A l’issue du précédent roman de Zygmunt Miłoszewski, Les Impliqués, il était prévisible que le procureur Teodore Szacki quitte sa femme. De là à quitter la capitale pour Sandomierz… C’est qu’il n’y a pas mieux pour entretenir sa dépression que cette belle et grosse bourgade où il ne se passe rien, où tout le monde se connaît. Pour être aussi cynique que monsieur le procureur, disons simplement qu’il a la chance que Sandomierz soit « la capitale polonaise de l’antisémitisme« , voire « la capitale mondiale du meurtre rituel« .
La chance oui. Car le corps d’une femme nue et exsangue retrouvé près de l’ancienne synagogue, c’est du travail pour le nouveau procureur. Ela Budnik était une femme généreuse, dynamique, très appréciée de ses concitoyens : sa mort semble inexplicable. Si ce n’est qu’on trouve près de son cadavre un couteau servant aux Juifs à égorger rituellement les animaux pour les saigner. Voilà de quoi réveiller les vieux démons de Sandomierz, « le centre de la légende du sang« . C’est que dans la cathédrale est suspendu un tableau représentant ce que les catholiques appellent le meurtre rituel : des Juifs se procurent des petits chrétiens pour les saigner et fabriquer les pains azyme de la Pâque avec leur sang… Cette ridicule légende contiendrait-elle un fond de vérité ?
Teodore Szacki va donc devoir se plonger dans le passé antisémite de la ville puisque quelqu’un semble déterminé à rendre les Juifs responsables de ce meurtre, et du suivant car le corps d’Ela Budnik n’est que le premier retrouvé ainsi mis en scène : il y en aura d’autres. Des Juifs pourtant, il n’y en a plus guère à Sandomierz comme ailleurs en Pologne.
Zygmunt Miłoszewski a ce don-là de nous intéresser à l’histoire de son pays, une histoire très spécifique qui pourtant nous touche. L’attitude des Polonais envers les Juifs à leur retour des camps est un sujet des plus sensibles aujourd’hui encore. Les travaux sur le sujet d’historiens comme Jan Tomasz Gross, cité dans le roman, dérangent voire font scandale. Il n’y a plus de Juifs mais le sentiment antisémite existe encore, prêt à s’enflammer au moindre souffle. La situation semble suffisamment grave pour que Zygmunt Miłoszewski en fasse l’objet d’un roman.
Et si comme tout bon polar Un fond de vérité dénonce un fait de société, il n’en oublie pas pour autant les règles du roman qui accroche et captive. Par un dosage subtil qu’il vaut mieux ne pas décortiquer, on suit avec enthousiasme les réflexions et hésitations du procureur Teodore Szacki qui tient pourtant pas mal du sale type. On ne fait guère plus misogyne que ce quarantenaire séduisant et néo célibataire qui n’évalue les femmes qu’en fonction de leur physique. On peut même dire qu’il les soupèse avant de toutes les mettre dans son lit. Trop ardentes pour son âge, ce sont des nymphomanes, trop grosses, elles ne peuvent être que des vieilles filles aigries. Bref, heureusement qu’il est dépressif parce qu’on le jetterait bien avec le sang du rituel…
A l’issue de ce roman, le lecteur a l’impression d’avoir effleuré l’âme polonaise, ne serait-ce que de loin. Et clairement, il n’a pas le moins du monde envie de mettre un pied à Sandomierz. Et que lit-on dans une postface de l’auteur ? « Je suis venu dans cette ville pour un mariage, j’en suis tombé follement amoureux et je l’ai quittée persuadé que je devais écrire un roman dont l’action se déroulerait ici« . Ça n’est clairement pas l’idée qui se dégage du roman : on a plutôt envie de passer au large de cette ville muséale où des antisémites armés de rasoirs gigantesques font la peau de leurs concitoyens ! J’exagère un peu, mais à peine.
C’est d’ailleurs l’image qui se détache de la littérature polonaise qu’on nous traduit, image qui se superpose à celle qu’on associe depuis des décennies au pays des camps de concentration allemands et de la grisaille communiste. Je crois qu’il va falloir que j’aille voir par moi-même à quel point c’est un beau pays, aujourd’hui jeune et dynamique…
Zygmunt Miłoszewski sur Tête de lecture
Un fond de vérité
Zygmunt Miłoszewski traduit du polonais par Kamil Barbarski
Mirobole (Horizons noirs), 2015
ISBN : 979-10-92145-33-5 – 472 pages – 22 €
Ziarno prawdy, parution en Pologne : 2011
J’ai beaucoup aimé le premier et je ne manquerai pas celui-ci. Il est déjà dispo à la bibliothèque, profitons-en.
