Montana 1948 de Larry Watson

Montana 1948« De l’été de mes douze ans, je garde les images les plus saisissantes et les plus tenaces de toute mon enfance, que le temps passant n’a pu chasser ni même estomper.« 

Et ils sont si forts ses souvenirs de l’été 1948, que David Hayden transporte dès les premiers mots son lecteur là-bas à  Bentrock, Mercer County, deux mille habitants  dans le vaste Montana. Son père est shérif, son oncle Frank médecin et tout ce monde-là est respecté depuis des générations.

Et parce que sa mère travaille, il y a aussi Marie Little Soldier à la maison, une Indienne que David aime particulièrement. Mais Marie tombe malade cet été-là et Mrs. Hayden décide d’appeler Frank son beau-frère pour l’ausculter. Mais Marie refuse, pousse des cris à son arrivée et supplie qu’on ne la laisse pas seule avec lui. Elle finit par avouer à Mrs. Hayden que son beau-frère est connu pour abuser des jeunes Indiennes. Cet homme beau, aimable, apprécié de la population, instruit, marié à une femme superbe se livre en fait depuis toujours à rien moins que des viols sur ces jeunes filles.

L’adaptation BD de Nicolas Pitz

On ne dit rien à David, mais il écoute en douce, met bout à bout les conversations et les messes basses et comprend que son oncle n’est pas celui qu’il croyait.

« Cet homme dont ils parlaient, et aux crimes duquel ils faisaient allusion, tout en restant dans le vague par respect pour ma prétendue ignorance des faits, n’était pas un étranger, ni un quelconque cow-boy de Kallispell ou de Billings qui serait venu faire des embrouilles dans le secteur de mon père. Non, cet homme c’était mon oncle qui, il n’y a pas si longtemps, affectueux et chamailleur, me soulevait dans ses bras et me faisait tournoyer en l’air jusqu’à ce que j’aie le tournis. C’était Oncle Frank, celui qui s’efforçait de m’enseigner le lancer au base-ball, qui me faisait de somptueux cadeaux pour mon anniversaire et pour Noël, qui racontait des plaisanteries osées pendant les repas familiaux de Thanksgiving ou à Pâques, qui chaque année se rendait au Canada pour acheter les plus beaux feux d’artifice pour le 4 juillet. »

La consternation, la honte et l’incompréhension entrent dans la maison des Hayden et pour le jeune David c’est plus difficile encore car personne n’ose lui expliquer vraiment ce qui se passe. C’est un enfant perdu dans un drame d’adultes sordide qui va détruire sa famille. Car le père de David qui est shérif va devoir appliquer la loi à l’encontre de son frère et l’arrêter pour le mettre en prison. Il va s’attirer les foudres de son propre père, si fier depuis toujours de son fils médecin et héros de guerre. Ces deux personnages sont très réussis car nuancés et complexes : il n’y a pas d’un côté le méchant oncle pervers et de l’autre le gentil shérif défendant les droits des minorités, très loin de là. Ce sont des personnages traversés par différentes contradictions liées à leurs valeurs, leur éducation et surtout par une morale qui pour l’un est adaptable en fonction des individus.

Cette histoire terrible, resserrée en cent soixante pages, ne contient pas un mot de trop. Petit à petit, David nous mène à la tragédie avec ses yeux d’enfant impuissant. Les quelques personnages parfaitement évoqués, la petite ville de Bentrock et la rapidité des événements en font une tragédie moderne et forte, de celles qui sont inéluctables.
En plus d’être un drame humain, cette histoire fait aussi figure de drame social car Larry Watson évoque  avec réalisme et sincérité les relations entre Blancs et Indiens qui ont pour base le racisme et le mépris.

Pendant toute ma lecture, j’ai pensé à Seul le silence de Roger Jon Ellory : même narrateur qui regarde impuissant ce que fut son enfance, même Amérique désertique et rurale d’après-guerre et surtout des tensions égales, des victimes de la perversité.

C’est un texte très fort qui sonne juste et résonne longtemps.

Ce livre est d’abord paru en France chez Belfond en 1996, puis en poche chez 10/18. Mais comme cet éditeur ne réédite jamais ses titres (scandale !),  que Gallmeister entame sa collection de poche avec ce titre (et trois autres)  est une excellente initiative.

Montana 1948

Larry Watson traduit de l’anglais par Bertrand Péguillan
Gallmeister (Totem), 2010
978-2-35178-501-0 – 162 pages – 8 €

Montana 1948, parution aux États-Unis : 1993

55 commentaires sur “Montana 1948 de Larry Watson

  1. Il est noté depuis une éternité celui-ci (Vraiment, mes plus vieilles fiches sont de 1999 !) et tu me donnes envie de le remettre en avant… Excellente initiative que ces poches chez Gallmeister !

  2. La couverture que tu montres me plait beaucoup par sa sobriété. Avec ton billet très tentateur, ça fait 2 excellentes raisons de noter !

