Ne vous fiez pas à la douceur de cette couverture : Intempérie n’est pas un roman bucolique, il n’y est pas plus question d’averses que de brebis. D’ailleurs, c’est de chèvres qu’il s’agit, c’est dire si la couverture est trompeuse…
Le roman s’ouvre sur un enfant caché au fond d’un trou ; il ne joue pas, il attend qu’on cesse de le chercher pour pouvoir partir loin, très loin. Et parce qu’il est un enfant (dont ne connaîtra ni le nom ni l’âge), il n’a pas prévu grand-chose, juste la fuite. Il a tout contre lui : les adultes, leur nombre, leur détermination, leur puissance. Il ne sait que se méfier, tout déterminé qu’il est à ne jamais revenir.
Alors quand sa route croise celle du vieux chevrier, il hésite : il ne connait que son village déserté et ses adultes auxquels il ne peut pas faire confiance, même pas à son père qui se fait obéir à coups de ceinture. Il ne voit pas pourquoi le chevrier le protégerait de l’alguazil qui le poursuit et le poursuivra sans doute longtemps. C’est pourtant bien auprès de ce vieil homme que l’enfant va découvrir qu’il existe des adultes qui n’évoluent pas dans le même monde que les autres, « ce monde où la brutalité est employée sans autre raison que la cupidité et la luxure ». Sous un soleil implacable, l’enfant et le vieil homme s’accompagnent et survivent.
Il y a peu, Denoël nous offrait le plaisir de découvrir un nouvel auteur espagnol, Iván Repila, avec un étrange conte morbide, violent et métaphorique. Il y était question d’enfance, tout comme dans Intempérie, un roman très fort qui va à l’essentiel des relations humaines. Construit autour de description, il s’applique à rapporter avec précision les gestes et les émotions, même si celle-ci restent très pudiques. L’écriture est aussi sèche que le climat et convient donc parfaitement à l’aridité du sujet. Qui n’est cependant pas exempt d’émotion.
En suivant le parcours de cet enfant et de cet homme sur des routes désertées, inhospitalières et hostiles, on pense rapidement à un autre texte devenu emblématique du genre. D’autant plus que comme dans le roman de Cormac McCarthy, il semble que l’action se déroule dans une atemporalité étrange : il n’y a plus personne sur les routes et dans les villages, en raison du dérèglement climatique. On n’est donc pas loin d’une ambiance post-apocalyptique qui ancre la ruralité dans une éternité asphyxiante.
L’enfant part pour échapper aux traditions ancestrales, à un patriarcat rigoureux et malsain, à la sécheresse du cœur des hommes. Il affronte les rigueurs de la nature et la peur, supporte la crasse, la faim et la soif pour quelques instants de compassion et d’amitié. C’est un chemin vers la liberté que Jesús Carrasco trace d’une plume attentive et un vrai sens du romanesque.
Intempérie
Jesús Carrasco traduit de l’espagnol par Marie Vila Casas
Robert Laffont (Pavillons), 2015
ISBN : 978-2-221-15610-0 – 221 pages – 19 €
Intemperie, parution en Espagne : 2013
Je suis toujours sensible à la description de la rudesse et le mot est faible du monde rural. Mais j avoue ne pas avoir apprécié »la route » auquelce roman t’a fait penser. Si bien que je ne sais pas trop si je mets ce roman dans ma liste de 2015.
On est vraiment dans le monde rural ici, c’est le dénuement et le couple homme-enfant qui m’a fait penser au livre de McCarthy…
Je l’ai noté dans ton billet précédent et là tu finis de me convaincre
J’aime ce type de récit
En le lisant, j’ai pensé à toi et je me suis dit que c’était un livre qui te plairait forcément.
Aaah cette couverture, il fallait oser !
Oui, craquante la bestiole, mais quand même terriblement connotée…
En couverture, c’est une brebis ou une chèvre ? Et d’ailleurs, comment tu fais la différence, comme ça, su rune photo, d’abord ?
Alex, si tu veux voir la différence, viens chez moi. Sandrine a fait une erreur, il s’agit bien d’une chèvre.
Je vous invite toutes les deux chez moi !!!
Ben pour moi, c’est une brebis…
Ca me fait super envie ce que tu en dis, parce que la couverture, c’est le genre repoussoir pour moi …
Pour moi aussi. Mais j’ai d’abord lu le résumé, puis « premier roman espagnol » et ça m’a tout de suite tentée… la couverture n’est venue qu’après…
Tu me donnes vraiment envie de découvrir cet auteur.
Oh, Sandrine, il s’agit bien d’une chèvre, regarde attentivement le poil !!
Allez viens que je te montre la différence. Ah ces filles de la ville !!!
Depuis 10 ans que j’habite dans le Loir-et-Cher, c’est la première fois qu’on me traite de fille de la ville ! Il y a un troupeau de moutons et de chèvres au bout de ma rue, à 150 mètres et aucune chèvre ne ressemble à celle-là… Et dire qu’on fabrique ici plusieurs dizaines de fromages de chèvres différents…
Je vous assure que c’est une chèvre…
Beau commentaire.
Je crois que ce roman est plus qu’une impitoyable description du monde rural….c’est un peu apocalyptique, et nettement alarmiste en ce qui concerne le dérèglement climatique.
Il s’agit bien d’une chèvre, fille du Loir-et-Chef, département cher à mon coeur
Alors je m’incline et j’avoue mon incompétence : je croyais que 10 ans de vendômois m’avait rendu au moins apte à reconnaître une chèvre d’une brebis… née les deux pieds dans le béton, et (il faut bien l’avouer) quelque peu réfractaire à la campagne, je ne causerai désormais plus que de chats : avec eux pas d’erreur !
Et merci beaucoup pour cette précision, il y en a qui ont dû se moquer de mon erreur 😉
En te lisant, juste avant que tu y fasse référence, j’ai justement pensé au roman La route… Mais si La route ne m’a jamais tenté celui ci m’attire beaucoup plus… Je le retiens… (et mets ton billet dans vos plus tentateurs ;0) Malheureusement je traverse une période ou mes envies lectures sont bien plus grandes que mon rythme de lecture ne me le permets :0(
Bonne journée Sandrine
C’est un roman assez rude mais je ne doute pas qu’il te plaise.
Et pour venir à bout de tes envies de lecture, je crois qu’il va falloir te priver de blogophère pendant une décennie !!
Impossible de me passer de la blogosphère trop longtemps ;0)