Les Godillots, version bande dessinée, séduisent les lecteurs, et c’est tant mieux. Forts de ce succès, Olier (texte) et Marko (dessins) ont décidé de transposer leurs personnages dans un roman pour la jeunesse, illustré bien entendu. Le gourbi du sorcier se lit indépendamment des deux tomes de la BD, mais on retrouve le caporal Palette, un Picard râleur au bon cœur, le soldat 2e classe Le Bourhis dit le Bourru, « parce qu’on dirait qu’il fait tout le temps la tronche », Bichette, quatorze ans, « adopté » par les deux compères, et son singe Salopiot, aussi vert que futé. Ils évoluent tous sur le front, en 1916.
Bichette, narrateur et principal protagoniste de cette aventure, se voit confier sa première mission : aller chercher de l’eau à Fournes-en-Val. Mais de Fournes-en-Val il ne verra rien puisqu’un accident de mule lui déboîte le bras et le laisse inconscient. Le Bourru et Palette décident de l’emmener voir ce qui se rapproche le plus d’un médecin : le rebouteux de la B12, autant dire un sorcier.
Comme tout le monde, il est impressionné Bichette par ce géant torse nu au fond de son gourbi décoré de rats séchés et de chouettes mortes.
Olier et Marko ont pris le parti de ne pas raconter la Grande Guerre de façon tragique. A l’inverse de la série La Guerre des Lulus qui se cantonne à l’arrière, les protagonistes des Godillots sont au front. Bichette, narrateur, ne se bat pas, il se tient en retrait et raconte donc des anecdotes, le quotidien du 435e Régiment d’Infanterie sur le front de la Somme (mais Le gourbi du sorcier s’articule autour d’une seule intrigue). Malgré le contexte, les auteurs lui ont conservé une certaine ingénuité réjouissante.
Oui, parce qu’Emérence [la mule], elle a passé la nuit perdue entre les tranchées de nous et de l’ennemi. Le Bourru, il appelle ça le « Nomaz Lande », ça doit être un nom de chez lui, en Bretagne.
Le jeune lecteur aborde donc la guerre à travers le point de vue de Bichette, à travers un langage parlé qui emporte par son naturel. Ce Bichette est un gamin enthousiaste, souvent casse-cou, parfois trouillard.
Malgré le ton globalement humoristique, Le gourbi du sorcier ne manque pas de réalisme. Olier n’hésite pas à employer parfois l’argot de tranchée (un glossaire est disponible à la fin du roman) et les dessins de Marko sont toujours précis et détaillés. Mais surtout, les personnages vont vivre un véritable assaut. Depuis le gourbi du sorcier où Bichette récupère après son traitement, ils entendent les poilus de la B12 partir à l’assaut, leurs godillots frapper la terre et les mitrailleuses.
Et puis on a entendu les cris. Plus des ordres aboyés, cette fois, mais des cris de douleur, comme j’en avais jamais entendu. Au début, ils étaient couverts par la mauvaise pétarade des mitrailleuses, mais après, on aurait dit qu’ils se rapprochaient de nous. Des cris horribles, comme ceux des animaux des abattoirs de Bayonne. Il m’a fallu un moment pour comprendre que c’étaient des hommes qui criaient comme ça…
Et le prétendu sorcier berrichon s’appelle Seignolle : si ça n’est pas du raffinement jusque dans les détails…
Aucun doute donc : ce petit livre-là est aussi réussi que la série de bandes dessinées dont il émane et dont il est indépendant.
Si vous avez 14 minutes, regardez Marko dessiner (en accéléré) une planche d’album, c’est impressionnant.
Les Godillots sur Tête de lecture et la thématique Première Guerre mondiale
Le gourbi du sorcier
Olier (texte) et Marko (dessin)
Bamboo, 2014
ISBN : 978-2-8189-2563-8 – 89 pages – 5.95 €