    1. Pour ma part, je la trouve un peu trop sobre cette couverture… et puis pourquoi deux flingues, c’est un drôle de choix…

  3. Je désespérais que ce livre soit réédité. J’en avais parlé sur mon ancien blog.
    Si ça t’intéresse: http://noirs-desseins.over-blog.com/article-montana-1948-37624871.html
    Comme je n’arrive toujours pas à rapatrier, je vais peut-être le publier direct sur mon nouveau blog.
    Outre ces considérations « techniques », c’est un vrai bijou ce livre. C’est efficace et comme tu dis très bien: « pas un mot de trop ».
    Une nouvelle vie grâce à Gallmeister qui continue son excellent travail. En plus, c’est tout à fait le genre de roman qui correspond à leur ligne éditorial.
    Il existe une suite qui est, en fin de compte, l’histoire de la famille, de leur installation quand Weysley et Frank sont enfants.

    1. Je viens de lire ton billet, effectivement nous sommes bien d’accord, c’est un texte magnifique, sobre et puissant, et cette réédition est une bénédiction. Ton billet me rappelle qu’il fut aussi que je lise Ron Rash qui me tente beaucoup, un peu dans le même genre.

  4. Bon, ce billet, plus le coeur sur pattes, et la référence à « Seul le silence », que puis-je faire d’autre que noter ? Je suis résignée dans cette terrible vie de LCA 😀

  5. La collection poche de Gallmeister a plusieurs titres qui me font de l’œil… Je ne savais par lequel commencer mais ton billet résout mon problème!

    1. J’avais les quatre titres sous le nez à la librairie, je ne savais pas bien lequel choisir non plus, mais j’ai eu la main heureuse !

  6. Après l’avis d’ICB, j’avais noté seulement Trevanian dans cette collection. Maintenant j’ai noté celui-là (mais la libraire ne l’avait pas la semaine dernière :(, aucun des quatre poches sortis). Pour 10/18, je suis tout à fait d’accord avec toi, qu’ils cèdent les droits à d’autres (même si j’ai l’impression que Christian Bourgois réédite dans sa collection poche ses titres à lui). Il me manque toujours deux Colin Dexter, des Tobias Wolff, des Alan Warner.

    1. Cette politique éditoriale est incompréhensible. Pourquoi en effet ne pas céder les droits s’ils ne veulent pas du tout rééditer ? Il semblerait que dans le cas de ce livre-ci, ça a été possible et c’est tant mieux.

  7. Un cadre que j’affectionne tout particulièrement, un petit poche et un billet qui me met les poils comme on dit… je note évidemment !

  8. rhaaaaa ! Voilà une lecture qui me promet des heures de délices 🙂
    Merci In Cold Blog pour ton concours !
    Et pis t’façon, je lirais aussi Indian Creek :))

    1. Tu l’as gagné grâce au concours d’ICB, c’est ça ? Eh ben tu as de la chance, jette-toi dessus dès qu’il arrive.

  9. Une occasion pour découvrir à la fois l’auteur et l’éditeur dont j’entends parler beaucoup en ce moment.

  10. J’avais eu beaucoup de mal à finir Seul le silence, je sais pas pourquoi mais je n’accroche pas trop avec ce genre de livres. Je le note quand même car seuls les imbéciles ne changent pas d’avis !

    1. Ça n’est pas du tout la même histoire, c’est juste que j’ai trouvé l’ambiance de ce livre similaire au début de celui d’Ellory, la même impuissance enfantine, la fatalité…

  11. De prime abord, la couverture ne m’attirait pas du tout. Par contre, ton avis est excellent. Du coup, je le note plutôt deux fois qu’une. J’en conclus : il ne faut jamais se fier aux couvertures 😀
    PS : Un petit hors sujet. Pourrais-tu modifier le lien de mon blog stp ? J’ai dû changer de plateforme parce qu’il m’est impossible d’entrer dans l’administration de mon ancien blog. Désormais, je suis à l’adresse suivante : http://boulimielivresque.blogspot.com

    1. J’ai hésité à le choisir, il était très tentant aussi. J’attends ton billet pour savoir si je dois retourner à la librairie 🙂

  12. Bon ben finalement… je l’ai commandé (pour arriver aux 39$ dans ma commande de Casanova-David-Chou…. compte pas, par définition)… et c’est totalement ta faute.

  13. Pas lu Seul le silence, mais j’aimerais le lire, et je note celui-ci également. Le résumé que tu en fais me donne l’impression d’un roman très « Amérique profonde », non ? (enfin pas que)

    1. Ce terme « Amérique profonde » sonne péjorativement à mes oreilles… ça fait un peu bouseux, pèquenot… Alors oui, ça se passe au cœur du Montana dans une petite ville aussi traditionnellement américaine qu’on peut l’imaginer, mais ce qui s’y passe dépasse la dimension géographique.

  14. je viens de le lire. je l’ai lu d’une traite à partir de la page 60 et quelques je crois. Quelle plume! et ces personnages. Rien de manichéen, de noir-blanc. Cela parle d’une Amérique rurale, d’une petite ville avec une « dynastie », des valeurs, des apparences, des haines… universel et intemporel.

  15. C’est un très beau billet. Tu as notés deux choses que j’aurais pu écrire. En les lisant, je me suis dit « Oui, c’est exactement ce que j’ai pensé »… « resserrée en cent soixante pages, ne contient pas un mot de trop » et le renvoi à un autre livre « Seul le silence » que j’ai super aimé. J’ai retrouvé l’impuissance du jeune garçon.

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