L’homme-chevreuil de Geoffroy Delorme

C’est l’histoire d’un tout jeune homme fasciné depuis l’enfance par la nature. La forêt qui jouxte sa maison l’attire particulièrement et petit à petit, il s’y est enfoncé. Geoffroy Delorme reste très discret sur sa vie de famille mais on devine un mal-être et une grande solitude. Solitude accentuée par sa déscolarisation et la décision maternelle de l’inscrire au CNED à dix ans.

La forêt devient donc un refuge et les animaux sauvages, ses amis. Il doit dans un premier temps s’adapter à un mode de vie radicalement différent. Ce qui devient primordial, ce n’est plus l’accès à Internet, le prix de l’essence ou le marché de l’emploi mais bien avoir chaud et se nourrir. Cette survie en forêt passe par quelques concessions à la modernité pour ce qui est de l’équipement. Chaussures en Gore-tex, sacs étanches pour conserver les aliments, batteries solaires et appareil photo (mais de sac de couchage ni de tente). Geoffroy a aussi besoin d’allumettes car il ne peut réguler sa température comme les animaux.

Côté nourriture, ça n’est pas tout de suite l’extase, et ça ne le sera jamais.

Dans les faits, ma consommation de nourriture industrielle diminue progressivement, à mesure qu’elle est compensée par la cueillette. Je découvre l’épilobe à petites fleurs dont la racine est comestible, et qu’on appelait autrefois le « guérit-tout ». On le déterre avec un couteau et on le mange cru. Il y a aussi les racines d’ortie, les radicelles de ronces, les carottes sauvages. On ne va pas se raconter d’histoires, dans un premier temps tout cela est franchement répugnant.

Se défaire de la civilisation, c’est aussi se débarrasser des pensées parasites et des jugements tout faits.

Seul en forêt avec les chevreuils, je ne pense à rien, je ne mets pas de mots ni aucune définition sur ce que je vois, respire ou entend. Je me contente d’être là, avec eux, et de ressentir la nature plutôt que de la décortiquer. Je ne parle que très peu pour laisser place à mon intuition.

Il observe les chevreuils et les imite. Il parvient ainsi à communiquer avec eux, à se faire comprendre par des cris mais aussi via son comportement. Les chevreuils s’apprivoisent, deviennent de moins en moins méfiants. Lui se prend pour l’un des leurs. Il les aide à échapper aux chasseurs et ils l’acceptent. Mieux, selon lui, il fait partie de la famille :

Je m’amuse beaucoup avec Prunelle. Elle me considère un peu comme son grand frère humain. Je ne remplace pas son frère jumeau, mais l’estime qu’elle me porte est très grande.

Un chevreuil peut-il estimer un être humain ? Geoffroy Delorme raconte à quel point il devient familier avec ces bêtes sauvages : il peut les caresser, se faire lécher le visage et dormir avec eux. Je suis de ceux qui restent sceptiques face à ce récit qui sans doute a été enjolivé. Il fait rêver, ce qui est certainement une bonne chose, mais on dirait parfois un scénario de dessin animé. Peut-on imaginer qu’un homme guide un chevreuil vers des voitures de chasseurs pour qu’il comprenne qu’elles représentent un danger et qu’il faut s’en méfier ? Les chevreuils ont-ils même besoin qu’on le leur apprenne ? Qu’une jeune mère mette bas à quelques mètres de lui qui vient d’arriver en forêt, sans qu’elle se rende compte de sa présence ?

Je n’ai pas besoin que ce texte soit 100 % vrai pour l’apprécier. J’ai aussi goûté la force et la détermination de ce jeune homme manifestement mal dans sa peau. Son immersion ne fait pas de doute et l’aventure reste incroyable même enjolivée.

Il est question dans L’homme-chevreuil de la place de l’homme dans la nature ainsi que de la gestion des forêts, pour beaucoup devenues des champs d’arbres et bien sûr des conditions de vie des chevreuils, de plus en plus complexes en raison de la réduction de leurs territoires.

