n’était à personne. Ils n’y sont pas retournés depuis puis traqués par la vie, par la société de la vitesse et de l’argent, ils retrouvent la route de leur ancienne folie.

Alors quitter la ville et quitter une vie qui ne correspond plus à rien. Partir avec pour seuls bagages quelques cartons de livres, les inséparables. Jenny et Sils arrivent au printemps. Le but inavoué est de passer l’hiver, ce qu’ils n’étaient pas parvenus à faire jeunes.

Dans la montagne, sans plus de travail, aucune journée ne ressemble aux autres. Sils se perd dans la recherche des couleurs du retable perdu de Grünewald. L’artiste n’a peint que de la peinture religieuse mais ses toiles montrent une prédilection pour la cruauté et un foisonnant imaginaire fantastique, dans la lignée de Jérôme Bosch. Pour Sils, c’est un peintre révolté, comme lui-même l’était quand à vingt ans il a rencontré La Survivance.

Jenny, la narratrice, découvre la nature qui l’entoure. Rien d’efficace, rien d’utile au sens de notre société moderne. Mais l’essentiel : pourquoi l’harmonie, l’agencement du monde ? Quel équilibre pour parvenir à la grâce et à la beauté ?

Parfois, j’étais des heures et des heures à l’affût pour rien. Parfois, ils se montraient quand je me préparais à repartir, comme pour me faire sentir leur pouvoir de grâce, de rédemption animale, universelle, d’apocatastase, un moment rare qui survient cycliquement après la mort du cosmos, quelque chose comme tous les mille milliards d’années (évidemment peu connu). Une sorte de résurrection dans le pardon. Sauf qu’il s’agissait pour moi d’une résurrection à l’instant même et ici, et non pas à venir.

Avant toute rédemption, toute résurrection, Jenny met les mains dans la terre et cultive un potager. C’est de la terre que viendra le renouveau. Mais il doit d’abord les nourrir puisqu’ils vivent en quasi autonomie, presque en autarcie. Jenny s’attache en particulier à deux cerfs. Elle qui ne vivait que de livres, elle qui ne croyait pas pouvoir vivre un jour sans lire une ligne se met à l’écoute du monde.

Car c’est sur les ruines de leur vie et du monde que Jenny et Sils vont reconstruire un espace à leurs mesures. Les contraintes extrêmes permettent de retrouver une liberté exceptionnelle car ils ne dépendent plus de rien ni de personne. Ils sont vivants.

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La Survivance

Claudie Hunzinger
Grasset, 2012
ISBN : 978-2-246-79872-9 – 278 pages – 18 €

11 commentaires sur “La Survivance de Claudie Hunzinger

    1. Gros débordement d’enthousiasme pour l’histoire elle-même. Enthousiasme cependant tenu en laisse tant il ferait preuve d’idéalisme forcené qu’il n’est jamais de bon ton d’étaler, on a vite fait de se faire enfermer ces temps-ci 😉 Tu seras par ailleurs contente d’apprendre que mon rapport à la nature a considérablement changé depuis un ou deux ans…

      1. Ce serait bien qu’on en discute! ^_^ je participerai sûrement à la brocante sur le pont, alors si on se contacte et/ou se voit… Moi non plus je ne pourrais pas vivre dans ces conditions, t’inquiète pas. Mais il faut des bouquins autour, au cas où.

  1. Bonjour Sandrine. J’ai aussi un bon souvenir de cette lecture. Je la confonds parfois avec « Une lointaine Arcadie », de Jean-Marie Chevrier, sur exactement le même thème… Par contre la citadine que je suis ne s’identifie pas du tout aux personnages 😉

  2. Je découvre dans les commentaires que tu es enthousiaste … Mais tu notes aussi l’idéalisme de l’histoire … Alors, je vais garder trace sur mon carnet de ce titre, pour une sortie en poche … Un retour à la nature qui me ferait bien envie en vrai ( avec des conditions moins rudes, quand même). La citadine que je suis, mais une citadine avec jardin, tente à sa mesure, de revenir un rapport plus direct avec les plantes. C’est l’idée du « jardin punk » qui commence à se rependre dans mon coin …

    1. Ah un jardin punk, quelle belle idée ! L’idéalisme ne fait pas sérieux mais il permet parfois de tenir, en ce moment surtout. Avoir des rêves est vital, envisager de les accomplir peut devenir nécessaire…

  3. J’avais bien aimé et c’est avec ce livre que j’avais découvert Claudie Hunzinger. Il m’a manqué quelque chose, je ne sais pas quoi et j’ai lu le suivant mais là encore, je suis restée sur ma faim.

  4. Un bon bouquin : « Claudie Hunzinger réussit un bien beau livre, sans intrigue haletante, sans révélations fracassantes, sans bruit finalement, mais qui nous parle de l’essentiel, la liberté qui rime souvent avec difficulté » dont je ne dirais pas autant de tous ses autres livres…

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