Voici un livre imprévu, pioché de nuit sur les étagères d’une bibliothèque pour occuper mes insomnies. Je connaissais Florence Aubenas de réputation, otage, journaliste impliquée, quasi infiltrée. Quelques appréhensions avant lecture cependant en raison de son livre sur l’affaire d’Outreau et ses prises de position au moment du procès en appel sur lequel je me suis penchée récemment.
L’inconnu de la poste, c’est d’abord la région du Haut-Bugey, la vallée du plastique. On y vit plutôt bien. A Montréal-la-Cluse, tout le monde se connaît, quelques figures dominent dont Catherine Burgod, qui tient le bureau de poste. Pas de problème d’argent mais un fond dépressif que son cercle de copines s’efforce de dissiper. Et voilà qu’un matin de décembre 2008, on la retrouve assassinée dans son petit bureau de poste : enceinte de cinq mois, elle a été tuée de vingt-huit coups de couteau.
Aucun indice, aucune trace, aucune piste. Rien. Alors les ragots et l’enquête se tournent vers les marginaux du coin, dont un qui vit juste en face, Gérald Thomassin. Il n’a que la trentaine mais c’est déjà le genre de poivrot hâbleur qui vous fait changer de trottoir. Il parle tout le temps, affabule, raconte partout qu’il est acteur, qu’il a même reçu un César. Acteur, ce débris ? Allons gars, reprends donc une bière…
Et pourtant, Gérald Thomassin est bel et bien acteur, lauréat du César du meilleur espoir masculin en 1991 pour Le Petit criminel de Jacques Doillon. Entre 1991 et 2008, il a tourné dans une quinzaine de films et dans plusieurs séries. C’est un écorché, un instinctif qui incarne des voyous, des déclassés, des violents… Et si son tout premier rôle était prémonitoire… Ce n’est qu’en 2013 que Gérald Thomassin est emprisonné pour le meurtre de la postière.
Florence Aubenas ne propose pas une défense de Thomassin, ni même une contre-enquête. Il s’agit plutôt d’un portrait de cet homme qu’elle a rencontré et qu’elle décrit de façon assez factuelle. Elle croit à l’évidence en son innocence mais le débat est apaisé. Et s’il l’est, c’est que Thomassin a été libéré (le lecteur le sait dès le prologue du livre) et qu’il est porté disparu depuis 2019. Est-il mort ? S’est-il suicidé ? Le mystère reste entier à ce jour.
Florence Aubenas dresse le portrait d’une vie gâchée, d’un destin raté. Le talent de Thomassin a été englouti par l’alcool et la drogue. Enfance en familles d’accueil, mauvaises fréquentations, dépenses somptuaires après chaque tournage : la déchéance lui tend les bras.
L’inconnu de la poste n’est pas un livre déplaisant, il n’est pas palpitant non plus. Si Thomassin s’incarne plutôt bien, il manque d’âme. On sait gré à l’auteur de ne pas prêter à son personnage des pensées qu’elle ne connaît pas cependant, le texte reste factuel, assez froid. On aimerait sentir sa colère contre l’injustice, son empathie pour Thomassin ou sa tristesse face au sort d’une femme assassinée, bref, comprendre pourquoi elle s’est emparée de cette histoire. Mais on ne lit rien de tout ça. On s’ennuie presque. Heureusement que j’ai l’insomnie tenace…
On peut lire L’inconnu de la poste pour l’étude sociale d’une région et encore, on est bien loin du talent d’Ivan Jablonka dans Laetitia. Sans parler de Philippe Jaenada, le roi de la contre-enquête littéraire.
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L’inconnu de la poste
Florence Aubenas
L’Olivier, 2021
ISBN : 978 2 8236 0985 1 – 236 pages – 19 €
Chouette, te revoilà .. Je voulais l’emprunter à la bibliothèque, mais tu ne donnes pas très envie là. Et je suis allée lire le texte sur Outreau (que j’ignorais). Ça donne encore moins envie. Coïncidence, cette semaine j’ai regardé l’émission de France 2 ou 3 sur l’enfance abusée, où un des enfants d’Outreau témoignait et rappelait cette histoire de box des accusés où étaient les enfants !