Cet auteur bénéficie de beaucoup d’articles dans les médias, il passe très bien, les éditions Mirobole ont vraiment fait un bon choix. Avec le Salon du livre en plus, c’est de lui qu’on parle quand il est question de jeunes auteurs polonais, parce que le polar est un genre accessible et qui marche bien. Du coup, ça ne m’étonne pas que les bibliothèques soient réactives.
je l’ai terminé ce matin, j’approuve quand tu dis que c’est noir et que l’on a guère envie de faire connaissance avec cette Pologne mais en même temps je trouve bon que les auteurs polonais exorcisent ainsi un peu le lourd passé du pays, quand un auteur allemand revient par un roman sur le nazisme par exemple cela ne me gêne pas, ici j’ai eu un peu cette sensation, noir oui , effrayant oui mais voilà le problème posé au lieu de le cacher sous le tapis non ?
La Pologne c’est magnifique et pourtant mon voyage date pas mal mais mon souvenir est très vif
Oh oui bien sûr : c’est toujours très bien quand la fiction s’empare de sujet historique et sociaux comme ceux-là, ça permet au gens de réfléchir dessus, ça les rend accessibles et plus compréhensibles que des historiens ou sociologues qui peuvent effrayer. Et pour nous, étrangers, ça nous ouvre un fenêtre sur la réalité du pays.
C’est juste que je trouve que les livres qu’on nous traduit en français (je ne sais pas si c’est un tendance en Pologne) montrent un pays lourd de son passé et triste…
Ces incursions dans la littérature polonaise sont pour l’instant très alléchantes… et si en plus c’est noir, je note immédiatement !
Conseilles-tu la lecture du premier au préalable ?
Non, la lecture du premier tome n’est pas du tout nécessaire : la situation de ce divorcé se comprend très vite sans aucun problème.
Et j’ai encore pas mal de Polonais sous le coude. Je ne vais pas publier tous les billets à la suite, mais il va y en avoir encore de nombreux 😉
En ce qui me concerne, je suis totalement passé à travers ce roman. Chose rarissime chez moi, j’en ai même abandonné la lecture en cours de route. Je me suis ennuyé. Il faudra que je lise son premier pour savoir s’il s’agit d’un rendez vous manqué, ou si véritablement je suis hermétique à cet écrivain dont j’entends pourtant beaucoup d’éloges à son sujet. Amitiés
Ah bon ? Tu n’as pas eu envie de savoir qui avait tué cette brave femme tant aimée de ses concitoyens ? Il y a une enquête quand même et un certain suspens, surtout qu’il y a un autre et encore un autre cadavre… Peut-être que c’est le contexte historique évoqué qui ne t’intéressait pas…
ben non justement ,ce n’est pas le contexte historique, j’ai une formation d’historien à la base donc c’est là ,chose qui m’intéresse au contraire. j’ai trouve ca trop lent ( même si habituellement ca ne me dérange pas), et pour ma part je n’ai pas du tout ressenti de suspens. Peut être aussi que le moment où je l’ai lu n’était il pas le bon, lu à un autre j’aurai peut être eu une perception différente je ne sais pas. Mais je donne toujours une deuxieme chance à un auteur que je lis pour la première fois. Nous verrons bien avec son premier quand je l’aurai lu ! je te dirai ca ! 🙂
Hélas rien en vue… Mais là l’auteur a l’air d’aborder des sujets graves (la Pologne en a sous le tapis, non?)
Le premier aussi, avec les anciens de la police secrète communiste. Là disons que le contexte est mieux connu et mettre en roman ce qu’on préfèrerait oublier est un choix audacieux…
J’avais beaucoup aimé le premier roman. Je note donc.
J’espère que celui-là te plaira.
J’ai préféré le premier, et même si je suis un peu moins enthousiaste, je lirai quand même le troisième !
Je n’avais encore entendu personne dire qu’il préférait le premier. Il m’a semblé plus lent que celui-ci, mais il était bon tout de même, et il y avait le goût de la nouveauté. Vivement le troisième, oui !
Les éditions Mirobole nous offrent de jolies pépites. Je note
Ils ont le goût de la découverte, c’est certain !
Le premier est dans ma pile à lire depuis sa sortie en poche, et je m’en réjouis d’avance !
Il y a de quoi !
J’ai beaucoup aimé également et malgré ses gros travers, je l’aime bien ce Teodore (j’aurais sans doute du mal à le supporter en vrai), mais en personnage de papier, il n’est pas lisse et c’est ce que je trouve très bien.