Le chapeau de M. Briggs de Kate Colquhoun

Le chapeau de M. Briggs. Récit sensationnel du premier meurtre commis à bord d’un train anglais. Titre et sous-titre présentent à la manière d’un journal à sensation le contenu de ce livre : en aucun cas un roman, Le chapeau de M. Briggs de Kate Colquhoun raconte par le menu et dans ses moindres détails l’enquête et le procès qui se déroulèrent en Angleterre en 1864 suite à la mort d’un passager, le banquier Thomas Briggs, violemment agressé dans son wagon de première classe lors d’un très court trajet entre Londres et son domicile. On ne sait cependant pas si c’est  l’agression qui a entraîné la mort ou bien la chute de la victime à l’extérieur du train. Quand il a été retrouvé entre deux voies, Mr Briggs était encore vivant, mais pour peu de temps.

Ce qui choqua l’opinion par-dessus tout, explique Kate Colquhoun, c’est que cette magnifique invention qu’était le train, chef d’œuvre de modernité, se révélait peu sûre. Tout un chacun, enfermé dans « ces caissons minuscules qui passent pour des voitures de chemin de fer » sans communication possible les uns avec les autres, se retrouvait isolé, à la merci de n’importe quel criminel. Le pire étant bien sûr que même des passagers de première classe n’étaient pas à l’abri de telles agressions…

Ce meurtre commis  dans un lieu public (mais clos, en vérité) enfreignait toutes les règles connues. Il aiguillonnait la peur horrible qu’au-delà des pages d’un roman la propre existence ordinaire de chacun pût également se retrouver plongée dans un chaos infernal.

Il fallait absolument que la police mette la main sur le coupable. Par chance, on a trouvé un chapeau dans le compartiment ensanglanté. Il n’est pas celui de Mr Briggs, on en conclut donc que c’est celui de l’assassin. Pendant plusieurs jours, l’enquête piétine : aucune piste, aucun témoin. Puis grâce au chapeau, un signalement  se fait jour, on placarde des affiches, des témoins se présentent appâtés par une importante récompense. Le suspect serait un jeune tailleur allemand nommé Franz Müller, pauvre, embarqué peu de jours auparavant pour les États-Unis sur un bateau à voile. Ni une ni deux, voilà deux inspecteurs et deux témoins prenant de vitesse le bateau en question sur des embarcations plus rapides et qui arrivent avant Müller à New York, dans un pays en pleine guerre civile. Là, il est appréhendé et doit faire l’objet d’une demande d’extradition. Pendant ce temps en Angleterre, les journaux se déchaînent et accusent ouvertement le tailleur.

Ceux qui ont aimé L’affaire de Road Hill House apprécieront certainement ce texte de Kate Colquhoun publié chez le même éditeur, dont l’auteur cite d’ailleurs Kate Summerscale dans les remerciements. On assiste là à une très brillante reconstitution, dans tous ses détails, mais sur un mode narratif qui ménage un certain suspens. Des témoins vont-ils se manifester ? L’inspecteur Tanner rattrapera-t-il son suspect ? Les États-Unis accorderont-ils l’extradition ? Müller sera-t-il reconnu coupable ? Exécuté ? Certes, ce n’est pas un roman, mais ce récit est construit sur le mode du whodunit, cher au roman policier britannique. Sauf qu’à la fin, des doutes circulent encore sur la culpabilité de Müller et qu’au final, on ne saura jamais ce qui s’est réellement passé dans ce wagon de première classe, au soir du 9 juillet 1864. Mais on aura côtoyé tout un peuple laborieux, tailleurs, chapeliers, logeurs, employés des chemins de fer, ces gens qui font la vie de Londres, la plus grande ville du monde, la pointe de la modernité qui n’est pourtant pas à l’abri du crime et dont la justice n’est pas infaillible.

Passionnante est la description de Kate Colquhoun des méthodes d’enquête de l’époque. Alors qu’il n’est même pas encore possible d’avoir recours aux empreintes digitales, celles-ci reposent avant tout sur des suppositions et des déductions, sur les témoignages et donc la fiabilité de témoins parfois intéressés dans l’affaire.