Geoffroy Delorme sort grandi et transformé de cette expérience de sept ans avec en forêt. Il doit y mettre fin car son corps n’est pas parvenu à s’adapter totalement : il dépérit, perd des forces.

Je n’avais pas entendu parler de ce livre à sa sortie car si je ne vis pas en forêt, je me tiens loin des médias et ça me fait du bien. On me l’a conseillé l’été dernier, alors que je racontais mon contentieux avec les chevreuils.

Comme beaucoup de gens, j’aime apercevoir des chevreuils en forêt. Ce sont de beaux animaux furtifs qui témoignent que la vie sauvage n’est pas encore totalement anéantie. Cependant, j’ai avec eux de très graves conflits et clairement, je souhaiterais ne plus les voir dans mon champ potager. Ils dévorent absolument tout : aucun pied de framboisiers n’a trouvé grâce et nous n’avons mangé aucune framboises. Ils boulottent aussi les haricots (pas nous du coup), l’oseille, les fraisiers, les salades et j’en passe. Mon champ potager se trouve en lisière de bois, j’ai construit quelques clôtures mais il faut que j’en monte d’autres, faites de bambou. Cela me prend un temps considérable et franchement dans ces moments-là, je déteste les chevreuils !

Voir le site de Geoffroy Delorme.

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L’homme chevreuil

Geoffroy Delorme
Les Arènes, 2021
ISBN : 979-10-375-0281-0 – 251 pages – 19.90 €

16 commentaires sur “L’homme-chevreuil de Geoffroy Delorme

  1. Quand je quitte mon bord de mer c’est pour aller chez mon ami qui vie au milieu d’une forêt , j’avoue que ce les arbres et leurs habitants ne m’attirent pas du tout. Et comme chez toi les chevreuils je vois surtout leur destructions dans les massifs de fleurs.

    1. Je les aime bien quand même, je prends plaisir à en voir et je suis heureuse qu’ils échappent aux chasseurs grâce à notre bois, mais j’enrage qu’ils me bouffent tout !

  2. Il est dans mon coin ce gars-là. Dès la parution de son livre, il y a eu des usagers de la forêt pour dire que ce qu’il avait écrit n’était pas vrai, en tout cas très enjolivé. Du coup, j’ai laissé tomber. Je ne sais pas trop ce qu’il devient d’ailleurs.

  3. C’est une sorte de récit survivaliste ? J’ai l’impression qu’il y a pas mal de livres parus récemment sur une thématique proche. Je pense à « Encabanée » de Gabrielle Filteau-Chiba (que je n’ai pas lu) ou « Fox et moi » de Catherine Raven (pas lu non plus).

  4. C’est drôle mais au fur et à mesure que je te lisais, des images de Bambi, du Livre de la jungle et de Blanche-Neige qui s’éveille dans la forêt me venaient à l’esprit^^, ceci avant que tu ne mentionnes que ça t’avait un peu évoqué un scénario de dessin animé.

    1. Il existe des récits assez incroyables d’êtres humains survivant au milieu des animaux sauvages mais je ne sais si celui-ci en fait partie car il semble parfois enjolivé. Mais les chevreuils ne sont pas des loups, ils vivent assez près des humains, ils y sont habitués, alors…

  5. J’avais vu une interview de ce jeune homme qui expliquait comment il en était arrivé là. Et contre toute attente, il avait la tête sur les épaules.

  6. Je me demande si ma mère ne l’a pas lu, elle a beaucoup aimé récemment un livre chevreuil de ce genre… Sinon, foi des amis québécois : la seule façon de manger de son potager c’est la clôture électrique. Ça ne fait pas rêver, je suis d’accord, je n’aime pas trop ces engins, mais effectivement sinon ce sont les chevreuils qui mangent les légumes.

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