Du bon usage des étoiles de Dominique Fortier

Du bon usage des étoilesAprès ma lecture fascinée de Terreur de l’Américain Dan Simmons, j’ai décidé d’en savoir plus sur l’expédition John Franklin. J’ai commencé avec le documentaire d’Anne Pons, John Franklin, l’homme qui mangea ses bottes, et voici à nouveau un roman sur le même sujet, cette terrible expédition britannique partie à la découverte du mythique passage du Nord-Ouest en 1845 et dont aucun membre n’est jamais revenu.

Disons d’emblée que j’ai été assez déçue et que je crois qu’avec Terreur, j’ai lu ce que la fiction pouvait produire de mieux à partir de cette terrible réalité. Comme Dan Simmons, Dominique Fortier s’empare des maigres éléments découverts plus ou moins récemment concernant la période qui suivit le départ des deux navires. Comme ils sont assez succincts, le roman repose pour moitié sur la vie de Jane Franklin, femme hors norme pour l’époque, qui batailla pour envoyer des secours à son mari. J’ai trouvé extrêmement longs certains passages sur ses soirées, ses bals, ses tea parties en compagnie de la fine fleur de la marine anglaise. Très peu de pages sont finalement consacrées au calvaire de l’expédition, à leurs souffrances, leur cohabitation.
Dan Simmons s’est magistralement emparé de cette histoire, il a su imaginer les tensions, recréer une atmosphère suffocante, le désespoir, les vaines tentatives, les périples tous plus hasardeux les uns que les autres… Bien sûr, il donne dans la veine fantastique et donc introduit un élément totalement irrationnel, mais un roman plus réaliste, comme celui de Dominique Fortier devrait pouvoir créer la même ambiance si terrible que je n’ai pas trouvée ici. Où sont la peur, l’angoisse, le désespoir, la promiscuité, l’abominable tentation du cannibalisme et la mort toujours présente au fur et à mesure que passent les mois, puis les années, avec des navires irrémédiablement englacés et une perspective infiniment et désespérément blanche et froide ? Ils ont eu peur, ils ont eu faim, et surtout ils ont eu froid ces hommes, et en lisant ce livre je ne l’ai pas ressenti.

Bref, l’émotion si prégnante chez Simmons est ici absente, d’autant plus que le roman est ponctué d’intermèdes comiques (enfin, je suppose…) comme une recette de plum pudding (à vous dégoûter de la nourriture anglaise !). Les personnages de Simmons sont bien plus profonds, bien plus fouillés que ceux de Fortier, évidemment, puisqu’il s’est donné la peine d’en faire plus de sept cents pages ! C’est que cette histoire est un concentré de tragédie, une manne romanesque grâce à ses immenses zones d’ombre qui sont autant de propositions pour un maître comme Simmons. Son imagination a su ordonner et concentrer toutes les potentialités de cette aventure et lui donner une portée à la fois humaine et universelle. Pour moi, le roman de Dominique Fortier manque d’ambition, de souffle romanesque et ne va pas à l’essentiel en se diluant dans des intermèdes inutiles.

 

Du bon usage des étoiles

Dominique Fortier
Alto, 2008
ISBN : 978-2-923550-15-2 – 344 pages – 24,95 $