Boris Razon, sous forme de roman, fait le récit d’une expérience très personnelle : la paralysie progressive de tout son corps et les longues semaines d’enfermement dans une carcasse douloureuse et immobile.
Dans une première partie fulgurante, Boris Razon raconte l’abandon à la maladie. Il est plutôt douillet Boris, il a tendance à s’écouter, à chercher le réconfort de ses proches au moindre bobo. Il le sait et tente de relativiser les étranges réactions qui l’assaillent : fatigue, fourmis dans les doigts, maux de dos, problèmes oculaires… Il lutte contre sa propre hypocondrie jusqu’à l’évidence : quelque chose ne va vraiment pas. Puis ce sont le médecin, les urgences, la lente disparition au monde.
Ces quatre-vingts premières pages se lisent dans un souffle. L’écriture nerveuse, précise, au plus près des angoisses, dit la fulgurance d’un processus implacable et débilitant. Cette « métamorphose » est une dépossession effrayante que le lecteur partage au plus juste.
La suite est beaucoup plus étrange. Boris Razon est gavé de médicaments en tout genre qui donnent lieu à des hallucinations. Dès lors, le lecteur se trouve dans la tête du malade délirant, convié à le suivre par une apostrophe réitérée (déjà présente dans la première partie).
Mais que ferais-tu toi à ma place, hein ? Tu penserais aux joies à venir ? Tu chérirais les bons souvenirs ? Tu parles… Tu serais là comme moi à décortiquer méticuleusement chaque minute pour essayer de comprendre ce qui s’est passé.
Le désormais tétraplégique a une perception tronquée de ce qui se passe autour de lui. Ce qu’il entend (dernier sens qui lui reste) se mêle à ses cauchemars et à ses douleurs pour ouvrir la porte à des hallucinations grotesques, morbides et obscènes. Pour lui, l’hôpital tombe en ruine et il doit être transporté. Son périple l’amènera à rencontrer, entre autres, des hommes-légumes, des artificiers magiciens et des Haïtiens. De mille façons il pourra mourir, jusqu’à être tué, monté au ciel puis attaqué par des musulmans en folie. Ce cauchemar hospitalier finit en apocalypse où ne manque ni zombies ni délires sexuels violents.
Où que je pose le regard, je voyais ces lambeaux d’hommes traîner un regard impavide et une peau sale. Certains étaient jaunes, d’autres verts ou noirs, couverts de verrues et de bubons. Leurs vêtements aussi étaient en lambeaux. Un parfum de souffre et d’éther envahissait cette prison à ciel ouvert.
Ce monde absurde entraîne le lecteur de l’autre côté d’un miroir, ici dans l’intimité consciente d’un malade souffrant de totale impuissance. Il n’est plus rien, au point que son sexe se transforme en arrêtes de poisson et qu’on doit lui accrocher une brosse à dent électrique pour qu’il soit admis à l’hôpital juif pour juifs de Garches… A un moment, je me suis perdue dans ce fantasme intime si particulier. Je crois que c’est quand Boris Razon échappe à ses infirmières en pétant. Je n’en ai pas pour autant arrêté ma lecture, mais mon intérêt s’est mis en berne. J’imagine qu’on peut se réjouir de ce délire parfois loufoque, parfois carrément gore.
Boris Razon a pris le risque d’une prose hallucinatoire pour traduire l’expérience intime de la proximité avec la mort : la peur et l’amour luttent en lui, il les a vus et les raconte. Le lecteur suivra ou non cette invite à côtoyer l’au-delà de la vie, cette autre forme de vie qu’est celle d’un homme qui a « son corps pour sarcophage ».
Palladium
Boris Razon
Stock, 2013
ISBN : 978-2-234-07532-0 – 472 page – 22 €
Ah. Je l’avais dans les mains hier. Posé, pris, reposé finalement. Pas osé. Je crois que je ne regrette pas.
Je serais tout à fait curieuse de lire d’autres avis car vraiment, c’est un livre étrange. La première partie m’a vraiment captivée. Arrivée à la fin, je me demandais ce que réservait la suite car 400 pages sur un type paralysé qui regarde passer les infirmières : au secours. Et donc, ce n’est pas ça du tout, mais c’est assez déconcertant…
Euh, alors là, ça je fuis, vu mon expérience personnelle !
Argument imparable…
Et il est toujours tétraplégique à ce jour ? Je sors d’un livre où la narratrice est alitée et ne peut pas bouger, mais c’est nettement plus zen ! je ne me sens pas prête du tout à entrer dans le délire de cet homme, même si je ne doute pas une seconde que l’expérience a été terrifiante (surtout parce que je n’en doute pas)
Non, c’était une paralysie temporaire. J’ai lu ton billet sur cette femme alitée, ça m’a évidement rappeler ce texte. Il ne faut pas en abuser 😉
Sur le même thème, j’avais adoré « Dans ma peau » de Guillaume de Fonclare. Malgré tes réticences quant à la seconde partie, je note ce titre.
Avais-tu lu ceci ? http://uncondamne.tumblr.com/
Je ne sais si il s’agit d’une histoire vraie mais les billets de cet homme m’avaient vraiment touchée.
Il ne s’agit pas d’une histoire vraie plutôt, non ?
Intéressant mais résolument pas fait pour moi ! 😉
Je comprends que ce livre puisse ne pas tenter…
Je ne me sens pas capable de lire sur ce sujet sur 400 pages… Le livre de G. de Fonclare me tente plus.
Moi le livre de Fonclare me tente assez, je le lirai certainement.
Cela me fait penser à ce livre tiré d’une histoire vraie, l’histoire d’un journaliste, il y avait le mot « papillon » dedans… un livre effrayant !
Ah oui, « Le scaphandre et le papillon », voilà le titre ! Lu il y a très longtemps mais il m’a marquée…
Pas lu celui-là, mais j’en ai entendu parler.
oh la laaaa, quelle horreur! ce n’est pas pour moi!
Eh bien, on peut dire que ça vient du coeur !
Le sujet de départ m’intéresse, puisque je connais ce genre de cas, mais les délires qui s’ensuivent me refroidissent comme toi !
Je ne savais pas à quoi m’attendre en ouvrant ce livre, et oui, j’ai été refroidie, comme tu dis, surtout que la première partie est vraiment très intéressante.
c ‘est bien aussi de lire des billets sur des livres qu’on écarte , non pas qu’ils ne soient pas intéressants, mais d’abord on ne peut pas tout lire et ensuite on (en tout cas moi!) n’a pas tos les courages!
Luocine
Et ce qu’il y a de bien, c’est que parfois, on se dit qu’on ne lira pas tel livre et qu’un billet nous fait changer d’avis : vive la blogosphère !
Un livre pour le moins…étonnant !…
Oui tout à fait. Faire 500 pages sur le vécu d’un tétraplégique, c’est forcément assez casse-gueule…