Les deux derniers romans que j’ai lus de Paul Auster (Le voyage d’Anna Blume et Le livre des illusions) m’avaient laissée assez sceptique. Des histoires, certes, mais pas de virtuosité comme celle goutée jadis dans Mr Vertigo. Oui, j’ai douté. Invisible se présentait donc à mes yeux comme un quitte ou double, le dernier roman avant de renoncer peut-être définitivement. Et le miracle a eu lieu, certainement parce que Paul Auster ne raconte pas une histoire, mais des histoires, des possibles et qu’il soulève quantité de questions en laissant le lecteur à la dérive, orphelin d’une fin romanesque qui ne vient pas.
Invisible commence comme un roman de Paul Auster avec un personnage qui pourrait être un double de lui-même : étudiant brillant, poète et traducteur, Adam Walker rencontre un étrange professeur et sa compagne en 1967 alors qu’il n’a que vingt ans. Charmé par ce couple d’intellectuels, il accepte non sans se poser de questions la proposition de Rudolf Born de monter une revue littéraire. Sur la quasi proposition de Born, il a une liaison aussi passionnée que brève avec Margot. Mais il rompt bientôt toute relation avec le couple car Born assassine en pleine rue un jeune homme qui l’a agressé, mais avec une arme non chargée. Pendant qu’Adam va chercher les secours malgré l’interdiction de Born, celui-ci larde le cadavre de coups de couteau et l’abandonne dans un parc. Adam met six jours à prévenir la police, six jours durant lesquels Born a le temps de disparaitre en France, six jours qu’Adam regrettera toute sa vie.
Le lecteur comprend dans une seconde partie que ce qu’il vient de lire est la première partie d’un roman d’Adam Walker, envoyé à un ancien ami d’université, Jim, quarante ans plus tard. Au même ami, il envoie une suite, totalement différente, rédigée à la deuxième personne du singulier et qui raconte les amours incestueuses d’Adam et de sa sœur Gwyn. La troisième partie, l’épisode parisien de la vie d’Adam, n’arrive à Jim qu’après la mort de celui-là, sous forme de notes qu’il transcrit. Dans la quatrième partie, Jim rencontre à Paris en 2007 une des protagonistes de ce séjour parisien qui lui confie son journal intime contenant le récit de sa dernière rencontre avec Rudolf Born.
Le lecteur a d’emblée confiance en Adam, le jeune narrateur naïf et manipulé par l’énigmatique Born. Il est fasciné par les amours d’Adam et Gwyn et espère qu’il parviendra à se venger de Born à Paris. Le lecteur fait en effet preuve d’une empathie bien traditionnelle envers le héros de roman. Mais la quatrième partie fait sauter le bel édifice romanesque et pousse le lecteur à s’interroger : Adam a-t-il dit la vérité sur ses relations avec sa sœur ? Born est-il aussi fondamentalement malsain qu’il le prétend ? Et si Adam a menti dans une partie de son autobiographie, n’aurait-il pas pu mentir dans une autre, sur un point aussi important qu’un meurtre ? Car après tout, Adam Walker ne s’appelle pas Adam Walker, pas plus que Jim Freeman, qui tient les rênes de cet enchâssement littéraire, ne s’appelle Jim Freeman, parce que les vrais noms ne peuvent être révélés…. Alors où est la vérité, où est l’histoire, qui en est le héros, qui faut-il croire ?
Certainement déconcertant pour celui qui s’attend à lire un roman avec un début, un milieu et une fin, ce roman est une exploration des possibles romanesques. On croit suivre une histoire, et on est emporté vers une autre, on donne à Adam une carrure de héros, qui se délite à la faveur d’un personnage bien plus insaisissable dont au final on ne saura rien : le roman de Rudolf Born reste à écrire.
L’étrange fin de ce roman m’a bien fait réfléchir. Cécile devenue une femme d’une quarantaine d’année retrouve Rudolf Born sur une île improbable, loin de tout. Là, le personnel noir de sa villa a l’air de vivre au temps de l’esclavage et d’ailleurs, la scène finale nous donne à voir des Noirs cassant des cailloux à coups de marteaux. Et pourtant, ils ne sont pas esclaves, il travaillent : la réalité de ce qu’on voit n’est pas la réalité de ce qui est vécu.
Ainsi donc le lecteur demeure dans l’incertitude car l’invisible et le non-dit font partie de la fiction, et le lecteur est tributaire des choix de l’auteur. Paul Auster se joue donc de son lecteur et si la mise en abime n’est pas vertigineuse, le résultat est intéressant même si frustrant.
Paul Auster sur Tête de lecture
Invisible
Paul Auster traduit de l’anglais par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 2010
ISBN : 978-2-7427-8920-7 – 290 pages – 22,50 €
Invisible, parution aux Etats-Unis : 2009
Ce Paul Auster est dans ma PAL depuis le mois d’octobre en anglais et depuis sa sortie en français et je ne l’ai toujours pas lu. Je reviendrai donc lire ton billet quand ce sera chose faite ! La lecture de ton premier paragraphe me suffit pour l’instant et me réjouit. Je suis vraiment contente qu’il t’aie plu. Paul Auster reste un de mes auteurs aimés depuis ses débuts, malgré une brouille de plusieurs années. Mais ses deux derniers livres nous ont réconciliés et je crois que le dernier risque fort de me plaire aussi !