En Angleterre, l’expertise scientifique était encore balbutiante et, de toute façon, les autorités judiciaires doutaient qu’il fût bon de laisser les laboratoires jouer un trop grand rôle dans les enquêtes criminelles. Par conséquent, le pays était en retard sur ses voisins européens et même si c’était en Angleterre que la dactyloscopie (ou examen des empreintes digitales) avait été utilisée pour la première fois et qu’elle aurait pu fournir à Tanner des preuves indubitables, elle ne serait acceptée que bien plus tard comme procédé d’utilisation courante par la police. De la même façon, le test à la précipitine permettant de distinguer le sang humain du sang animal ne serait pas inventé avant 1901, par le biologiste allemand Paul Uhlenhuth. En 1864, la seule chose qu’un chimiste pouvait faire était d’examiner des taches au microscope pour découvrir tout d’abord s’il s’agissait bien de sang, puis tenter de deviner leur origine en comparant la forme ces cellules…

Tout ça nous semble forcément très archaïque et on tremble au nombre de personnes condamnées puis exécutées sur la foi de telles preuves.

Kate Colquhoun fait un travail d’historienne qu’elle restitue sur un mode romanesque très plaisant, sans négliger les implications sociales de ce terrible meurtre. Elle explique comment après cette affaire la justice anglaise a changé, comment la sécurité dans les trains s’est améliorée. Elle souligne les manques, les incohérences, l’inquiétude des classes supérieures qui ne se sentaient plus à l’abri dans ce monde en mouvement, les faiblesses de l’enquête, le rôle des journaux à sensation, l’importance du contexte politique avec l’invasion du Danemark par la Prusse. Et pourquoi pas aussi un certain plaisir d’avoir peur, de frissonner, entretenu par des écrivains comme Wilkie Collins et Mary Elizabeth Braddon. Elle dessine ainsi le portrait d’un pays fier qui entre dans la modernité et comprend que la révolution industrielle a un prix.

Dans les cinquante dernières pages de note (que personne n’est obligé de lire), elle cite les références de toutes ses affirmations, de tous les détails qu’elle évoque. Malheureusement personne ne peut dire si Franz Müller était innocent ou pas.

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Le chapeau de M. Briggs

Kate Colquhoun traduite de l’anglais par Christine Laferrière
Bourgois, 2012
ISBN : 978-2-267-02286-5 – 432 pages – 25€

Mr Briggs’ Hat, parution en Grande-Bretagne : 2011

 

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25 commentaires sur “Le chapeau de M. Briggs de Kate Colquhoun

  1. (je cherche la date de parution?)
    Bon, bien tentant tout cela (number one des commentaires) mais je peux déjà commencer par l’affaire de Road Hill House, qui est à la bibli.

  2. Il a l’air effectivement pas mal comme livre. Dans ton commentaire ça m’a fait penser à L’aliéniste où les enquêtes policières ne possédaient pas encore tous les moyens d’aujourd’hui. Je me le note car il devrait certainement me plaire.

  3. Je me rappelle en avoir entendu parler à la télé mais n’avoir pas eu de papier pour noter à ce moment-là ! Je n’arrivais plus à me souvenir ni du titre ni de l’auteur ! Merci, tu es mon sauveur sur ce coup-là 🙂 Et devine quoi ? J’avais adoré L’affaire de Road Hill House alors ta référence à ce titre ne fait que confirmer mon attrait pour le livre de Kate Colqhoun !

  4. Vraiment plaisants ces romans « policiers historiques ». J’ai pensé moi aussi aux trois livres de Caleb Carr et à son talent à recréer une ambiance, une époque (plus proche de 1900 il est vrai, avec la guerre contre l’Espagne pour Cuba).

  5. Merci de cet article. En le voyant en librairie, j’ai aussi pensé à « Road Hill House » que j’avais aimé mais m’avais quand même un peu « déçue » car je m’attendais à un roman et ce n’en est pas un. Du coup, j’hésite avec celui-ci…

  6. J’avais repéré ce livre qui a l’air vraiment très intéressant. Comme Manu, j’ai le livre de Kate Summerscale dans ma PAL et je me demande bien pourquoi il y est encore…

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