J’ai fait des recherches sur Outreau cet été pour écrire un podcast et on peut dire que ça m’a beaucoup remuée. L’horrible histoire elle-même, la souffrance des enfants, mais aussi la manipulation médiatique, les journalistes tout puissants qui dirigent l’opinion à leur gré. Et ça continue sur cette histoire : si tu écoutes l’émission de Hondelatte sur cette affaire, elle s’arrête sur le procès en appel et les accusés innocentés, devenus victimes. Il considère les enfants comme des menteurs et ne dit rien du fait que les nouveaux acquittés ont été avant ou après l’affaire déjà en délicatesse avec la justice pour des problèmes de pédophilie. Comme Aubenas, il profite de sa célébrité pour faire de son opinion une vérité, ça me révolte, au bas mot… (j’en suis encore tout énervée, comme tu le constates…).
Emballée par « Le quai de Ouistreham », je l’ai ajouté à ma pile presque dès sa sortie… tu douches quelque peu mon enthousiasme, d’autant plus que j’avais beaucoup aimé « Laëtitia » et quant à Jaenada, je n’en parle même pas !! ..
Si tu n’attends pas grand-chose de ce texte, il te plaira peut-être…
Je repasse par ici après avoir lu ce titre en deux jours (pas d’insomnie, mais un long moment à passer sur un banc face au bassin d’Arcachon !, et je voulais le lire avant je voulais le lire avant le prochain salon du Livre de poche qui se déroule à côté de chez moi le WE prochain, dont elle est la marraine), et je rejoins ton avis, ça manque un peu de chair, l’approche a un aspect quasi clinique. J’ai en revanche trouvé sa manière de décrire les lieux, le village, la manière dont y vit, dont on y interagit, assez vivante pour nourrir mon imagination, notamment par l’apport de petits détails improbables ou anecdotiques.
Pour l’instant, entre l’affaire d’Outreau et ce petit criminel, je n’ai pas grande opinion de Florence Aubenas… je me demande si sa réputation n’est pas un peu surfaite… il faudrait que je lise autre chose…
Je n’ai pas lu le titre sur Outreau, et je crois que je vais éviter… j’ai beaucoup aimé Le quai de Ouistreham, et une série d’interviews d’elle sur France Culture me l’a rendue plutôt sympathique (notamment par son humilité et son empathie).
Tu refroidis beaucoup mon envie de découvrir ce titre que j’ai mis dans ma liste
Je pense qu’on trouve sur le net beaucoup d’avis positifs sur ce livre, comme sur tous les livres de Florence Aubenas : s’ils ont su te tenter, n’hésite pas et dis-nous ce que tu en auras pensé.
J’avais beaucoup aimé Le quai de Ouistreham, mais suis passée à côté de L’inconnu de la poste, un poil d’ennui. On ne sait pas grand chose de cette histoire, je trouve que F Aubenas a pas mal imaginé les pensées de la victime, par exemple quand elle va au travail , qu’en savait-elle? Dans ce cas, on dit que ‘sans doute’ ou j’imagine’ ou ‘un tel m’a dit que’. L’histoire de Thomassin est bien, le mystère demeure.
Quant à l’affaire d’Outreau, pas trop de souvenirs précis et j’avoue que je n’ai pas trop envie de m’y plonger. A moins que Jaenada? ^_^
Même le génial Jaenada ne parviendrait pas à faire quelque chose de drôle avec Outreau…
Je ne connaissais de Florence Aubenas que Le quai de Ouistreham. Ton billet et l’article sur l’affaire d’Outreau auquel tu renvoies douchent bien mon envie de lire L’inconnu de la Poste… Je pensais qu’elle creusait plus cette affaire, je n’ai pas envie de lire ce livre pour m’ennuyer !
J’ai lu il y a peu un billet chez Athalie qui l’a trouvé très bien…
Bonsoir Sandrine, je compte lire ce récit qui a le mérite d’être court. Bonne soirée.