Des brouilles, des réconciliations : c’est une véritable histoire d’amour dis donc 🙂
Ouf! Invisible était celui qu’il te fallait, finalement… Je suis contente car Paul Auster est quand même un bon auteur, après, on a ses propres titres préférés, c’est normal! ^_^ je pense que la Trilogie New Yorkaise devrait te plaire?
Je ne sais pas encore quel sera le prochain, mais je suis moi aussi ravie d’avoir renouer !
Il est sur ma liste d’emprunt à la bibli mais je ne me bats pas pour l’avoir car je suis restée un peu sceptique avec ses derniers romans ..à lire pour moi mais sans urgence
On dirait bien que ton enthousiasme s’est émoussé et que tu as comme moi besoin d’un titre qui te parlera plus. J’espère que ce sera celui-là.
Heureuse que tu te sois réconciliée avec Auster ! Mais à la lecture de ton billet, je crains de retrouver avec Invisible les memes sensations qu’avec la Trilogie new-yorkaise qui m’avait beaucoup déçue, frustrée, agaçée. Je vais quand même lui accorder une autre chance avec Moon Palace qui dort dans ma PAL, mais ce sera peut-etre la dernière !
On dirait que ce Paul Auster engendre des quitte ou double !
Jamais lu Paul Auster encore, mais j’aimerais bien tester…
Je ne saurais te conseiller car tout ne me plait pas et je n’ai lu que quatre titres, mais il faut quand même que tu essaies, c’est un incontournable.
Ah, j’avais entendu des avis très enthousiastes sur ce roman. Je pensais donc qu’il avait renoué avec le meilleur. J’ai toujours dans ma PAL mon exemplaire dédicacé de moon Palace que je lirai cet été.
Réfractaire à Paul Auster je suis !
Ça peut s’arranger quand même, regarde moi, j’ai réussi !
Je ne te lis pas tout de suite en détail… Je viens de l’emprunter à la bibliothèque !
Ce qui confirme ce que je te répondais dans le billet précédent 😉
Hmmm … je ne sais pas … J’ai eu un peu de mal avec « La trilogie New Yorkaise » et je ne sais pas si j’ai envie de retenter l’expérience … Affaire à suivre !
Allez, il mérite bien une autre chance !
Je l’ai acheté récemment, il me tarde !
J’espère qu’il te plaira.
Je m’en serais horriblement voulu si je t’avais fourni le livre qui t’aurait fait renoncer à Paul Auster. De mon côté, j’avais été assez désappointée par La Trilogie New-yorkaise.
Tout va donc pour le mieux. J’attendrai un peu pour le prochain, mais je continuerai.
Je n’irai pas lire ton billet sur le livre des illusions. Je viens de le trouver en fouillerie et compte bien le lire… quand j’aurai le temps.
Eh bien j’espère qu’il te plaira plus qu’à moi.
Je n’ai lu que « Trilogie newyorkaise » de cet auteur avec un souvenir assez mitigé je dois dire : j’ai eu du mal à entrer dans son univers très particulier, surréaliste.
Je viens de m’inscrire au livre voyageur d’Ellcrys qui propose « Brooklyn Follies », je verrai donc si je continue ma découverte après cette lecture… 😉
Je vais surveiller de près les billets sur Brooklyn Follies.
Je ne sais plus trop si j’ai envie de le lire celui-ci. Je n’avais pas trop aimé non plus Le livre des illusions.
Je trouve celui-ci beaucoup mieux. Ça vaut quand même la peine d’essayer à nouveau.
Je viens de découvrir Paul Auster avec « Brooklyn Follies » et j’avoue avoir énormément aimé. Maintenant, j’ai envie de lire toutes ses autres oeuvres, dont celle-ci.
J’espère que les autres livres que tu liras te plairont tout autant, à mon humble avis, ils ne se valent pas tous.
Il est dans ma PAL. Je ne comprends que « Le livre des illusions » t’ait laissé sceptique. Mais je te pardonne ! Mais je ne te pardonnerai pas d’abandonner Paul Auster !
Tu vois, je suis en bonne voie !
Pas très attiré par cet auteur qui pourtant est très bien critiqué.
Il a écrit pourtant des livres assez différents, certains pourraient te plaire.
J’ai effectivement lu ailleurs que c’est un très bon Paul Auster. J’avoue que je suis un peu plus circonspecte maintenant après certains livres intéressants mais pas aussi marquants que mes premières lectures. Je note donc que je peux ouvrir celui-là les yeux fermés (enfin, façon de parler) 🙂
Il faut en fait les garder bien ouverts et restée attentif car l’histoire est imbriquée et assez complexe 😉
oui, bon, toujours pas inspirée par Auster…
Il faut bien quelques réfractaires 🙂
Je compte bien me le procurer … quand j’aurai un peu plus de temps. Mais il fait partie des indispensables. 😉 Jamais été déçue pour le moment.
Alors pas de doute, il te plaira, j’espère que tu trouveras bientôt un peu de temps pour plus de lecture.
j’ ai beaucoup de mal avec cet auteur
Il a écrit des romans assez différents je crois, j’ai par exemple trouvé Mr Vertigo plus romanesque, avec plus de péripéties.
De Paul Auster, je n’avais lu que ‘seul dans le noir’: aussi n’étais-je pas dans le même contexte que toi en le lisant, mais le résultat est le même: j’ai été charmé par la maîtrise d’Auster au niveau de l’enchevêtrement de la narration: c’est du grand art. cela me donne envie de me plonger dans la trilogie new yorkaise, qu’on dit très réussie.
La trilogie new yorkaise est déjà dans les cartons pour l’été !